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Économie

Franklin Templeton : boom de la productivité, nouvel essor ou illusion ?

27
Feb
2024
Sonal Desai, CIO de Franklin Fixed Income, explique pourquoi la croissance de la productivité pourrait s'avérer durable, ce qui conduirait à des rendements supérieurs des investissements réels et à un taux d'intérêt d'équilibre plus élevé.

La croissance de la productivité américaine s'est fortement accélérée en 2023. Les marchés financiers ont été très attentifs aux différents indicateurs de l'inflation, de la croissance des salaires, de l'évolution de l'emploi et du chômage, ainsi que de la confiance des consommateurs et des entreprises.

Mais je pense que la productivité pourrait s'avérer devenir l'évolution économique la plus intéressante et la plus importante, et qu'elle mérite une attention accrue.

La productivité nous indique la quantité qu'une économie est en mesure de produire avec un niveau de ressources donné. La productivité du travail, en particulier, nous indique la capacité de production de la main-d'oeuvre d'une économie, compte tenu du stock de capital et de la technologie disponible. Une accélération de la croissance de la productivité permet d'améliorer plus rapidement les revenus par habitant et le niveau de vie. Elle a également un impact important sur les marchés financiers : un dollar investi dans l'activité économique réelle offre un meilleur rendement. Toutes choses égales par ailleurs, cela devrait se traduire par une meilleure performance des marchés boursiers.

Une accélération de la croissance de la productivité se traduit également par un renforcement des opportunités d'investissement réelles et une augmentation correspondante de la demande de capital, ce qui conduit généralement à une hausse du taux d'intérêt d'équilibre (ou « neutre »), le fameux « r* ». Ce constat est étayé par le graphique ci-dessous, qui montre une étroite corrélation entre la croissance de la productivité et l'estimation du taux d'intérêt neutre.


Illustration 1 : Croissance de la productivité aux États-Unis et taux neutre

Au cours de la dernière décennie, les défenseurs de l'hypothèse de la stagnation séculaire ont soutenu qu'une croissance structurellement plus faible de la productivité se traduirait par une croissance économique faible et des taux d'intérêt durablement bas. Cette vision se reflète encore dans les projections de la Réserve fédérale (Fed) pour le taux des fonds fédéraux à long terme à 2,5 %, ce qui implique un taux neutre réel d'à peine un demi pour cent (l'inflation est supposée atteindre son objectif de 2 % à long terme).

Quid de la productivité ? Commençons par quelques chiffres : la croissance de la productivité du travail (production par heure travaillée) s'est accélérée, passant de -0,6 % au premier trimestre 2023 à 1,2 % au deuxième trimestre, 2,3 % au troisième trimestre et 2,7 % au quatrième trimestre.1

La dernière partie de l'année dernière semble particulièrement encourageante : la croissance annuelle de la productivité s'est établie en moyenne à 2 % au cours des neuf derniers mois et à 2,5 % au cours des six derniers mois.2 Pour comprendre la signification de ces chiffres, il convient de les replacer dans une perspective historique.

Au cours des deux décennies écoulées entre 1974 et 1995, la croissance de la productivité américaine a atteint en moyenne 1,5 %. Puis, entre 1996 et 2005, la croissance de la productivité a doublé pour atteindre 3 %.3 De nombreux travaux universitaires considèrent que la première vague d'innovation numérique, la révolution des technologies de l'information et de la communication (TIC), est à l'origine de la majeure partie de cette accélération. Les ordinateurs se sont imposés dans l'économie et les entreprises ont progressivement compris comment tirer parti de leur puissance pour accroître leur efficacité. L'impact de la vague des TIC s'est ensuite estompé et la croissance de la productivité est revenue à une moyenne annuelle de 1,5 % entre 2006 et 2022.


Illustration 2 : Croissance de la productivité aux États-Unis

L'accélération de la croissance de la productivité enregistrée fin 2023 pourrait-elle marquer un tournant, une évolution vers le taux de 3 % de la décennie dorée précédente ? Cependant, je vois plusieurs raisons de ne pas rejeter trop rapidement les derniers chiffres comme du bruit statistique, et de suivre les données de près :

- Bien que les données soient volatiles, depuis 2006, la croissance de la productivité ne s'est accélérée qu'une seule fois au-delà de 2 % pendant deux trimestres ou plus : entre le troisième trimestre 2019 et le premier trimestre 2020. (Abstraction faite des rebonds post-crise financière mondiale et post-COVID, périodes durant lesquelles les fluctuations de la productivité ont été induites par des variations importantes de l'emploi).

- La dernière accélération de la productivité s'est produite dans le contexte d'un marché du travail extrêmement dynamique. Elle ne reflète pas les licenciements, mais plutôt le fait que les entreprises sont plus efficaces dans une situation de (plus que) plein emploi, ce qui se traduit par un ralentissement du rythme des embauches.

- La dernière décennie a été marquée par des avancées très impressionnantes dans le domaine des nouvelles technologies. Même en tenant compte des inévitables exagérations du cycle de hype, il ne fait aucun doute que les dix dernières années ou plus ont vu une accélération impressionnante de l'innovation technologique, en particulier dans la catégorie Industrie 4.0. Il serait surprenant que cette nouvelle vague d'innovation ne déclenche pas, à un moment donné, une accélération de la croissance de la productivité. (Je ne considère même pas ici l'impact potentiel de l'IA générative, car il est beaucoup trop tôt pour commencer à en voir les effets).


Depuis une dizaine d'années, les économistes se demandent pourquoi toute cette innovation ne s'est pas traduite par une accélération de la croissance de la productivité. Certains affirment que nous sous-estimons la valeur de la production, et donc la productivité, parce qu'une grande partie de la valeur de l'innovation numérique est gratuite et que les ajustements hédoniques ne la prennent pas entièrement en compte. L'exemple classique est le smartphone, qui, bien que coûteux, sert de téléphone, d'appareil photo, de calculatrice, de système de navigation, etc. Toutefois, plusieurs études indiquent que cela ne représente qu'une petite partie de la productivité « manquante ». D'autres soutiennent que l'innovation numérique se résume à des jeux et des publicités, sans impact significatif sur la croissance économique, mais cette argumentation, défendue notamment par Robert Gordon, économiste de l'université Northwestern, semble sous-estimer la puissance des nombreuses nouvelles technologies développées et déployées.

Une troisième explication est qu'il faut du temps. Les entreprises doivent réfléchir au déploiement de nouvelles technologies, à la restructuration des opérations et à l'acquisition de nouvelles compétences par la main-d'oeuvre. Cette situation s'est déjà produite par le passé. En 1987, Robert Solow, prix Nobel d'économie, a lancé une boutade célèbre : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité. » Quelques années plus tard, la croissance de la productivité a doublé. Il n'est pas certain que nous soyons à la veille d'un nouveau boom de la productivité, mais cela vaut la peine de suivre de près l'évolution de la situation.

Cette discussion semble particulièrement pertinente lorsque nous réfléchissons à l'évolution probable des taux d'intérêt lorsque l'inflation sera maîtrisée. Lors de sa dernière conférence de presse, le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré qu'il s'attendait à ce que la productivité ralentisse pour revenir à ses niveaux antérieurs ; toutefois, d'autres responsables de la Fed ont exprimé un point de vue plus optimiste. Si la croissance de la productivité atteint effectivement un rythme plus soutenu, le taux d'intérêt neutre sera nettement supérieur à celui indiqué jusqu'à présent par la Fed dans ses projections, et à celui attendu par les marchés. Un taux directeur d'équilibre d'environ 4 % serait plus réaliste que les 2,5 % prévus par la Fed, comme je le soutiens depuis longtemps. C'est la raison pour laquelle la productivité est, selon moi, une variable qu'il convient de surveiller de près.

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