« Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées »* (Ecofi)

* : La phrase « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées » est une citation attribuée à Winston Churchill.
Cet été, l’actualité économique, financière et politique a été chargée. Pour bien démarrer la rentrée, il nous a ainsi paru utile de passer en revue certains des sujets façonnant notre scénario, qui donneront (nous l’espérons) matière à réflexion pour nos lecteurs. De la dégradation des chiffres de l’emploi aux États-Unis à la relative « résistance » de l’économie européenne, en passant par l’intensification des pressions politiques à l’égard des institutions américaines, et d’autres choses encore… nous livrons cette semaine une synthèse de nos pensées estivales.
Imagine-t-on le président d’un grand pays développé licencier la personne chargée de diriger la collecte et la publication d’une partie de la statistique publique, dont l’inflation et l’emploi ? C’est pourtant ce qui s’est passé début août aux États-Unis lorsque Donald Trump a annoncé, par l’intermédiaire de son réseau social Truth Social, le limogeage d’Erika McEntarfer, directrice du BLS (Bureau of Labor Statistics). La raison invoquée : des chiffres de l’emploi publiés quelques jours auparavant, montrant un ralentissement significatif des embauches et de fortes révisions à la baisse pour les mois précédents, jugés falsifiés et destinés à nuire au président américain. S’il est vrai que les statistiques publiques sont de moins en moins fiables (problématique régulièrement commentée dans ces colonnes), en raison d’un faible taux de réponse et de difficultés à faire remonter les données, manque de fiabilité ne rime pas avec trucage. Le BLS souffre surtout d’un manque de budget et de personnel. Ajoutons à cela le fait que, depuis la pandémie, les ménages et les entreprises répondent de moins en moins aux enquêtes et que cela concerne aussi bien le BLS que d’autres sondeurs d’opinion. D. Trump a depuis décidé de nommer Erwin John Antoni de l’Heritage Foundation (think tank pro-Trump) à la tête du BLS. Proche du président, ce dernier a immédiatement indiqué qu’il pourrait cesser la publication des statistiques mensuelles de l’emploi, en raison de leur falsification supposée. Il convient également de noter que des événements relativement similaires – plus graves encore – ont déjà eu lieu par le passé. Historiens et journalistes, enregistrements à l’appui, rapportent ainsi que durant l’été 1971, le président des États-Unis Richard Nixon avait en effet jugé que les employés juifs du BLS étaient malhonnêtes et prompts à lui nuire en falsifiant les chiffres de l’emploi (affaire « Nixon Jew count »). Il avait alors entrepris une campagne de destitution des employés aux noms à consonance juive. Ce même président dont les interférences politiques avec la Fed ont été maximales…
Dès lors, quelles sont les conséquences pour les investisseurs ? Premièrement, cela crée un précédent. Deuxièmement, cela pourrait nuire à la bonne lecture de l’économie américaine, s’il s’avère que les chiffres sont modifiés à dessein, deviennent plus opaques ou si leur parution est interrompue. Troisièmement, parce que cela vient s’agglomérer avec les menaces sur d’autres institutions, en particulier la Fed, ainsi que sur l’imposition d’idées et directives à certaines entreprises américaines privées. Cela pourrait également nuire au bon fonctionnement des marchés financiers, notamment en créant des asymétries d’information et en perturbant les anticipations en matière de politique monétaire et budgétaire, ce qui nous amène directement au sujet de la Réserve fédérale américaine.
Les pressions politiques exercées sur la Fed sont encore montées d’un cran depuis notre dernière analyse sur le sujet (disponible ici). En substance, nous avions notamment indiqué que les épisodes d’interférences passées entre le pouvoir politique et la Fed (cf. R. Nixon et Arthur Burns) avaient eu sur des effets délétères en matière d’inflation et de croissance. En outre, qu’il fallait également s’attendre à un « clash monétaire ». Depuis, D. Trump a intensifié ses menaces, accompagné par d’autres membres de son administration. L’étau se resserre sur Jerome Powell (président de la Fed), dont le mandat arrive à son terme en mai prochain. Au cours de l’été, la démission surprise d’une des membres du comité de politique monétaire (Adriana Kugler) a débouché sur la nomination – qui reste suspendue à la validation du Sénat – de Stephen Miran, l’ancien conseiller économique de D. Trump et architecte de la stratégie autour des droits de douane. Des accusations de fraude immobilière pèsent également sur Lisa Cook (membre votante au sein de la Fed) et le président américain cherche désormais à la renvoyer. Qu’elle soit jugée coupable ou non (c’est à la justice américaine de se prononcer), cela participe à la stratégie de D. Trump, consistant à vouloir prendre la main sur la Fed. Enfin concernant le remplaçant de J. Powell, plusieurs noms circulent, dont notamment Christopher Waller (actuel membre votant de la Fed, nommé par D. Trump en 2020), qui ces derniers temps, s’est montré favorable à la reprise de l’assouplissement monétaire.
En termes de prévisions, nous pensons toujours que la Fed devrait abaisser son taux directeur le 17 septembre prochain. Comme nous l’avions anticipé depuis plusieurs mois maintenant, le marché du travail a fini par montrer des signes plus patents de détérioration. Les créations mensuelles d’emplois sont ainsi passées d’un rythme de 232 000 en moyenne sur trois mois en janvier à 35 000 en juillet, bien en dessous des normes historiques. En outre, les nouvelles embauches se concentrent toujours sur un nombre limité de secteurs, à l’instar de la santé ou encore de l’aide à la personne. Les emplois privés plus « traditionnels » sont, quant à eux, moins nombreux. Ce constat a été renforcé par le discours accommodant de J. Powell lors du Symposium de Jackson Hole le 22 août dernier, indiquant que les risques pesant sur le marché de l’emploi avaient augmenté. Il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour que les marchés financiers se mettent à anticiper un enchaînement de baisses de taux au cours des prochains trimestres. Mais est-ce pour autant totalement justifié ? Nous pensons que non.
Une partie de la détérioration observée des chiffres de l’emploi est probablement liée au climat d’incertitude engendré par la politique économique et commerciale de D. Trump. Maintenant qu’une partie de cette incertitude a été levée (aboutissement des négociations sur les droits de douane…), les entreprises pouirraient être amenées à concrétiser une partie de leurs intentions d’embauche laissées en suspens. Cette dégradation est néanmoins réelle et le marché de l’emploi américain demeure fragile sous plusieurs aspects. C’est pourquoi un ajustement de la politique monétaire est selon nous nécessaire, afin d’éviter que la situation n’empire davantage. Parallèlement, l’inflation américaine a augmenté durant l’été. L’indice des prix à la consommation hors énergie et alimentation (indice Core CPI) a ainsi progressé de 3,1% sur un an en juillet, après 2,9% en juin et 2,8% en mai ; le déflateur de la consommation des ménages (indice PCE ; cible d’inflation de la Fed) dépeint une situation similaire. Bien que non linéaire, la transmission de l’augmentation des droits de douane dans les prix des produits concernés s’accentue. Les entreprises ont jusqu’à présent fait preuve d’ingéniosité pour ne pas avoir à augmenter leurs prix de vente, en négociant avec leurs fournisseurs, en constituant des stocks de précaution ou encore en rognant sur leurs marges. Il faut toutefois s’attendre à une poursuite de la hausse de l’inflation au cours des prochains mois, à mesure de l’atténuation de ces « boucliers tarifaires » pour les consommateurs. À moins que la plupart de ces nouveaux droits de douane ne soient jugés illégaux, comme l’a indiqué une cour d’appel fédérale américaine en fin de semaine dernière... Dans l’intervalle, ces derniers demeurent en place et D. Trump tentera par tous les moyens légaux de les instaurer définitivement. Il est par ailleurs important d’indiquer que nous envisageons ce regain d’inflation comme n’étant que transitoire, en raison de trois principaux éléments : (i) l’augmentation des droits de douane implique une modification des prix unique ou quasi unique, (ii) cette hausse de l’inflation ne devrait pas déboucher sur d’importantes négociations salariales, dans un contexte de détente et de fragilité du marché de l’emploi, (iii) le ralentissement de la demande résultant de l’incertitude et la perte en pouvoir d’achat pour les ménages devrait exercer une pression à la baisse sur d’autres composantes de l’inflation. Cependant, l’incertitude est grande sur ce front et nous pensons que la Fed ne devrait pas effectuer plus de deux baisses de taux en 2025.
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