Retour
Thématiques & Alternatifs

La spéculation dans le vin est-elle durable ? (Thomas Hébrard, U'wine)

18
Dec
2023
La spéculation dans le vin se traduit par l’anticipation de la valorisation des vins dans le temps.

La spéculation dans le vin

Le but du spéculateur est d’acheter pour revendre et de réaliser une plus-value. La spéculation des vins existe depuis toujours et est pratiquée par l’ensemble de la filière : les négociants dont le métier est de stocker et vendre, les châteaux qui gardent des vins pour les remettre sur le marché plus tard, les particuliers qui se constituent une cave et qui revendent ce qu’ils ne consomment pas. La spéculation a tendance à se concentrer sur certains millésimes ou appellations réputées, créant un marché focalisé sur des vins spécifiques. Cela peut négliger la valeur des vins moins connus mais tout aussi dignes d’attention. Cependant, les grands vins sont à déguster dans le temps ; c’est pourquoi la filière vin peut parfois bénéficier de ce système spéculatif qui récompense (via un rendement financier) celui qui a porté les millésimes.

Mais jusqu’à quelle limite la spéculation a du « bon » ?

Aujourd’hui, on constate que la spéculation s’est industrialisée et a pris le dessus sur la consommation, transformant une boisson conviviale, familiale, en un produit de luxe trop cher pour le collectif. Le Système Vin est devenu opportuniste et en a oublié sa raison première « promouvoir et vendre les vins que l’on aime partager avec ses proches ».

Le mal de tout un écosystème

La spéculation entraîne une distorsion des prix, faisant monter artificiellement la valeur des vins. Cela peut rendre les vins de qualité inaccessibles pour les consommateurs habituels et conduire à des pratiques de fixation des prix déconnectées de la réalité. Mais un vin cher peut l’être à 10€, 50€ comme à 200€, 5.000€ ou 10.000€ ; tout dépend du pouvoir d’achat de chacun. Et le prix d’un vin est moins cher pour un spéculateur que pour un consommateur ?! Ainsi, quand on crée des prix pour des spéculateurs et non plus pour des consommateurs, le Système se met en risque…
 
Et lorsque la spéculation conduit à des gains importants, cela contribue à la concentration de la richesse, favorisant principalement les investisseurs plutôt que les acteurs de l'industrie vinicole elle-même. Le cercle vicieux est amorcé.
 
Les entrepositaires tirent aussi partie de cette tendance. Imaginez-vous que certains peuvent voir la même bouteille passer cinq fois... les stocks débordent, on crée donc de nouveaux entrepôts et on entretient le cercle.
 
Pendant ce temps, le petit vigneron n’en tire aucun profit, voire vend à perte ; et peut ressentir une pression pour maximiser la production de vins spécifiques à fort potentiel spéculatif, au détriment du terroir et de la (bio)diversité. Cette pression sur la production peut compromettre la tradition et la créativité de l’industrie viticole et entraine une déconnexion entre la valeur financière d’un vin et sa véritable identité.
 
Pour finir, le consommateur souffre de la distorsion des prix et au lieu de chiner des vins à son budget, se tourne vers d’autres boissons plus abordables. Ces pratiques de prix déconnectées de la réalité tuent l’industrie du vin à petit feu.

Souhaite-t-on que nos grands crus deviennent des œuvres d’art ou restent un plaisir à partager ?

Dans le passé, ce qui a fait la valeur pécuniaire d’un vin est son nom/notoriété (idem pour l’art), son ratio demande/offre (idem pour l’art), la qualité intrinsèque du vin et du millésime (art non concerné), sa capacité à se bonifier dans le temps (art non concerné et un sacré avantage pour le vin) et sa rareté dans le temps (art non concerné mais l’art a une rareté imbattable dès l’origine).

Le vin se bonifie, oui, mais jusqu’à un certain moment ; la période d’apogée est limitée dans le temps et dépend de la qualité du millésime. La raréfaction se fait par la consommation.

La collection n’existe que par la rareté du vin/millésime au fil des années. La bouteille peut avoir passée son apogée de consommation, sa rareté permet à la bouteille de continuer à prendre de la valeur car c’est devenu un objet de collection.


Peut-on devenir un objet de collection sans rareté sur les bouteilles ? Imaginons un château qui produit 100 000 bouteilles de premier vin chaque année. Aucune bouteille n’est consommée dans le temps suivant l’hypothèse précédente. Est-il possible que la valeur de ces 100 000 bouteilles du millésime 2022 continue à s’apprécier dans 50 ans alors qu’il y aura sur le marché 5 000 000 bouteilles disponibles tout millésime inclus ? Verra-t-on en tant que spéculateur une différence de valeur significative entre ce millésime 2022 et le millésime 2072, qui offrira un ROI au millésime 2022 ?


Pour que le modèle spéculatif tienne dans ce schéma, il faudrait que la demande d’investisseurs spéculateurs augmente beaucoup plus que le nombre de bouteilles nouvellement disponibles sur le marché.


La demande d’investisseurs-spéculateurs a très fortement augmenté depuis dix ans et pourtant les performances ont baissé et le ciblage des vins s’est considérablement resserré. Ceci démontrerait-il que cette demande n’est pas suffisamment au rendez-vous pour tenir le Système ? La conjoncture marché actuelle démontre que cela ne tient pas.

Investir, valoriser et consommer pour lutter contre la spéculation

Une approche éthique et équilibrée de l'investissement dans le vin est essentielle pour préserver l'intégrité de cette industrie séculaire, et le private equity en est la clé.


Lorsque l’on investit dans une société, on s’implique dans un projet, et si ce projet concerne la distribution des vins, c’est un investissement valorisant pour cette dernière. Investir dans des bouteilles de vin pour financer le stock et les coûts de stockage afin que la trésorerie de la Société soit dédiée à l’innovation et/ou au développement d’une distribution de qualité tournée vers la consommation est complétement vertueux.


Si l’entreprise offre également la possibilité à l’investisseur de consommer ses bouteilles à tout moment, bingo. L’investisseur-consommateur est ainsi le meilleur allié de la filière et contribue au rééquilibre du marché, tout en bénéficiant de ROIs (pas seulement financiers, mais aussi en plaisir). De plus, certaines entreprises sur le marché offrent la possibilité de défiscaliser jusqu’à -25% de ses impôts sur les revenus si l’investissement est réalisé avant la fin de l’année ou de bénéficier du remploi d’apport-cession. (Il est recommandé de consulter des experts en vin pour élaborer une stratégie d'investissement adaptée à vos besoins et à vos objectifs.)
 
Il y a des opportunités à saisir en ce moment et il faut relancer le Système Vin par la consommation et remettre le vin dans le cœur de chaque français, notamment les nouvelles générations. Ce sont nos actions du quotidien sur le long terme qui nous sauveront ! Ce futur, je le vois avec des bons moments et donc du vin.
 
 
Né dans les vignes et héritier d’une longue tradition viticole depuis 1832, Thomas Hébrard suit une formation d’ingénieur en aéronautique à l’ESTACA puis un master en management à Supaéro et HEC. Rattrapé par sa passion du vin, il lance U'wine en 2015, après 5 ans passés à en peaufiner le modèle économique et le faire enregistrer par l'AMF.

Partager :

À découvrir

Graph du jour

Découvrez notre sélection de graphiques
Club patrimoine

Contributeurs

Club patrimoine
Discover the vision of the financial media of tomorrow
Pour aller plus loin

Inscrivez-vous à la newsletter
Club Patrimoine

Parcourez nos catégories