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Économie

Pourquoi les prix des produits alimentaires vont rester durablement élevés (Schroders)

9
Sep
2022

Felix Odey - Gérant de portefeuille Actions mondiales – Ressources naturelles


Les prix de certaines matières premières agricoles ont connu une envolée spectaculaire depuis que la Russie a envahi l’Ukraine fin février.


Le graphique ci-dessous montre l’ampleur de cette flambée, les prix du blé ayant enregistré la plus forte hausse.

Ces prix sont selon nous voués à rester proches de ces niveaux élevés dans un avenir prévisible.

La demande devrait rester élevée, tandis que l’offre restera limitée cette année et l’an prochain. Cette tension de l’offre et de la demande pourrait même s’aggraver en 2023 et au-delà. En effet, les conditions météorologiques imprévisibles rendent l’offre plus incertaine, outre la possibilité d’une perturbation continue de la production en Ukraine.

Dans le même temps, les cultures seront probablement produites avec moins d’engrais, suite à la forte hausse des prix et à la perturbation de l’offre sur le marché des engrais du fait de la guerre.

L’Ukraine et la Russie sont des exportateurs majeurs de matières premières

La raison de cette hausse des prix apparaît clairement lorsque l’on considère le poids de l’Ukraine et de la Russie dans les exportations de produits alimentaires et d’autres matières premières. L’huile de tournesol et les céréales (maïs, blé et orge) ont été les plus touchées côté agriculture.

La potasse (40 % des exportations mondiales si l’on inclut la Biélorussie) a subi les plus fortes perturbations côté engrais.


La durée de la perturbation de l’offre en Ukraine reste incertaine. Cependant, bon nombre des principales régions agricoles ont été le théâtre de combats acharnés, avec le minage à grande échelle de terres agricoles et la destruction d’équipements agricoles.

La perturbation des exportations de matières premières en provenance d’Ukraine et de
Russie aura également des répercussions sur les prix d’autres matières premières. Les prix de l’huile de palme devraient augmenter, sachant qu’elle est de plus en plus utilisée comme substitut à l’huile de tournesol, par exemple.

La hausse des prix d’un large éventail de matières premières a également pour effet de désinciter les agriculteurs d’autres régions à se tourner vers le blé, ce qui permettrait de remédier à certaines contraintes d’approvisionnement, étant donné qu’ils peuvent de toute façon obtenir des prix raisonnables pour d’autres cultures.

La perturbation de l’offre d’engrais pourrait réduire le rendement des cultures


Un autre élément qui limite la capacité d’autres régions à résorber les pénuries attendues est la perturbation de l’offre d’intrants tels que les engrais. Le coût des engrais pour les agriculteurs américains est passé de 14 % du chiffre d’affaires en 2020 à environ 23 % en 2022.

Cela se traduit déjà par de nouveaux choix en matière de cultures. Par exemple, les agriculteurs américains prévoient de planter des niveaux record de soja (qui nécessite relativement moins d’engrais) et moins de blé et de maïs de printemps, selon la toute dernière enquête de l’USDA.

Récemment, des signes de destruction de la demande d’engrais sont apparus. Dans la mesure du possible, les agriculteurs se sont abstenus d’acheter des engrais dans l’espoir que les prix retombent dans le courant de l’année. Ce vœu s’est avéré être une prophétie auto-réalisatrice, les prix américains étant inférieurs de 35 % à leur pic du mois de mars.

Dans le cas du blé, l’épandage d’engrais commence relativement tôt dans la saison, avec un pic de fin juin à la mi-août. Les prochaines semaines devraient donc permettre de voir dans quelle mesure la demande est détruite, plutôt que reportée.

Plusieurs pays limitent leurs exportations de produits alimentaires


Compte tenu de la perturbation des exportations de cultures et d’engrais, il n’est pas surprenant que différents pays prennent des mesures pour protéger leur approvisionnement alimentaire. Actuellement, environ 17 % du marché mondial en termes de calories est soumis à des restrictions alimentaires.

La dépendance aux importations de produits alimentaires varie, mais elle atteint 100 % dans certains pays de la région MOAN (Moyen-Orient et Afrique du Nord).

À mesure que le marché se resserre, l’offre dépend de plus en plus des producteurs marginaux, c’est-à-dire ceux qui produisent des quantités relativement faibles. Cela augmente le risque de volatilité des prix des produits alimentaires due à des phénomènes météorologiques extrêmes. On constate que l’Afrique occidentale est particulièrement menacée, avec 70 % des terres cultivées exposées à la sécheresse.

L’approvisionnement alimentaire tendu pourrait mettre en péril la transition vers les biocarburants

Outre la limitation des exportations, une autre réponse aux tensions sur les marchés des matières premières agricoles pourrait consister à modifier les flux et les usages. Près de 20 % du blé mondial est consacré à l’alimentation animale, il est donc possible que des substituts soient produits pour tenter de réserver le blé à la consommation humaine.

Les biocarburants sont un autre domaine susceptible d’être affecté, sachant qu’ils consomment environ 10 % du blé mondial. Les fabricants de biocarburants de première génération (qui utilisent des aliments comestibles plutôt que les déchets) pourraient faire l’objet de pressions politiques en cas de pause ou de suppression des subventions publiques. Les contraintes d’approvisionnement et l’atteinte à la réputation constituent
également des risques.

Nous avons récemment assisté à un débat parmi les pays du G7 pour tenter d’atténuer les pénuries alimentaires. Les mandats préconisent de mélanger les biocarburants à de l’essence ordinaire et au diesel afin de réduire les émissions. Si un report est décidé, il sera très difficile pour des pays comme l’Allemagne de respecter leurs engagements carbone dans le domaine du transport. Le fait que cela soit envisagé montre l’ampleur du dilemme auquel les responsables politiques sont confrontés du fait de l’inflation.

La sécurité alimentaire est une préoccupation de long terme


La crise ukrainienne a mis en évidence l’importance de la sécurité alimentaire. Par ailleurs, le discours à plus long terme concernant l’approvisionnement alimentaire évolue.

La croissance démographique signifie que la production mondiale d’aliments et d’eau devrait augmenter de 70 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2010. Compte tenu du climat et des facteurs environnementaux plus généraux, l’intensité de l’utilisation des ressources devra diminuer d’environ deux tiers dans le même temps.

À court terme, il est probable que la sécurité alimentaire soit la priorité des gouvernements. La hausse des prix des engrais, le resserrement du marché des équipements agricoles et la perturbation des chaînes de valeur pour des produits tels que les pesticides font que les rendements mondiaux dans l’ensemble du secteur des matières premières agricoles pourraient baisser cette année et l’an prochain.

À plus long terme, le système devra devenir plus durable, ou il sera soumis à des spirales négatives de plus en plus préjudiciables telles que des conditions météorologiques extrêmes et la dégradation des écosystèmes. Même dans le cadre d’un scénario d’un réchauffement climatique de 2 degrés, les rendements du blé et du maïs sont voués à diminuer de 14 % et 12 %, respectivement.

Autant de facteurs qui augurent de prix élevés des produits agricoles dans un avenir prévisible.

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