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Actualités du patrimoine

Loi de finances 2024 : entre nouvelles mesures et incertitudes. Marine Perbet, Ingénieure patrimoniale (Magnacarta Group)

1
Feb
2024
Dans un contexte où la loi de finances pour 2024 a été marquée par l’utilisation répétée de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, la lecture de certains articles mérite d’être précisée.

Vers un durcissement des règles applicables aux loueurs meublés de tourisme non classés

L’abaissement du seuil à 15 000 € et du taux de l’abattement à 30% pour les loueurs meublés de tourisme non classés, associés à un abattement supplémentaire de 21% pour les loueurs meublés de tourisme classés en zone non tendue aboutit, compte tenu de l'absence de modification des dispositions du 1° de l'article 50-0, 1 du CGI, à des incohérences avec l’esprit de l’amendement initialement voté par le Sénat.
 
L’application de ce nouveau régime étant difficilement applicable en l’état et le gouvernement ayant clairement exprimé son intention de revenir sur cette erreur rédactionnelle, il conviendra de repréciser les modalités d’application d’ici la déclaration des revenus 2023. D’autant plus, une proposition de loi visant à réguler les locations saisonnières vient d’être adoptée ce lundi 29 janvier en première lecture à l’Assemblée nationale et pourrait apporter des modifications majeures dans le paysage de la fiscalité immobilière française !
 

La fin de l’intérêt fiscal lié à la constitution d’un quasi-usufruit sur une somme d’argent

Le nouvel article 774 bis du CGI nous donne l’occasion de revenir sur un concept phare de la gestion de patrimoine, le démembrement de propriété. Si le principe de cette nouvelle règle de non-déduction garde une portée limitée afin de mettre fin à une stratégie abusive clairement identifiée (donation de somme d’argent), ses exceptions sont davantage équivoques.
 

Zoom sur le quasi-usufruit :

Rappelons à cet égard que lorsque la donation avec réserve d'usufruit porte sur un bien qui se consomme dès le premier usage, à l’instar d’une somme d’argent, on parle de « quasi-usufruit ».


A la différence du simple usufruitier, le quasi-usufruitier est libre de se comporter comme un plein propriétaire, avec la charge toutefois de rendre au nu-propriétaire à la fin de l’usufruit, selon les termes de l’article 587 du Code civil « soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
 

L’intérêt fiscal ?

Cette obligation de restitution de la somme d'argent, exigible au décès du quasi-usufruitier, est admise en déduction de l'actif successoral.

Rappelons à cet égard qu’en vertu des conditions posées par l'article 773, 2° du CGI, il est recommandé de rédiger et faire enregistrer une convention de quasi-usufruit afin de s’assurer de l’opposabilité de la créance de restitution, et de facto sa déduction, à l’administration fiscale.
 

Quels changements dans la loi de finances ?

Les dettes de restitution exigibles, qui portent sur une somme d'argent dont le défunt s'était réservé l'usufruit, sont désormais exclues du passif déductible de l'actif successoral, et sont ainsi soumises aux droits de succession.


Il est toutefois prévu que les droits de donation qui avaient été acquittés lors de la constitution du quasi-usufruit sont imputables sur ces droits de succession, sans pouvoir donner lieu à restitution s’ils étaient supérieurs...
 
Le II alinéa 2 précise en outre que le rapport fiscal de 15 ans prévu à l'article 784 du CGI ne s'appliquera pas à la valeur des dettes de restitution dont la déduction de l'actif successoral n'est plus autorisée.
 
Cette mesure anti-abus trouve probablement sa source dans un avis du Comité de l'abus de droit fiscal quelques mois plus tôt, le 11 mai 2023, qui avait considéré l’absence de fictivité d’une donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit pour autant que le donateur possède, au jour de la donation, les liquidités correspondantes.
 
L’alinéa 2 du nouvel article 774 bis du CGI prévoit toutefois que restent déductibles de l’actif successoral :

1 - Le quasi-usufruit successoral du conjoint survivant (légal ou conventionnel)

2 - Le quasi-usufruit sur la somme d'argent issue de la vente d’un bien démembré, sous réserve toutefois qu'il soit justifié que l'opération n'a pas un objectif principalement fiscal.
 

Les zones d’ombre

En premier lieu, si le but principalement fiscal laisse place à une marge d’appréciation, cette clause anti-abus pourrait être source d’insécurité juridique puisque la charge de la preuve est ainsi renversée et pourrait poser bon nombre de difficultés pratiques. En effet, il est légitime de s’interroger sur la façon d’apporter cette preuve ?
 
A notre sens, il pourra être possible de soutenir l’absence d’objectif principalement fiscal d’un quasi-usufruit constitué à l’issue de la vente d’un bien qui a été démembré avant l’entrée en vigueur de cette mesure anti-abus. L’exercice pourra en revanche s’avérer plus difficile pour les démembrements effectués à postériori de cette nouvelle loi, puisqu’il conviendra d’arguer d’autres avantages que fiscaux.
 
En tout état de cause, rappelons que lorsqu’un bien démembré est cédé, le prix de vente est en principe réparti entre les parties selon la valeur respective de chacun de leurs droits. C’est seulement si les parties le prévoient qu’il est possible de reporter le démembrement sur un nouveau bien, ou sur le prix... constituant dès lors un quasi-usufruit. Or, le traitement fiscal sera différent en fonction du choix opéré puisque le redevable de l’impôt sur la plus-value sera le nu-propriétaire en cas de remploi, alors que ce sera le quasi-usufruitier en cas de quasi-usufruit. Dans la mesure où le nu propriétaire ne récupérera pas de capital pour payer l’impôt dû, nous pouvons présumer que le choix pour le quasi-usufruit pourra se justifier pour des raisons de trésorerie, même s’il s’agira toujours d’une appréciation au cas par cas fragilisant ainsi la sécurité juridique de toutes décisions patrimoniales...
 
En second lieu, ces deux seules exceptions expressément prévues par le texte amènent à s’interroger sur le risque de remise en cause future d’autres schémas d’optimisation usités en ingénierie patrimoniale. C’est notamment le cas lorsqu’un quasi-usufruit est constitué à la suite :


-        D’un retrait en compte courant d’associé, préalablement démembré ;
-        De rachats opérés sur un contrat de capitalisation, préalablement démembré ;
-        D’une distribution de dividendes, dans le cadre de titres de sociétés démembrés ;
-        Du dénouement d’un contrat d’assurance-vie dont la clause bénéficiaire était démembrée 
 
Même si ces quasi-usufruits ne semblent pas ciblés par cette nouvelle règle de non-déduction, leur absence dans les exceptions visées peut soulever de nombreuses questions et il conviendra ainsi d’être attentifs aux commentaires administratifs à venir sur les interprétations de cet article.
 

Qu’en retenir ?

Le manque de précision dans la rédaction des exceptions applicables est-ce, comme d’autres mesures, le reflet d’un texte adopté trop vite ? Ou est-ce au contraire l’intention du législateur d’initier un coup de frein à des stratégies de démembrement sous forme de quasi-usufruit ?
 
En l’absence de réponse claire dans le texte et de tout commentaire à ce jour, nous ne pouvons que vous encourager à continuer de formuler par écrit et avec un soin particulier les avantages autres que fiscaux notamment économiques et juridiques. En effet, rappelons-nous que la fiscalité ne doit jamais être la cause d’une stratégie, mais uniquement une conséquence.
 
Cette nouvelle mesure en est la meilleure illustration puisqu’elle s’applique à toutes les successions à compter du 29 décembre 2023, et va donc remettre en cause l’intérêt fiscal de certaines donations de somme d’argent avec réserve d’usufruit qui ont été effectuées avant même la promulgation de cette loi de finances.

Par Marine Perbet, Ingénieure patrimoniale, Magnacarta Group

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