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Économie

Gemway Assets : carnet de voyage sur Marrakech

3
Nov
2023

Nous revenons de 2 jours à Marrakech au Maroc où était délocalisée cette année la réunion d’automne du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM). Nous avons eu l’opportunité à cette occasion de rencontrer 11 banquiers centraux et 1 ministre des Finances. L’ensemble des participants ont félicité le pays hôte pour la qualité de l’organisation de cet évènement dans un contexte compliqué après le tremblement de terre qui a affecté le pays début septembre.

POINTS CLES A RETENIR : Si l’idée de taux durablement plus élevés fait actuellement consensus auprès de la communauté des banquiers centraux, cela ne semble pas être un problème pour la plupart des économies émergentes dans la poursuite de leurs politiques monétaires. Hormis des cas spécifiques relatifs à des pays présentant d’importantes vulnérabilités préalablement à la pandémie, les grands pays émergents ont actuellement la capacité de mener des politiques monétaires davantage basées sur leurs développements domestiques. En ce sens plus autonomes vis à vis de la politique de la Réserve Fédérale américaine, du moins jusqu’à un certain point à court terme. Pour l’heure, la plupart ajustent leurs projections en intégrant le durcissement supplémentaire récent des conditions financières globales. Le représentant de Banxico (Mexique) est apparu comme le plus déterminé à durcir les conditions financières domestiques, suivi par les représentants de la Hongrie ou encore de l’Afrique du Sud. La normalisation monétaire débutée cette année principalement au sein de la région LatAm devrait se poursuivre prudemment (Brésil, Pérou). La banque centrale du Chili nous a semblé un peu plus agressive en termes d’assouplissement attendu, en lien avec la décélération de l’inflation et de l’activité domestique. Malgré le ralentissement économique en cours, la Colombie ne devrait pas commencer sa normalisation cette année avec un rythme d’inflation toujours très élevé et un taux de chômage sur un plus bas depuis 5 ans. Au Mexique, Banxico garde toutes les options ouvertes et semble prête à de nouvelles hausses de taux au regard du contexte domestique (révision haussière de la croissance, pressions sur la demande attendues avec le budget 2024, taux de chômage au plus bas - cf. Focus ci-après). 


Turquie (République présidentielle fédérale de 83,6 M d’habitants, PIB (ppa) de 2.668 Md$)

Rouge avec un croissant de lune blanc vertical (la partie fermée est du côté du guindant) et une étoile blanche à cinq branches centrée juste à l'extérieur de l'ouverture du croissant. Les couleurs et les motifs du drapeau ressemblent beaucoup à ceux de la bannière de l'Empire ottoman, qui a précédé la Turquie actuelle. Le croissant de lune et l'étoile servent d'insignes aux peuples turcs. Selon une interprétation, le drapeau représente le reflet de la lune et d'une étoile dans une mare de sang de guerriers turcs.


Revirement macroéconomique ou simple détour ?

Nous avons eu l’opportunité de rencontrer Mehmet Simsek, ministre du trésor et des finances, ainsi qu’Hafize Gaye Erkan, gouverneur de la banque centrale, afin de faire un point sur les perspectives économiques et monétaires du pays. Les deux responsables ne ménagent pas leurs efforts depuis plusieurs semaines pour communiquer avec transparence et précision leur programme d’ajustement macro-économique. Il vise à restaurer une approche rationnelle après des années de politiques non orthodoxes menées par le président Erdogan. Le programme d’ajustement présenté comporte 6 points clés : atteindre la stabilité des prix, restaurer la solidité budgétaire, rebalancer la croissance économique, réduire le déficit de la balance courante et reconstituer les réserves de change, sortir du programme de dépôts garantis et implémenter les réformes structurelles nécessaires. Un programme ambitieux à mettre en œuvre dans un contexte global difficile, marqué par une croissance du commerce mondiale médiocre et une montée du risque géopolitique. Le problème numéro un de l’économie turque est son inflation élevée et permanente. La banque centrale se montre déterminée à poursuivre son resserrement monétaire (cf. graphe 1) jusqu’à ce qu’elle constate une baisse permanente des anticipations d’inflation. La croissance des prix était de 61,5% à fin septembre et devrait légèrement augmenter à 65% d’ici la fin de l’année. La banque centrale anticipe une inflation à 33% à fin 2024, 15% à fin 2025 et 8,5% à fin 2026. L’économie est actuellement en phase de transition et devrait entamer sa phase de désinflation à partir de mi 2024. Pour l’heure les prix demeurent soutenus par l’inflation importée avec la dépréciation de la devise, la diffusion aux différents secteurs de la hausse des prix de l’essence, ainsi que par les ajustements fiscaux initiés par le gouvernement avant l’été. Le processus de resserrement monétaire est effectué suivant une approche holistique, la hausse des taux directeurs s’accompagnant d’un resserrement quantitatif ainsi que d’un durcissement sélectif des conditions de crédit, comme le plafonnement de la croissance de prêts. Les taux de marché ont ainsi été ajustés afin de faire converger les taux des prêts commerciaux et des dépôts bancaires. Une normalisation de la croissance des crédits à la consommation est en cours avec pour objectif une meilleure allocation des prêts davantage orientée vers l’activité productive. La croissance de 4,4% attendue pour cette année est plutôt robuste, comparée à la moyenne des 20 dernières années (5,4%).

L’institution monétaire projette une croissance à moyen terme revue à la baisse à 4%. Le gouvernement souhaite dorénavant une croissance de meilleure qualité, la composition actuelle de la croissance étant inflationniste. Mais le rebalancement de la croissance turque ne fait que commencer et va être un processus long. La consommation est toujours forte et l’offre globalement stable mais insuffisante. La demande interne demeure le principal moteur de la croissance. Les exportations sont actuellement faibles du fait d’une demande externe en berne. Sur le plan budgétaire, le tremblement de terre de février va avoir un impact certain mais non pérenne sur le déficit budgétaire (6,4% attendu en 2023). Hors dépenses exceptionnelles liées, l’ajustement budgétaire va se poursuivre (déficit structurel inférieur à 3% cette année), contribuant à maintenir un niveau d’endettement public bas. A 33% du PIB, celui-ci est inférieur de moitié à l’endettement moyen des pays émergents. Afin d’éviter toute détérioration budgétaire durable, le gouvernement a agi sur le front des recettes dès sa prise de fonction, avec le triplement des taxes sur l’essence, des hausses de TVA sur de nombreux biens et services ou encore l’augmentation de 5 points de l’impôt sur les sociétés à 25%. Le déficit de la balance courante (-5,7% du PIB) s’est dégradé par rapport à 2022 du fait des importations d’or et de produits alimentaires. Ce large déficit (-57Md$) est actuellement couvert à hauteur de 50% par les investissements directs étrangers (IDE). Cette année, deux tiers du déficit sont liés aux importations d’or des ménages et entreprises en raison des taux d’intérêt largement négatifs. Les taux réels ex-ante sont dorénavant positifs pour les déposants. En améliorant la prédictibilité de la politique économique du pays, le gouvernement souhaite améliorer les IDE (1,6% du PIB en moyenne sur les 20 dernières années). Le pays enregistre une belle performance en termes d’activité touristique et se fixe pour objectif d’atteindre 100Md$ de recettes liées en 2028 et devenir ainsi la 3e destination touristique mondiale devant les États-Unis.

Le gouvernement souhaite réduire sa dépendance énergétique en augmentant sa production domestique (>35% de la consommation nationale contre 31% actuellement), ce qui devrait contribuer à reconstituer les réserves de change du pays. Ces dernières sont passées de 98Md$ à fin mai à 122Md$ à fin septembre. Les dépôts des ménages sur les comptes garantis en Lire turque (KKM) ont montré des signes d’inflexion depuis l’été, avec une hausse des dépôts en Lire non garantis. Le gouvernement souhaite avancer de manière progressive et incitative en proposant une rémunération plus attractive sur les comptes en devise locale non garantis afin de ne pas générer d’effets indésirables liés à une fermeture brutale des comptes KKM. Le pays présente de sérieux atouts, tels sa taille, sa croissance élevée, sa situation géographique centrale, des infrastructures de qualités et se positionne comme un hub énergétique mondial. Par le biais de réformes structurelles, le gouvernement souhaite accroitre la productivité du pays en renforçant le capital humain et en flexibilisant davantage le marché du travail. Le succès du programme présenté dépendra de la capacité des dirigeants turcs à instaurer un cercle vertueux : implémentation de politiques solides, restauration de la confiance des investisseurs, retour des flux financiers, appréciation du taux de change réel, et enfin désinflation. Bien qu’Erdogan ait approuvé ce nouveau programme économique, investisseurs et économistes s’inquiètent de savoir combien de temps durera la patience du président à l’égard du resserrement de la politique monétaire. Si la politique évolue dans une direction plus orthodoxe, l’accent mis depuis longtemps par Erdogan sur la croissance représente un sérieux défi pour les décideurs politiques qui tentent de maîtriser l’inflation. Les élections locales en mars 2024, au cours desquelles l’AKP d’Erdogan cherche à reprendre le contrôle de la plus grande ville du pays, Istanbul, ainsi que de la capitale Ankara, sont considérées comme un point de crispation potentiel. Un ralentissement économique trop marqué pourrait entraîner un revirement de politique économique dont le pays a été coutumier ces dernières années. Face à ce risque majeur, le mandat confié au ministre de l’Économie semble solide et ne devrait pas être renié pour des enjeux de politique locale, le pays étant confronté à un problème davantage structurel que conjoncturel. Par ailleurs, La politique en cours vise à adresser la principale préoccupation de l’électorat lors des dernières élections générales à savoir l’inflation.


Mexique (République présidentielle fédérale de 129,9 M d’habitants, PIB (ppa) de 2.418 Md$)

Trois bandes verticales égales de couleur verte (côté hampe), blanche et rouge. Les armoiries du Mexique (un aigle avec un serpent dans son bec perché sur un cactus) sont centrées dans la bande blanche. Le vert signifie l'espoir, la joie et l'amour ; le blanc représente la paix et l'honnêteté ; le rouge représente la robustesse, la bravoure, la force et le courage. Les armoiries sont issues d'une légende selon laquelle le peuple aztèque, en pleine errance, devait s'installer à un endroit où il verrait un aigle sur un cactus en train de manger un serpent. La ville qu'ils fondèrent, Tenochtitlan, est aujourd'hui Mexico.


Désynchronisation du Policy-mix

L’annonce début septembre d’un budget pré-électoral étonnamment expansionniste a entraîné une sous-performance des actifs mexicains au sein de l’univers des pays émergents. Si le déficit budgétaire prévu de 4,9% du PIB est le plus important depuis 1988, il reste relativement limité au regard des standards internationaux et se traduirait par un solde primaire déficitaire contenu de -1,2% (cf. graphe 2). Il ferait également suite à 5 années de conservatisme budgétaire sans équivalent dans le monde. Par ailleurs, le niveau d’endettement public est particulièrement bas (40% du PIB, 47% en incluant les entreprises publiques non garanties) et ne serait que marginalement affecté (+2,3 points d’endettement supplémentaire attendu - cf. graphe 2). Dans ce contexte, il nous semblait particulièrement intéressant de recueillir le sentiment d’un membre éminent de la banque centrale mexicaine (Banxico) en la personne de Jonathan Heath quant à l’intégration de ce budget expansionniste en termes de politique monétaire. Le gouverneur adjoint a souligné en guise d’introduction que la composante volatile de l’inflation était hors du contrôle de la banque centrale, et que celle-ci se concentrait ainsi exclusivement sur l’inflation sous-jacente. Pour lui, la désinflation de l’indice général des prix (+4,5% yoy à fin septembre) est liée aux éléments volatils (+0,6% yoy) et résulte principalement de la chance. Tendance favorable qui toucherait à sa fin et devrait prochainement accélérer à nouveau, nécessitant une vigilance renforcée de Banxico. 

Sur la composante sous-jacente (+5,8% yoy), les prix des marchandises (4,6% yoy) ont tendance à suivre la tendance globale, baissière actuellement. La croissance des prix alimentaires, très médiatisée, poursuit sa décélération mais demeure à un niveau très élevé (+7,6% yoy). L’inflation dans les services demeure stable à un niveau élevé également (+5,2% yoy). Banxico a légèrement révisé à la hausse ses prévisions d’inflation avec un écart de production négatif et un marché du travail très tendu traduisant une activité économique particulièrement vigoureuse. Le taux de croissance actuel est inédit sur la décennie passée, soutenu par des dépenses d’investissement en accélération au Q2 (+21% yoy) et des dépenses de consommation à la croissance robuste autour de 4% yoy. Le taux de chômage est sur un plus bas historique et la croissance du crédit aux entreprises comme aux ménages demeure dynamique. La croissance totale est attendue supérieure à 3% en fin d’année, probablement proche de 3,5%. Dans le nord du pays, les entreprises industrielles tournent à 100% de leurs capacités et sont confrontées dans le même temps à une raréfaction de la main d’œuvre. Il y a par ailleurs des problèmes de transmission d’électricité qui créent d’importants goulots d’étranglement. L’annonce d’un déficit budgétaire conséquent pour 2024 a été une surprise pour les membres du comité monétaire. C’est également une source d’inquiétudes dans la mesure où cela ne va pas les aider à réduire l’inflation. La désynchronisation du Policy-mix va ainsi rendre leur tâche plus difficile. Banxico va devoir durcir davantage sa politique monétaire en 2024 avec l’augmentation des dépenses attendues. Et il sera très probablement difficile pour la nouvelle administration de durcir sa politique budgétaire en 2025. En synthèse, l’économie mexicaine montre actuellement des signes de surchauffe, et de nouvelles pressions émanant de la demande vont apparaître sous les effets de la stimulation budgétaire annoncée. Banxico va ainsi devoir prolonger sa trajectoire, et sa prochaine décision, en fonction des données, pourrait être d’augmenter son taux directeur et non de l’abaisser. La priorité numéro un est l’inflation et la dominance budgétaire n’est pas un sujet. Ayant durci sa politique monétaire bien en amont de la Réserve Fédérale américaine, Banxico peut se permettre un peu de latitude actuellement et se focaliser davantage sur les problématiques domestiques. Elle pourrait en conséquence tolérer une réduction du différentiel de taux jusqu’à un certain point en cas de resserrement supplémentaire de la Fed. Quand la banque centrale sera prête à normaliser sa politique monétaire, elle tiendra compte de la position adoptée par son homologue américain. Les 2 banques centrales ont historiquement une synchronisation élevée avec une amplitude plus marquée du côté de Banxico.

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