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Analyses de marchés

Credit Suisse a-t-il enterré le marché des CoCos ? (La Française AM)

20
Apr
2023
Les AT1 CoCos pourraient voir des coupons plus élevés, mais pas en réponse aux problèmes de Credit Suisse. Des non-calls sont attendus, mais l'attrait demeure.

Jérémie Boudinet, Responsable Crédit Investment Grade, Entrevue du 12 | 04 | 2023

Compte tenu de ce qu’il s'est passé avec Credit Suisse, pensez-vous que les émetteurs de CoCos devront verser des coupons plus élevés pour attirer des capitaux ?

Oui, les émetteurs devront payer des coupons plus élevés en moyenne sur leurs émissions AT1 CoCos, mais non à cause de ce qui est arrivé aux obligations de Credit Suisse, ni parce qu'ils devront attirer des investisseurs ! Ce segment de marché diffère des obligations de catégorie Investment Grade ou High Yield (à haut rendement) en termes de conditions d'émission et de refinancement.

Les AT1 CoCos bancaires sont soumises à une surveillance réglementaire spécifique et doivent respecter plusieurs clauses précises dans leur documentation contractuelle. En outre, chaque banque dispose d'un montant explicite d'obligations AT1 à émettre, fixé par son régulateur. Si la banque n'est pas en mesure d’en émettre suffisamment pour optimiser son coussin de fonds propres dédié, le déficit de fonds propres réglementaires devra être comblé par des fonds propres de base (c'est-à-dire des actions ordinaires). En tant que tel, le marché des AT1 CoCos en Europe a déjà plus ou moins atteint sa taille maximale, à quelques exceptions près pour quelques banques de plus petites tailles, et la quasi-totalité de l'offre nouvelle est destinée à refinancer les obligations existantes.

A l’émission, la plupart des coupons pour les dettes AT1 libellées en euros sont fixés comme suit : taux swap actuel à 5 ans + spread. Ces obligations sont perpétuelles mais bénéficient d'une première date de remboursement anticipé (« call ») (au moins 5 ans après l'émission) et de dates de call ultérieures qui dépendent des conditions contractuelles de l'émission (tous les 3 mois, tous les semestres, tous les ans, tous les 5ans...). Si une banque ne peut pas rembourser son obligation AT1, la nouvelle formule de coupon est réinitialisée à la date de call, comme suit : nouveau taux swap à 5 ans + le spread initial à l'émission (également appelé « spread de réinitialisation ») jusqu'à la prochaine date de call/de réinitialisation.

Un call peut avoir lieu, seulement s'il a été approuvé par le régulateur de la banque (par exemple la BCE), à condition que (i) l'obligation remboursable par anticipation ait été refinancée préalablement et que (ii) ce refinancement ait eu lieu à un coût similaire ou inférieur pour l'émetteur. La définition du « coût similaire » est volontairement vague et dépend d'une mesure spécifique : le spread de réinitialisation. Une banque ne refinancera sa prochaine AT1 CoCo remboursable que si elle peut fixer le coût d'une nouvelle avec un spread similaire ou inférieur. Les coupons n'ont pas vraiment d'importance en soi, car les banques échangent généralement leurs émissions à taux fixe contre une base variable, ce qui fait du spread le critère décisif pour prendre unetelle décision.

En janvier, plusieurs émetteurs sont venus sur le marché pour refinancer des calls à venir,comme Banco Sabadell, qui a émis une nouvelle CoCo avec un coupon de 9,375 %(taux swap à 5 ans au moment de l'émission + marge de 683 pb) pour rembourser son obligation AT1 à 8,735 % avec une date de call en février, même si le spread sur cette dernière était plus faible, à 605 pb.

Plus largement, les émetteurs devront sans doute payer des coupons plus élevés sur leursAT1 CoCos dans les trimestres à venir, soit parce qu'elles ne seront pas remboursées et seront réinitialisées avec des coupons plus élevés (mais avec le même spread), soit parce qu'ils pourront les refinancer à un spread équivalent ou inférieur, mais toujours avec une base de taux plus élevée que par le passé (le taux de swap actuel à 5 ans était de 3,05% à la fin mars 2023).

En conclusion, il faut s'attendre à de nouveaux non-calls sur le marché des AT1, mais cela ne signifie pas que leur portage puisse diminuer, car les coupons seront naturellement réinitialisés à des niveaux plus élevés, grâce à la base de taux de swap plus élevée.

Comment cet événement pourrait-il modifier la configuration du marché ?

Au cours des dernières années, les AT1 CoCos ont été coutumières de pics de volatilité et au non-exercice des options de call. La dépréciation totale des AT1 CoCos de Credit Suisse a choqué leurs détenteurs, qui semblaient avoir oublié que l'objectif de ces obligations était d'absorber les pertes en cas de « non-viabilité » de la banque émettrice.

Oui, la hiérarchie des créanciers n'a pas été pleinement respectée, puisque les actionnaires ont tout de même obtenu une très petite compensation à la fin du bal, alors que les détenteurs d'AT1 ont tout perdu (ce qui n'est pas tout à fait vrai non plus, puisque ces obligations peuvent encore être échangées à quelques points de pourcentage de leur valeur de remboursement théorique avant dépréciation, ce qui est plus que zéro). Cela nous rappelle une fois de plus que la stabilité financière passe avant la documentation contractuelle des obligations et les lois de résolution.

Nous ne pensons pas que les investisseurs vont quitter ce segment, ni que les AT1 CoCos sont devenues non investissables, comme le montre leur rebond après l'effondrement de Credit Suisse Cependant, ce gisement obligataire pourrait continuer à se négocier avec une prime significative par rapport à d'autres segments du crédit au cours des prochains mois, étant donné que certains « investisseurs touristes » pourraient devenir moins présents, tels que les mandats obligataires de la catégorie Investment Grade ou HighYield avec de petites allocations sur des CoCos, ou les allocataires au sein des banques privées en Asie, qui étaient désireux d'acheter des AT1 suisses auprès de leurs réseaux locaux.

Les AT1 CoCos se négocieront entre des investisseurs d'une composition légèrement différente au cours des prochains mois, avec davantage de fonds spéculatifs et moins d’investisseurs « touristes ». Tel était l'état du marché des AT1 à ses débuts, entre 2014 et2018, lorsque les obligations étaient déjà aisément négociables, mais avec des épisodes de volatilité potentiellement plus importants.

Credit Suisse était un important émetteur d'AT1 (avec 15,8 milliards de francs suisses d'obligations en circulation avant leur dépréciation), et ce segment de marché a perdu l'un de ses plus grands composants. Par conséquent, nous pourrions également assister à une plus grande diversification de la part des investisseurs d’AT1 CoCos, qui pourraient essayer de mettre un pied dans la dette subordonnée des compagnies d'assurance, les obligations hybrides des sociétés non financières ou les obligations bancaires Tier 2 à haut rendement.

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