L'investissement responsable en 2023, point d'étape à mi-année (Edmond de Rothschild AM)
La montée en puissance de l’ESG1 a déjà établi de nouvelles règles sur les marchés et la tendance continue de s’accélérer. Certains catalyseurs ont un impact déterminant : c’est le cas par exemple du changement climatique. L’investissement responsable est devenu un « Must have » et non plus un « Nice to have » et le régulateur européen est désormais là pour nous le rappeler. Il est dès lors crucial de mesurer l’impact social et environnemental de ses investissements, en toute transparence, y compris pour répondre aux critiques de la finance durable qui se font entendre aux Etats-Unis depuis que le sujet s’invite dans la campagne présidentielle.
L’ère paisible des pionniers de l’investissement responsable étant terminée depuis 2015-2016, cette industrie émergente doit désormais se mettre en capacité d’affronter le grand large. Jean-Philippe Desmartin, Directeur de l’Investissement Responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management, détaille 4 enjeux majeurs pour les prochains mois.
Défi n°1 : Régulation, du flou à la lumière ?
La régulation monte en puissance aussi bien en Europe qu’au niveau international. Nous traversons en Europe une phase de transition, caractérisée par des changements de règles en cours de route, des tâtonnements incontournables mais compliqués, des manques criants de clarté. Ainsi, un investissement durable n’a pas de définition claire et établie, encore moins partagée par tout un secteur. Des exigences différentes de la part des régulateurs locaux et européens sont dévoilées régulièrement et, nous le souhaitons, seront un jour prochain harmonisées.
Nous avons fait l’expérience de l’instabilité règlementaire fin 2022, concernant SFDR. Lors de l’application initiale de ce règlement européen en mars 2021, les régulateurs avaient défini un objectif d’investissement durable pour les fonds Article 9. Pour la phase 2 qui a démarré début 2023, ils ont maintenu cet objectif tout en ajoutant une exigence de durabilité pour chaque titre détenu en portefeuille, critère qui n’existait pas auparavant et qui a été dévoilé ultérieurement.
Le manque de précision sur la définition de la durabilité et le cadre normatif a conduit les sociétés de gestion d’actifs à déclassifier plus de 360 fonds Article 9 ces derniers mois, selon Morningstar. Si cette dynamique n’est pas terminée, elle pourrait aussi s’inverser. Un nouveau rebondissement s’est en effet produit en avril dernier, lorsque la Commission européenne a donné de nouvelles marges de manœuvre aux gérants concernant la définition d’un investissement durable. Elle a indiqué ne prescrire aucune approche en particulier mais leur demande toutefois de dévoiler leur méthodologie.
Avec l’approche des élections européennes en 2024, nous devrions connaître une pause règlementaire, ouvrant possiblement la voie à une période de stabilisation, à partir de septembre 2023 et cela jusqu’au début 2025. Cela nous donnera du temps pour tirer des conclusions sur toutes les régulations : CSRD, SFDR, taxonomie, MiFID, etc.
Défi n°2 : La transparence, meilleure arme contre le greenwashing / rainbow washing
Régulièrement, des accusations de greenwashing envers l’industrie financière refont surface. Chez Edmond de Rothschild Asset Management, nous parlons aussi de rainbow washing car le risque porte aussi bien sur les sujets environnementaux (couleur verte) que sociaux (couleur rouge) et de gouvernance (couleur bleue). Envoyer un message clair et lisible permet de réduire la complexité du sujet et des débats. Le sujet fondamental réside selon nous dans la valeur ajoutée sociale et/ou environnementale de nos investissements. Les clients particuliers ou institutionnels choisissent des fonds qui intègrent les critères ESG parce qu’ils ont une attente à laquelle il est impératif de répondre.
Cette attente peut prendre plusieurs formes. Ainsi, les clients institutionnels vont plutôt privilégier les approches best-in class, best-in universe2 et le dialogue et l’engagement. Les particuliers vont davantage s’orienter vers les fonds thématiques dont l’approche est plus simple à appréhender. Notre levier premier est donc la transparence, qui consiste à donner un maximum d’informations pour qu’un client, un média, un consultant, un régulateur disposent des informations nécessaires pour comprendre et évaluer la valeur ajoutée ESG de nos investissements.
Défi n°3 : Les méthodologies et les données s’améliorent
Il y a 20 ans, le nombre et la qualité des données à disposition des acteurs de la finance responsable étaient très faibles. En quelques années, la situation s’est considérablement améliorée, en matière de gouvernance mais pas seulement. Les questions environnementales et sociales sont désormais traitées tout aussi sérieusement par les entreprises. Historiquement, les États-Unis et les émergents ont été les parents pauvres, mais la bonne nouvelle est que nous disposons de plus en plus de données, sur le recyclage ou la sécurité, tant sur le Vieux Continent qu’en dehors de l’Europe.
Concernant des sujets aussi complexes que la biodiversité, il est vrai qu’il y a encore quelques années, il n’y avait ni données ni méthodologie. Aujourd’hui, nous disposons d’estimations, et grâce à de premières études académiques et de consultants, nous avons pris conscience que ce risque est assez concentré au sein de certaines chaînes d’approvisionnement, comme les secteurs de l’alimentation, du textile, de la chimie et de l’extraction des ressources naturelles. Ensemble, ils représentent 90% de l’impact sur la biodiversité, dont environ 40% pour l’industrie alimentaire, dont l’impact est majeur dans les filières agricoles.
Défi n°4 : La biodiversité, entre urgence et complexité
Fin 2022, la COP15 Biodiversité à Montréal a surpris favorablement contrairement à la COP27 Climat à Charm el-Cheikh. Sa réussite avec des objectifs concrets et ambitieux après plus de 10 années de déception fait de 2023 l’année de la biodiversité. Côté gouvernements, tous les Etats vont pouvoir construire ou aligner leurs stratégies biodiversité avec l’accord de Kunming-Montréal.
Concernant les entreprises et investisseurs, la version 1.0 de la feuille de route de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) est annoncée pour la fin de l’année 2023. Elle va constituer un premier langage commun global autour de la biodiversité pour tout le secteur privé, comme la Taskforce on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) l’a été pour le climat en 2017. Pour les investisseurs, cela reviendra à innover, à construire une feuille de route commune climat & biodiversité s’appuyant sur les deux cadres TCFD et TNFD qui sont compatibles.
Toujours dans un souci d’efficacité, une annonce pourrait être salvatrice. Celle d’envisager la concomitance des COP Climat et Biodiversité. Toutes les parties prenantes s’entendent sur le fait que ces deux défis environnementaux et sociaux sont étroitement liés concernant les problèmes comme les solutions. Une meilleure coordination permettrait à la fois de lancer définitivement les COP Biodiversité et de contribuer à soutenir les COP Climat. Cela pourrait être une annonce surprise et positive dans le cadre de la prochaine COP28 à Dubaï en 2023.
Comme le dit le philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va nous arriver, mais ce que nous allons en faire ».
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