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Analyses de marchés

Natixis IM : pourquoi tout le monde parle de... market timing

19
Mar
2024
Chaque mois de janvier débute par un déluge de notes prospectives et de prévisions de marché pour l’année à venir.

Les questions ont un air de déjà-vu : peut-on parler d’un tournant économique ? Allons-nous assister à une hausse ou à une baisse des marchés ? Quand les banques centrales commenceront-elles à baisser leurs taux en 2024 ? Les conditions de liquidité vont-elles s’améliorer ou empirer ?

À mesure que l’année avance, de nombreux investisseurs entendront certains dictons courants sur les marchés financiers, tels que « sell in May and go away » (vendre en mai et s’en aller) issus d’une idée fantaisiste selon laquelle il vaudrait mieux éviter les marchés boursiers et de détenir des liquidités pendant les mois d’été. Derrière ces questions familières et ces vieux adages se cache l’idée du « market timing », une approche de l’investissement qui tente de saisir le moment où les prix des actifs changent de direction.

En théorie, cela peut sembler une approche sensée de l’investissement. Toutefois, se concentrer sur le « market timing » est une stratégie d’investissement extrêmement controversée. Par ailleurs, ses plus fervents détracteurs diraient même qu’il ne s’agit pas du tout d’une stratégie, mais plutôt d’un énorme pari.

Charlie Munger, vice-président de Berkshire Hathaway et associé incontournable de Warren Buffett, nous a quittés en novembre dernier, peu avant son 100e anniversaire, mais ses nombreuses observations et commentaires incisifs resteront dans les mémoires pendant des années. L’un d’entre eux est particulièrement pertinent concernant le problème du market timing : « Le monde est rempli de parieurs intrépides, et ils n’obtiendront jamais d’aussi bons résultats que les investisseurs patients.1 »


Qu’est-ce que le market timing ?

Le market timing est un style d’investissement qui vise à saisir les moments auxquels les cours sont sur le point de changer de direction, dans le but de bénéficier des gains à court terme. Celui-ci est souvent comparé à la stratégie « Time in the Market », l’idée selon laquelle il est plus pertinent de conserver ses positions plutôt que d’essayer d’anticiper les mouvements du marché.

Les adeptes du « market timing » s’appuient sur une série de techniques pour atteindre leurs objectifs. Ceux-ci peuvent guetter certains signaux spécifiques et vendre ou acheter quand certains chiffres, telles que les statistiques économiques, atteignent certains niveaux. Autrement, ils peuvent observer les tendances du marché et acheter ou vendre en cas de chute ou de hausse des cours à un niveau situé hors d’une fourchette historique. Cependant, si les tournants des marchés paraissent évidents avec le recul, il est beaucoup plus difficile, voire impossible, de repérer ces moments en temps réel


Pourquoi est-il si difficile d’anticiper le marché ?

La plus grande difficulté de ce type de stratégies consiste à distinguer les signaux significatifs du simple « bruit du marché ». Sur les marchés financiers, le « bruit » désigne la cacophonie de données qui peuvent masquer les véritables tendances sous-jacentes des cours.

Les prix des actions évoluent constamment et chaque mouvement est le résultat de transactions individuelles. Les traders peuvent réagir à une information particulière, à leurs propres objectifs dynamiques, ou pire, à leurs propres rêves ou craintes.

Pour pouvoir anticiper le marché, un trader doit être capable de distinguer le bruit des véritables signaux. Il doit également pouvoir le faire de manière cohérente, car même s’il y parvient de temps en temps, lorsqu’il se trompe, il manque des gains et peut même subir des pertes.

Historiquement, les stratégies d’investissement à long terme ont produit des rendements solides supérieurs à l’inflation. Entre 1996 et 2022, le S&P 500 a enregistré des rendements moyens de 6,8 % par an en termes réels2. Cette période a pourtant vu les marchés chuter plusieurs fois, souvent de manière imprévue, comme lors de la crise financière mondiale de 2007 à 2008.

Conserver ses positions sur 25 ans aurait permis d’obtenir des rendements supérieurs à l’inflation. Battre ces performances en tentant d’anticiper le marché aurait supposé de prévoir avec précision la plupart des hausses et des baisses à court terme.

Les investisseurs les plus respectés de la planète voient généralement le market timing d’un mauvais œil. Warren Buffett a un jour déclaré qu’il n’était « pas doué pour prévoir les mouvements à court terme des cours des actions », en ajoutant : « Je n’ai jamais eu la moindre idée de ce que le marché boursier allait faire au cours des six prochains mois, ou de l’année prochaine, ou des deux années à venir.3 »

Le « time in the market » est-il simplement de l’investissement passif ?

Conserver ses positions n’est pas de la gestion passive. Bien que cela consiste aussi à détenir des investissements pendant des périodes plus longues, cela demande du discernement et une approche active de l’analyse de marché. Investir dans des entreprises en croissance qui ont du potentiel et conserver, ou même augmenter ces investissements sur plusieurs années, est un type d’investissement actif à long terme.

Attendre le bon moment pour une transaction s’inscrit toujours dans l’investissement actif à long terme, mais qui n’essaie pas de tirer profit des signaux du marché à court terme. Ignorer les signaux de marché qui n’ont pas de réelle signification est, en soi, une décision active : l’investissement actif rationnel implique des processus rigoureux basés sur l’analyse plutôt que des décisions d’opportunité motivées par les émotions.


Quels facteurs à court terme influencent le prix des actifs ?

En ce qui concerne l’évolution des marchés en 2024, les attentes sont mitigées. Les chiffres de la croissance économique sont encore volatils pour de nombreuses économies, et les perspectives concernant les taux des banques centrales restent incertaines. Par exemple, Andrew Bailey, le gouverneur de la Bank of England a récemment averti qu’il faudrait encore un certain temps avant que l’inflation n’atteigne le niveau souhaité4, tandis que le Comité de politique monétaire de la banque a indiqué qu’une nouvelle hausse des taux d’intérêts n’était pas à exclure5.

Cette incertitude est au cœur du débat sur le market timing. Choisir un moment précis pour investir dans des actions ou d’autres actifs risqués peut se révéler compliqué, et les indicateurs à court terme tels que les données sectorielles ou les résultats des sociétés (supérieurs ou inférieurs aux attentes), peuvent entraîner d’importantes fluctuations des cours à court terme.

Les actifs à revenu fixe, ou les obligations d’entreprises ou d’État, sont généralement considérés comme des investissements à long terme fiables. Le capital est relativement garanti et dans le cas des obligations d’État (les Treasury bonds américains ou les Gilts britanniques, par exemple), il est autant en sécurité que possible. Par ailleurs, le flux de revenu est prévisible.

Néanmoins, la valeur des obligations peut fluctuer à court terme en réponse aux ajustements des taux de la banque centrale, ou à l’évolution des attentes du marché concernant les futurs taux. Le prix des obligations d’État fluctuent également en fonction des prévisions concernant les emprunts publics : plus les besoins d’emprunt sont importants, plus les rendements exigés par les investisseurs seront élevés.

Les actifs privés sont souvent cités comme le type d’actifs pour lequel la période de détention est un facteur fondamental. Le private equity, la dette privée et l’investissement direct dans l’immobilier ou les infrastructures, impliquent tous un engagement à plus long terme.

En effet, à court terme, les actifs privés sont souvent censés afficher des rendements médiocres, voire négatifs, et qu’ils ne présentent des rendements supérieurs qu’à plus long terme. Les investisseurs institutionnels ont augmenté leurs répartitions en actifs privés ces dernières années, en partie pour garantir des rendements à long terme, mais également dans une optique de diversification à l’abri de la volatilité des marchés boursiers et obligataires.

Identifier des « mégatendances » dans le domaine commercial et économique est une méthode à laquelle ont recours les investisseurs professionnels pour tenter d’éviter le bruit du marché à court terme. La décarbonation de l’économie mondiale, qui profite au secteur de l’énergie renouvelable et à d’autres, et la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) sont deux exemples de mégatendances qui ont souvent été identifiées par les commentateurs financiers.6

Les experts s’accordent-ils sur l’évolution future des marchés ?

En un mot : non. Une enquête Natixis7 sur les attentes des investisseurs institutionnels a révélé que le sentiment dominant est l’incertitude.

Par exemple, les institutions sont partagées sur la question de savoir s’il sera possible d’éviter la récession dans un futur proche, et 51 % pensent que oui, tandis que 49 % s’attendent à son arrivée prochaine. Cependant, même ceux qui s’attendent à une récession sont divisés concernant le moment où elle se produira : 39 % la voient arriver au cours du premier semestre 2024, 42 % pensent qu’elle surviendra au deuxième semestre, et le reste s’attend à ce qu’elle arrive en 2025.

Cette diversité d’opinions se retrouve sur la question de savoir si les marchés financiers deviendront plus stables en 2024, puisque 59 % des participants s’attendent à des niveaux de volatilité plus élevés sur les marchés boursiers, alors que 39 % pensent que la volatilité touchera les marchés obligataires.

En effet, la synthèse que nous avons faite des perspectives de nombreuses institutions financières mondiales montre que la prudence est de mise face à l’incertitude issue de « circonstances exceptionnelles », à savoir un cycle de hausse des taux sans précédent, un contexte géopolitique tendu et l’arriéré de la dette Covid, parmi d’autres8.

Un grand nombre d’institutions financières mondiales ne se sont pas risquées à faire des prévisions à court terme, ayant été échaudées par l’écart entre leurs prévisions et la réalité de 2023 : une récession mondiale qui ne s’est jamais matérialisée, un « grand retour » des obligations qui tarde à se concrétiser, etc. Celles-ci ont plutôt choisi de se concentrer sur des perspectives à long terme avec une approche thématique de l’investissement qui inclut la prise en compte de la transition énergétique et de l’IA, et des prévisions économiques prudentes.

Cette division claire de l’opinion sur des questions aussi élémentaires concernant les marchés montre à quel point il est difficile d’anticiper leur évolution. Qui plus est, sans cesse tenter d’anticiper l’évolution du marché risque de laisser l’investisseur sur la touche en l’amenant à conserver des liquidités, dont le rendement est faible ou nul, pendant de longues périodes. Ainsi, investir activement, en recherchant la valeur dans les fondamentaux et en préférant des périodes de détention longue, s’est beaucoup plus souvent avéré porteur de rendements réels.

En fin de compte, un investissement réussi est, et a toujours été, une entreprise de long terme. Pour faire écho aux propos judicieux de Charlie Munger, il est plus important, et plus profitable, de conserver ses positions sur une longue période que d’essayer de prévoir les mouvements à court terme du marché. Sans oublier qu’agir ainsi est essentiel pour construire un portefeuille capable de résister autant aux périodes creuses qu’aux périodes fastes.

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