Internet : Quand les clics se prennent des claques. Laurent Dubois, Phiadvisor
Pour ceux qui pensaient que la tech mondiale était le pire secteur en 2022, nous avons trouvé pire : la distribution spécialisée qui connait sa pire année depuis 2008 et sa première année en négatif depuis lors. Le MSCI World Retailing est en baisse de 29% en 2022 !
Les craintes sur le pouvoir d’achat semblaient fin 2021 et début 2022 n’impacter que le consommateur européen, avant que les alertes sur les résultats des groupes US illustrent le caractère global de ce danger. Le secteur restait secoué par quelques rachats tactiques après des corrections de 30% (voir le rebond en mai d’Inditex) mais c’était à mettre en parallèle des doubles alertes sur les résultats à quelques jours d’intervalle de Target par exemple.
Le secteur est partagé dès lors de forces contraires qui le mettent à l’épicentre des questions sur l’inflation :
1) La hausse des coûts matières, transport (24% des porte-containers sont bloqués devant les ports chinois), salaires qu’il leur faut répercuter dans les prix finaux.
2) L’appétit des consommateurs pour consommer maintenant plutôt que dans 6 mois devant la perspective de hausse des prix à venir.
3) La pression déflationniste que le secteur jouerait devant la nécessité de nettoyer et donc brader ses stocks. La recherche de volumes permettrait de rattraper les effets de pressions sur les marges (voir les commentaires de Walmart). C’est le Just in case qui prend la suite du Just in time !
Rappelons que les stocks ont augmenté de 43% en un an chez Target, de 11% chez Walmart et de 27% chez Home Depot. Le niveau de stocks de produits finis aux USA aurait atteint un niveau record de 686Mds$ en mars 2022. Nul doute que ce niveau a continué de progresser depuis.
4) Le positionnement low-cost qui leur serait favorable si le consommateur doit arbitrer des produits de moyen de gamme vers ceux d’entrée de gamme. Cela favorise notamment les quelques acteurs présents sur cette catégorie, à l’exemple de TJX, Dollar Tree ou Dollar General.
Le secteur est surtout au centre des questions concernant la digitalisation de la consommation : Ayant profité du boom du e-commerce depuis 10 ans, suivant les modèles des Amazon et Zalando, les multiples des distributeurs physiques ne s’ajustaient pas véritablement sur ces comparables mais cela les soutenait. La croissance sur ce segment e-commerce se ralentissant, l’expansion des multiples appartient au passé, la compression à l’avenir (voir Asos).
Pourtant nous ne pouvons pas dire que les attentes du consensus aient massivement corrigé : -15.3% pour 2022 et – 16% pour 2023 depuis le début de l’année avec une accélération des révisions ces 3 derniers mois (-11.5% / -12%). Il n’empêche que nous sommes toujours sur des niveaux de croissance d’un an sur l’autre qui restent honorables avec +14% 2023 vs 2022 et +13% en 2024 vs 2023 (sources Factset). In fine nous retrouverions en 2024 le niveau de BPA attendu il y a un an pour 2023. La chute ne serait donc que transitoire….
Regardons à cet effet le nombre de sociétés qui ont connu des révisions à la hausse des BPA 2022 depuis le début d’année qui sont tout aussi nombreuses que les sociétés ayant souffert de révisions à la baisse : 29 vs 31. Il faut attendre 2023 pour que le ratio passe à 24 / 34 (sources Factset).
Mais c’est du coté du levier opérationnel que l’enseignement de ces dernières semaines est le plus marquant : de 3x il est passé à 5x (-1% de revenu conduisait le BPA à chuter de 3% jusqu’à la fin avril, depuis mai -1% de revenus conduit à couper le BPA de 6%, sources Factset). Or nous constatons qu’en dépit de climats de confiance du consommateur qui approchent des plus bas (ou sont déjà au plus bas depuis 1978 comme en GB), les anticipations de croissance des ventes restent vigoureuses avec +3.3% en 2022 et +3.1% en 2023. C’est presque le double des années « normales » 2018 (2.5%) et 2019 (1.4%). Probablement qu’emporté par l’euphorie de 2021 et de ses +16% qui compensait une année 2020 à -8%, les analystes ont-ils voulu ajuster mais pas interrompre le momentum bénéficiaire du secteur dont les marges EBIT devaient rebondir en 2023 à 9.9% après 9.4% en 2022.
Pour que le panorama fondamental soit complet il convient d’ajouter les risques réglementaires en lien avec la loi qui interdit à partir du 21 juin 2022 aux groupes opérant aux USA d’importer du coton en provenance du Xinjiang. Cette même loi ayant été votée en GB et au Canada, cela va impacter 54.4% des revenus du secteur distribution textile.
1) Si la consommation de services l’emporte sur la consommation de biens, la consommation low-cost l’emporte sur tout le reste : Suivons donc Dollar Tree et Dollar General. La pression sur le pouvoir d’achat et l’arbitrage aux profits des expériences plutôt que la consommation de biens favorise les produits d’entrée de gamme.
2) La distribution spécialisée d’outils et de pièces détachés revient sur le devant de la scène, dans la mesure où les groupes industriels qui n’ont plus assez de stocks de produits semi-finis doivent accroitre leur recours à des tiers et intermédiaires, qui assurent en quelque sorte une fonction de gestion décentralisée des stocks : voir Manutan, WW Grainger ou Genuine Parts Company.
La structure de coûts variables a fortement rebondi ces 12 derniers mois, et celle des coûts fixes n’a pas vraiment baissé : les coûts locatifs indexés sur l’inflation sont repartis à la hausse, les CAPEX pour créer des entrepôts et accompagner le développement du e-commerce continuent de croitre, les distributeurs sont obligés de réinternaliser une partie de l’activité transports pour gérer la disponibilité tandis que la relocalisation des unités de production répond certes à un besoin de réduire l’impact carbone et de mieux gérer l’aspect social de leurs approvisionnements mais elle conduit pour l’instant à une hausse des coûts de fabrication.
A l’exemple de Lululemon qui passe de Charybde en Scylla, le risque est que le marché abandonne l’approche « croissance » dont était qualifié le secteur. Cela conduirait toute une catégorie d’investisseurs à quitter ce navire, sans parvenir à court terme à faire revenir les investisseurs « value » qui réclameront des multiples plus faibles ou attendront de voir la fin des corrections de BPA (qui ne font que de commencer depuis vraiment 3 mois).
Après l’euphorie de 2021 nous avons donc l’exact inverse cette année : le réinvestissement de l’épargne accumulée en 2020, début 2021 n’est plus un argument, remplacé par celui de la baisse de pouvoir d’achat et la réallocation de cette épargne vers la consommation de base.
En conclusion, la distribution spécialisée reste partagée entre le scenario qui verrait l’inflation profiter aux valeurs qui vendent du low-cost et toutes les autres qui doivent gérer excédents de stocks, difficulté à faire passer les hausses de coûts, les ruptures d’approvisionnement et les réallocations de ressources entre le réseau physique et en ligne. Le modèle cherche à se réinventer en proposant un mix achat / location, neuf / usagé, produits / services pour essayer de rentabiliser au mieux la relation clients et l’image de marque. Cette dynamique de croissance marque le pas depuis plusieurs mois et les investisseurs se raccrochent aux publications trimestrielles pour connaitre le rythme de correction des attentes. Comme pour le luxe, tout le monde espère qu’une bonne publication trimestrielle permettra de faire oublier 3 mois de sous-performance des cours. Le rebond tactique peut alors être majeur (voir Inditex ou Dollar Tree récemment), mais cela reste l’exception qui confirme la règle et illustre aussi le fait que le marché n’a pas encore accepté que les corrections de BPA pourraient perdurer avec un levier opérationnel négatif comme on l’a vu qui va croissant (avec les stocks c’est la seule chose qui va croissant…) : Sur 84% du secteur Phiadvisor reste vendeur.
Laurent Dubois
Head of Sales / Directeur Commercial
Phiadvisor
40, rue du Colisée-75008 Paris
Email : l.dubois@phi-advisor.com
Mobile : +33 6 52 81 60 06
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