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Analyses de marchés

L’Inde, les données d’une nouvelle puissance (CPRAM)

23
May
2024
« Amrit Kaal », ou âge d‘or en sanskrit, paraît être l’expression adaptée pour qualifier la phase dans laquelle se trouve l’économie indienne.

Envolée des actions locales en Inde

L’Inde semble en effet comme immunisée contre le ralentissement mondial et son dynamisme attire - à juste titre - l’attention des investisseurs internationaux, provoquant l’envolée des actions locales.

Entre mai 2020 et janvier 2024, le MSCI India affiche une performance annualisée de 26,7 %, soit le double du MSCI World et près de 5 fois celle du MSCI EM. Au delà des chiffres économiques, ce « buzz » indien s’est également vu renforcé en 2023 par plusieurs évènements marquants : l’Inde a accueilli le G20, elle est devenue le 1er pays mondial en termes de population et le 4ème marché boursier mondial, et elle a même envoyé une sonde sur la Lune.

Attendue par la banque centrale à 7 % cette année, la croissance du PIB indien reste particulièrement soutenue et a même accéléré au fil des derniers trimestres. Selon le FMI, cette dernière devrait par ailleurs rester stable - entre 6,5 % et 7 % - au cours des prochaines années, et donc largement dépasser les autres grandes économies. La vigueur de l’économie indienne est la conjonction de facteurs structurels (démographie, stade de développement, grandes réformes) et de l’efficacité de la politique économique menée au cours des dernières années. Via la mise en œuvre de plans massifs (infrastructures, digitalisation), l’action du gouvernement a permis à l’investissement de compenser la faible dynamique de la consommation et in fine stabiliser la croissance sur des niveaux élevés. A moyen terme, le recul de l’inflation et l’assouplissement monétaire à venir devraient redynamiser la demande intérieure et permettre un nécessaire rééquilibrage entre puissance publique et secteur privé. L’Inde est également amenée à continuer de renforcer sa présence sur le plan international, comme illustré par le triplement annoncé des exportations d’ici 2030.

Nous détaillerons ces points forts dans ce texte en dissociant autant que faire se peut les mégatendances à l’œuvre des évolutions plus conjoncturelles. Et sans remettre en question ce scénario rose, nous soulignerons également les fragilités de l’économie indienne, à l’image de son marché du travail, sa forte exposition aux prix des
matières premières ou encore son exposition au risque climatique.

A noter également qu’en dépit de son dynamisme économique, le PIB par habitant de l’Inde reste relativement faible au regard des autres économies. Enfin, la société indienne reste très inégalitaire (le taux d’alphabétisation n’est que de 76 %) et très fractionnée (la probabilité que 2 habitants pris au hasard parlent la même langue n’est que de 36 %).

L’Inde, un avantage démographique inexorable


En 2023, l’Inde est devenu avec plus de 1,4 milliard d’habitants le pays le plus peuplé du monde selon les Nations unies, alors que cette place revenait à la Chine
depuis plusieurs siècles. Au-delà de marquer un événement historique en soi, le dynamisme démographique de l’Inde est spectaculaire. Parmi les grandes économies, c’est dans ce pays où la population augmentera le plus dans les années et décennies à venir. La population devrait augmenter aussi aux États-Unis mais plus lentement alors qu’elle devrait baisser en Europe, en Chine, et surtout au Japon.


L’un des grands atouts du pays est que la population indienne est nettement plus jeune : l’âge médian y était de 28 ans en 2023 alors qu’il était de 38 ans aux États-Unis,
39 ans en Chine, 45 ans dans l’Union européenne et 49 ans au Japon. Cette jeunesse implique que la population en âge de travailler va continuer à augmenter alors
qu’elle baissera à peu près partout dans les économies développées.

La croissance de la population est généralement considérée comme l’un des déterminants de la croissance potentielle : cela devrait donc être un élément de soutien
pour la croissance économique indienne alors que cela sera l’inverse dans de nombreux pays. Toutefois, le taux d’alphabétisation en Inde n’était que de 76 % en 2022 selon la Banque mondiale, ce qui est faible par rapport aux économies développées ou encore par rapport à la Chine (97 %). De même, la part des jeunes adultes (25-34 ans) avec un diplôme de l’enseignement supérieur dépasse à peine 20 % en Inde alors qu’il est de 47 % dans les pays de l’OCDE. Cela constitue un handicap à court terme mais un soutien pour la croissance à long terme : une partie de la croissance économique dans les pays développés lors des dernières décennies est en effet
provenue de l’augmentation du niveau moyen d’éducation (cf travaux de l’économiste Robert Gordon).

"Greendia", un leader de la transition climatique ?

Depuis 2000, l'Inde a donné accès à l'électricité à plus de 810 millions de personnes, soit plus que la population cumulée des États-Unis et de l'Union Européenne. De facto, ses émissions de gaz à effet de serre (GHG) ont connu une progression rapide au cours des dernières décennies : multipliées par 4,8 depuis 1970 et par 2 depuis 2000. En 2006, l'Inde dépassait la Russie pour devenir le troisième émetteur de GHG au niveau mondial, derrière la Chine et les États-Unis.

Si ces chiffres font déjà de l'Inde un pays systémique sur le plan climatique, ils ne fournissent qu'une vision partielle. En termes d'émissions rapportées à sa population, l'Inde n'occupe que la 136ème place sur 210 pays. L'Inde représente 18 % de la population mondiale mais sa contribution au réchauffement depuis 1850 n'est estimée qu'à 5 %. A contrario pour les États-unis, représentant 4 % de la population mondiale et une contribution au réchauffement estimée à 17 %. A population équivalente, les émissions de l'Inde ne représentaient que le quart de celles de la Chine en 2022. Autre exemple, le nombre de voitures par habitant en Inde est de près de 20 fois inférieur à celui des États-Unis ou de l'UE.

Au-delà de sa taille, on se doit également de prendre en compte la poursuite de son développement pour mieux prendre la mesure du poids effectif de l'Inde face aux enjeux climatiques. Ses émissions de CO2 devraient en effet continuer de croître de 30 % d'ici 2050, soit un rythme parmi les plus soutenus à échelle mondiale. Si cela représente un défi majeur à échelle planétaire, c'est également une réelle opportunité pour l'Inde de s'imposer comme un modèle en matière d'action climatique.

Au cours des dernières années, les autorités indiennes ont mené des politiques ciblées pour faire face à ces enjeux, notamment via le lancement en 2008 du National Action Plan on Climate Change. Ce plan d'envergure comporte 8 missions prioritaires à l'échelle nationale, lesquelles portent notamment sur l'efficacité énergétique, le traitement des eaux, ou encore l'agriculture durable.

Mis en place en 2000, le programme PLI a permis d'accélérer le développement de l'industrie indienne dans certains secteurs clefs dont le photovoltaïque et les batteries de stockage. Le développement exponentiel du solaire est fréquemment souligné comme un progrès notable de l'Inde en matière d'action climatique. Il a ainsi représenté près de 60 % des nouvelles capacités de production électriques au cours des 5 dernières années. Stimulées par l’initiative Solar Rooftop, le nombre d’installations photovoltaïques domestiques devraient par ailleurs tripler entre 2022 et2028. Forte de ses avancées, l’Inde a récemment revu sa cible de production d’énergie via non-fossiles d’ici 2030 pour la porter de 50 % à 65 %. Au-delà des progrès sur les renouvelables, l’Inde s’est également distinguée par la mise en place d’un cadre législatif favorisant la construction durable, sa volonté de mettre en place un marché du carbone à l’échelle nationale,ou encore la promotion du Lifestyle for the Environment par Narendra Modi.Sans renier ces progrès substantiels, il convient pour autant de souligner qu’ils demeurent insuffisants. Si Modia annoncé son objectif d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2070, son plan d’action reste relativement incomplet et peu transparent. Le respect de cette trajectoire Net Zero suppose notamment un triplement des investissements d’ici à 2030, accompagné de mesures ciblant certains secteurs clefs à l’image du ciment, de l’acier ou encore des fertilisants. Alors que l’économie indienne reste fortement dépendante du charbon se pose ici la question de l’impact macroéconomique de telles actions - sur l’emploi et les prix notamment - et donc de leur acceptabilité.D’autant que l’Inde doit d’ores et déjà faire face aux effets du dérèglement climatique. Ce dernier induit notamment une volatilité accrue sur les prix des matières premières agricoles, laquelle impacte directement l’économie indienne à l’image du pic d’inflation de l’été 2023. De plus, la multiplication des vagues de chaleur provoque une hausse à grande vitesse du taux d’équipement en climatiseurs, lesquels représentent déjà près de 10 % de la demande d’électricité. La pollution - de l’air notamment -est une autre préoccupation majeure. Elle serait à l’origine de plus de 2 millions de morts chaque année en Inde, et réduirait de près de 5 ans l’espérance de vie moyenne de ses habitants (12 ans dans le cas de Dehli !). Au-delà du plan sanitaire, la Banque Mondiale estime que la pollution de l’air impacterait négativement le PIB indien à hauteur de-0,6 % chaque année.Bien qu’encore sous-estimée, l’Inde est déjà un acteur systémique et à l’épicentre du changement climatique. Sa croissance future est nécessairement et très directement liée aux enjeux environnementaux. Des progrès majeurs la distinguent d’autres acteurs émergents, mais un renforcement des politiques actuelles reste nécessaire -ce qui continuera de soutenir la croissance de secteurs clefs à moyen-long terme.

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