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Analyses de marchés

Pictet AM : La perte de biodiversité devient un risque financier majeur

9
Oct
2023
La perte de biodiversité devient un risque financier majeur pour les entreprises, affectant leurs valorisations et leurs conditions de financement.

Les risques liés à la perte de biodiversité et à la dégradation des écosystèmes commencent à affecter les valorisations et les conditions de financement des entreprises.

La perte de biodiversité préoccupe depuis longtemps les scientifiques et les défenseurs de l'environnement, mais de nouvelles recherches montrent qu'elle est devenue un risque financier important pour les sociétés cotées en bourse et leurs investisseurs.

Plusieurs études publiées cette année ont révélé que les risques liés à la biodiversité commencent à affecter les valorisations des entreprises.

Les actions des entreprises cotées qui contribuent le plus à la perte de biodiversité ont été pénalisées. À l’inverse, les entreprises affichant des caractéristiques écologiques plus solides semblent bénéficier de coûts de financement plus favorables.

Une étude publiée par le Swiss Finance Institute a montré que la prime de risque exigée par les investisseurs pour les actions des entreprises ayant une plus grande empreinte sur la biodiversité a augmenté au cours des deux dernières années1.

Sur la base d'une analyse des performances des actions de plus de 2 000 entreprises de 32 pays, les chercheurs ont constaté que pour une augmentation d'un écart-type de la valeur de l'empreinte de la biodiversité de l'entreprise concernée, les actions de cette subissaient une augmentation mensuelle supplémentaire de la prime de risque de 23 points de base, soit une augmentation annualisée de 2,8%2.

Les entreprises dont l'empreinte moyenne sur la biodiversité est la plus importante tout au long de la chaîne de valeur sont celles qui opèrent dans des secteurs tels que le commerce de détail et de gros, le papier et la sylviculture, ainsi que l'alimentation.

En revanche, les loisirs, les services et l’éducation comptaient parmi les secteurs ayant l’empreinte la plus faible.

Cette augmentation des primes s’est produite entre les deux sommets de la COP (Conférence des Parties) sur la biodiversité, celui de Kunming, en Chine, en octobre 2021, et celui de Montréal, en décembre 2022. C'est lors de ces réunions que les gouvernements ont adopté le cadre mondial pour la biodiversité ("Global Biodiversity Framework", GBF), qui, selon les chercheurs, a permis de sensibiliser davantage les investisseurs à la perte de biodiversité et à la perspective de futures réglementations.

«Les résultats de notre analyse suggèrent que les investisseurs anticipent que les nouvelles réglementations viseront les activités commerciales dont l'empreinte sur la biodiversité est importante. En raison de l'incertitude politique qui en découle, une prime liée à l'empreinte sur la biodiversité commence à émerger», peut-on lire dans l'étude.

«Nous confirmons de précédents travaux de recherche selon lesquels les risques ESG sont de plus en plus pris en compte, et nous le démontrons pour ce qui est désormais, après le changement climatique, le sujet ESG le plus important pour les investisseurs institutionnels.»

Le GBF comprend un objectif qui exige des grandes entreprises et des institutions financières qu'elles contrôlent et divulguent leur impact sur la biodiversité, ainsi que les risques auxquels elles sont confrontées suite à la perte de biodiversité3.

Ces exigences s’appliqueront à l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise. Pour les institutions financières, les dispositions s’étendront aux investissements de portefeuille4.

Les chercheurs ont également constaté que les entreprises ayant une grande incidence sur la biodiversité ont connu une baisse cumulative du cours de leurs actions de 1,18% par rapport aux actions à faible incidence dans les trois jours qui ont suivi le sommet de Kunming, par rapport aux trois jours qui l'ont précédé.

Émergence d’une prime de risque

Selon d’autres recherches, la prime de risque liée à la biodiversité pourrait remonter jusqu’en 2010.

Un rapport publié par le National Bureau of Economic Research a analysé les états financiers et les rapports annuels des entreprises de 2010 à 2020. L'étude a révélé que les entreprises les plus exposées au risque lié à la biodiversité voyaient leurs cours boursiers sous-performer par rapport aux autres lorsque ce risque augmentait5.

Pour déterminer dans quelle mesure les cours des actions intégraient les risques liés à la biodiversité, les chercheurs ont articulé leur étude en deux parties.

Ils ont commencé par élaborer une mesure du risque lié à la biodiversité basée sur l'actualité en utilisant un modèle de traitement du langage naturel.

Ils ont par la suite construit des portefeuilles modèles d'actions par secteur, en les regroupant en fonction de ce que les chercheurs ont jugé être leur exposition au risque lié à la biodiversité.

Les portefeuilles détenaient des positions longues dans des secteurs faiblement exposés au risque lié à la biodiversité, tels que les semiconducteurs, les logiciels et les services de communication, et des positions courtes dans des secteurs fortement exposés à ce risque, notamment l’énergie, les services aux collectivités et l’immobilier.

Les chercheurs ont supposé que si le risque lié à la biodiversité est évalué, le rendement de ces portefeuilles triés en fonction de ce risque devrait évoluer en même temps que leur indice agrégé de nouvelles sur la biodiversité, se comportant ainsi comme un portefeuille de couverture du risque lié à la biodiversité.

Les corrélations entre les performances de ce portefeuille de couverture et leur indice de risque lié à la biodiversité étaient positives et atteignaient jusqu'à 0,2 - un résultat que les chercheurs ont qualifié d'important et de comparable à ceux obtenus par les portefeuilles de couverture climatique lorsqu'ils sont évalués par rapport à un ensemble d'informations de l'actualité sur le climat. Ce constat montre que la biodiversité devient un facteur de risque aussi important que le changement climatique.

Performances négatives en prévision

Fig. 1 Performances attendues par facteur Impact des facteurs de risque liés au carbone et à la biodiversité sur les rendements espérés des entreprises ayant une forte empreinte sur la biodiversité

Un autre groupe de chercheurs a examiné les entreprises des secteurs dont l'empreinte sur la biodiversité est importante, c'est-à-dire celles qui dépendent le plus des services écosystémiques et du capital naturel, à l'image de l'agriculture. Ils ont constaté que les investisseurs exigent une rémunération plus élevée pour détenir des entreprises qui ont un impact sur la biodiversité.

Les chercheurs français ont constaté un impact «négatif et significatif» sur la performance attendue des actions, ou sur la performance moyenne attendue des actions calculée à partir des prix des options6.

«Ces résultats montrent que, comme pour le risque carbone, les marchés prévoient que la perte de biodiversité deviendra un facteur de risque majeur dans les années à venir, en particulier pour les entreprises qui dépendent le plus de l'exploitation de la nature», explique le document de travail.

Prime sur les marchés obligataires

Une autre étude a mis en évidence l'émergence du risque relatif à la biodiversité sur les marchés obligataires.

Des chercheurs irlandais, français et suisses ont comparé les Credit Default Swaps (CDS), c'est-à-dire le coût de l'assurance de la dette contre le défaut de paiement, pour une durée comprise entre un et dix ans7.

Ils se sont concentrés sur les infrastructures, un secteur crucial dans la lutte contre la triple crise planétaire du dérèglement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution. Les infrastructures sont également responsables de près de 90% de l'ensemble des coûts d'adaptation au changement climatique8.

Ils ont constaté que les entreprises qui géraient mieux les risques associés à la biodiversité bénéficiaient de conditions de financement à long terme relativement plus avantageuses de 93 points de base par rapport aux entreprises les moins performantes (voir Fig. 2).

En outre, les résultats montrent que la différence est plus importante sur des périodes de prêt plus longues - ou la pente montrant un à dix ans°- que celle d'un à cinq ans. Cet aplatissement de la courbe des CDS, concluent les chercheurs, indique que les investisseurs perçoivent ces risques comme constituant des problèmes à long terme.

CDS
Fig. 2 Aplatissement de la courbeÉchelle des effets négatifs de trois variables environnementales sur l’inclinaison de la courbe des CDS

Sur la base des résultats de régression mensuels au cours d’une période d’échantillonnage allant de décembre 2007 à janvier 2018. Source: Hoepner, A. et al

«Pour protéger les espèces menacées ou préserver les habitats naturels, les lois qui, par exemple, interdisent la construction de routes ou de voies ferrées dans les zones protégées, pourraient entraîner des coûts supplémentaires élevés pour les entreprises actives dans ce secteur», peut-on lire dans l'étude.

Selon les chercheurs, la législation qui internalise déjà les coûts de dépollution pour les entreprises lorsqu'elles polluent sur site ou hors site, telle que la loi américaine sur la pureté de l'air, pourrait être un des éléments d'explication de ce phénomène.

Biodiversité: la fin du «business as usual»

Le nombre croissant d'études attestant de la matérialité financière de la perte de biodiversité met à nu les complexités et les coûts de la transition vers le «net zéro».

Le mécanisme d’évaluation du coût des risques liés à la biodiversité est un phénomène complexe qui évoluera au fil du temps.

Cela ne signifie pas pour autant que les entreprises et les investisseurs peuvent se permettre de ne pas tenir compte de la perte de biodiversité en tant que facteur de risque. Au contraire.

La Taskforce for Nature-Related Financial Disclosures (TNFD), un organisme sectoriel représentant des institutions financières et des entreprises dont les actifs s'élèvent à plus de 20 000 milliards de dollars, vient de lancer une série de 14 recommandations en matière de divulgation qui sont alignées sur le Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal ("Global Biodiversity Framework"). Nous verrons probablement d’autres évolutions réglementaires.

Tout cela signifie que les risques liés à la biodiversité deviendront un sujet de débat majeur dans les conseils d'administration des entreprises du monde entier. En tout état de cause, il s'agit déjà d'une variable financière importante, qui influe sur la manière dont les entreprises mènent leurs activités et dont les investisseurs allouent leurs capitaux.

Annexe: Une scène politique à l’évolution rapide

[1] Garel, A. et al, Do Investors Care About Biodiversity? (consulté le 26 mai 2023). Swiss Finance Institute Research Paper no 23-24, European Corporate Governance Institute – Finance Working Paper no 905/2023 https://ssrn.com/abstract=4398110
[2] Le calcul de l’empreinte biodiversité utilise une mesure basée sur un indicateur d’intégrité de la biodiversité en fonction des espèces
[3] https://www.cbd.int/article/cop15-cbd-press-release-final-19dec2022
[4] Pour pour en savoir plus, veuillez consulter cet article: https://am.pictet/en/globalwebsite/global-articles/2023/expertise/thematic-equities/cop15-and-investors
[5] Giglio, S. et al, Biodiversity Risk (4 avril 2023). https://www.nber.org/papers/w31137
[6] Coqueret, G. et Giroux, T.  A Closer Look at the Biodiversity Premium (21 juillet 2023). https://ssrn.com/abstract=4489550
[7] Hoepner, A. et al, Beyond Climate: The Impact of Biodiversity, Water, and Pollution on the CDS Term Structure (8 février 2023). Swiss Finance Institute Research Paper no 23-10, Michael J. Brennan Irish Finance Working Paper Series Research Paper no 23-4 https://ssrn.com/abstract=4351633
[8] https://www.unep.org/fr/resources/rapport/les-infrastructures-et-la-lutte-contre-les-changements-climatique
[9] https://www.bis.org/publ/bppdf/bispap130.pdf

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