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Investissement en résidence de tourisme : une décision trop sévère ? Par Maître Morgane Hanvic

10
Feb
2022

Le 2 février dernier, la Cour de Cassation vient de rendre une décision particulièrement sévère à l’égard d’un intermédiaire, à contre-courant avec la jurisprudence relative à la perte de chance.

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L’arrêt[1] que vient de rendre la Cour de cassation le 2 février 2022 l’égard d’un intermédiaire mérite de s’y attarder.

Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 septembre 2020), M. et Mme U ont acquis, par l'intermédiaire de la société X, qui opérait sous carte T, selon un contrat de réservation du 31 octobre 2006 suivi d'un acte authentique du 28 juin 2007, un appartement en l'état futur d'achèvement dans un immeuble à vocation de résidence de tourisme, à titre d'investissement immobilier locatif défiscalisé et avec l'aide d'un prêt.

Ils ont conclu avec la société Y, chargée de l'exploitation de la résidence, un bail commercial pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel de 7 636 euros hors taxes.

A la suite de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au profit de cette société, un avenant au bail a été conclu à effet du 1er avril 2013, avec un loyer annuel ramené à 4 052 euros.

M. et Mme U ont assigné la société X, pour manquement à son obligation d'information et de conseil, en paiement de la différence entre le montant du bail initial et celui de l'avenant pour la période allant du 1er avril 2013 à la fin du bail commercial.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société X qui logiquement soutenait que tout investissement de ce type comporte un aléa et qu’un tel préjudice, s’il était avéré, ne pouvait s’analyser qu’en une perte de chance et ne saurait s’indemniser par un calcul mathématique.

L’arrêt ne dit pas non plus si la déconfiture de l’exploitant pouvait être prédite au moment de la souscription.

La Cour de Cassation a néanmoins validé le raisonnement de la Cour d’appel qui avait jugé que l’intermédiaire avait manqué à ses obligations d’information et de conseil en constatant qu’il s’était contenté de remettre la plaquette publicitaire établie par le commercialisateur du programme.

Et la Cour de cassation de reprendre :

            « Les informations fournies aux futurs acquéreurs présentaient le projet comme dénué de tout risque, avec la sécurité de loyers garantis pendant une durée irrévocable de neuf ans, sans comporter la moindre réserve sur les risques liés à l'éventuelle défaillance du preneur à bail.

(…) la sécurité de l'opération avait été déterminante de leur consentement et que, s'ils avaient été informés du risque de non-perception des loyers en cas de déconfiture du preneur à bail, ils auraient refusé de souscrire à l'investissement, ce dont il résultait une absence d'aléa.

Ayant ainsi exclu toute incertitude sur la décision des acquéreurs s'ils avaient été dûment informés des aléas et risques éventuels de l'opération d'investissement immobilier proposée, elle en a exactement déduit que le préjudice causé par le manquement de la société X à son devoir d'information et de conseil ne pouvait consister en une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et correspondait à l'intégralité de la perte de loyers subie ».

Cette décision est critiquable en ce qui concerne l’analyse du préjudice et va au-delà du courant jurisprudentiel en la matière.

La jurisprudence considère en effet traditionnellement, selon une jurisprudence abondante et maintes fois confirmée, que le préjudice résultant d’un manquement à une obligation d’information ou un devoir de conseil doit s’analyser en une perte de chance, qui doit être prouvée dans son principe et qui n’est indemnisée que par un pourcentage des pertes réellement subies.

En allouant aux demandeurs la totalité des pertes subies, la Cour de cassation nie ces principes.

Cette décision nie également le fait qu’un tel investissement comporte logiquement une part de risques que l’investisseur accepte en s’engageant. Encore faut il qu’il soit bien mis en garde.

Par cette décision, la Haute Cour a voulu sanctionner l’intermédiaire qui se contente lors de la souscription de remettre les documents du concepteur ou commercialisateur du produit.

On ne saurait que trop vous conseiller de relire les documents commerciaux que vous remettez et de prendre bien soin de formaliser toutes les mises en garde écrites que vous jugerez utiles, surtout lorsque les plaquettes ne présentent que les avantages sans mettre en évidence les risques, ce qui est encore hélas fréquent. On ne le répètera jamais assez.

La portée de cet arrêt doit toutefois être tempérée puisqu’il s’agit d’un arrêt inédit non publié au bulletin.

[1] Cour de cassation - Chambre civile 3 - Audience publique du mercredi 02 février 2022 - N° de pourvoi : 21-10.205 - ECLI:FR:CCASS:2022:C300129

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