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Actualités du patrimoine

RSE comme Redonner du Sens à l’Entreprise, à l’Economie, à l’Engagement, à l’Ethique (Aurep)

16
Jan
2023

Dans un contexte inédit qui fait cohabiter dérèglement climatique, épuisement des ressources, instabilité géopolitique, accroissement des écarts de richesses, les enjeux E, S, G ont pénétré les entreprises, tous secteurs d’activité confondus ; aussi la responsabilité sociétale des entreprises n’est-elle plus un phénomène de mode, une opinion dans un débat, une option, un ‘nice to have’, ne serait-ce que parce que le maintien d’un monde habitable est la condition même de leur pérennité : «  si l’époque géologique qui nous caractérise est celle de l’anthropocène, c’est-à-dire celle qui se définit par l’impact significatif de l’activité humaine sur l’évolution géologique et des écosystèmes, alors ce sont bien aux humains, regroupés en collectifs, états et entreprises qu’incombe la responsabilité d’agir pour en limiter les dégâts, de préserver au maximum ce qui peut l’être et d’anticiper l’adaptation au changement déjà à l’œuvre »[1]

Certes, la législation est de plus en plus exigeante, la taxonomie toujours plus foisonnante, les investissements responsables et durables toujours plus prometteurs, les lanceurs d’alerte qui dénoncent greenwashing et social washing toujours plus courageux … et ce sont autant de signaux forts qui témoignent d’une montée en puissance de la prise de conscience générale que le monde change et qu’il est temps pour les entreprises de s’adapter.

Mais parce que chacun y va de sa démarche, la RSE est aussi rentrée dans une phase de confusion grandissante faisant cohabiter initiatives durables, labellisation tous azimut, controverses et générant incertitude et défiance.

Aussi, après un rapide coup d’œil dans le rétroviseur, je vous invite à revenir aux fondamentaux puis à vous projeter dans un avenir où les entreprises s’engagent vraiment et embarquent toutes leurs parties prenantes sur un chemin du progrès dicté par la seule envie d’avoir un impact positif et durable. A l’image de la communauté des entreprises labellisées B CORP[2] qui ne cherchent pas uniquement à être les meilleures du monde, mais les meilleures pour le monde.

Flash-back : regardons dans le rétroviseur 50 années en arrière

Plutôt que retracer l’historique de la RSE en détail, la littérature sur le sujet est prolixe, j’ai choisi de mettre en exergue 3 dates qui jalonnent la montée en puissance du développement durable :


 
-      Le discours d’Antoine Riboud, PDG de BSN (devenue Danone) aux Assises nationales du CNPF, le 25 octobre 1972 à Marseille, devant 1.800 patrons largement hostiles ; un texte fondateur qui :

·  D’une part, se fait le promoteur du concept de « développement durable » 15 ans avant que le ministre d’état de Norvège n’en fasse mention dans son rapport éponyme, le rapport Brundtland, pour les Nations Unies : « le développement durable doit répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » 

·  D’autre part, préfigure la loi PACTE, puisque son auteur affirmait alors que « l’entreprise n’a de sens que si elle porte simultanément un projet économique et un projet social »


-      La crise des subprimes de 2008 qui remet en cause l’intégrité de la Finance en jetant un coup de projecteur violent sur des pratiques peu correctes et collectivement dévastatrices :

·  La transparence dans les opérations financières et la protection des investissements sont dès lors au cœur des principales préoccupations des régulateurs 

·  Les acteurs financiers dont l’image a été mise à mal ne sont pas en reste : « Nous avions l’ambition, après le traumatisme de 2008, de bâtir une autre finance, plus réaliste, moins spéculative, toute en confiance. Acheter des actions, c’est investir dans une entreprise, c’est croire en l’avenir, ce n’est pas un gros mot. » confie un asset manager réputé


 
-      La loi PACTE, promulguée le 23 mai 2019, qui se fait l’écho du rapport Notat-Senard sur l’entreprise objet d’intérêt collectif ; elle offre un socle de pensée différent aux acteurs économiques avec un code civil qui revisite la définition d’une entreprise autour de trois paradigmes :

·  Penser l’interdépendance et passer d’une vision cloisonnée à une vision qui intègre ses parties prenantes : l’entreprise est connectée à son écosystème

·  Penser le temps long : l’entreprise définit sa raison d’être - que les conseils d’administration et actionnaires peuvent choisi d’inscrire ou pas dans les statuts - qui est là pour pérenniser le projet d’entreprise et ses valeurs au-delà du (ou des) mandat(s) de ses dirigeants

·  Penser la réussite et le succès autrement : la mission déclinée autour de la raison d’être et des engagements E, S, G propose d’aligner performances financière et extra-financière


 
Après ce 1er coup d’accélérateur donné à la transformation des entreprises, le COVID-19, aussi impactant qu’inattendu viendra bousculer les agendas et ouvrir un nouveau chapitre de la RSE : « le moment est venu de passer d’une accumulation de bonnes pratiques RSE, utiles et sérieuses, au management programmé d’un ‘modèle d’affaire durable’, en lien avec les ODD[3]». Résultat, en 2022, l’impératif d’impact positif est partout, la contribution positive devenant un argument promotionnel de poids auprès des parties prenantes de l’entreprise, à commencer par les talents en recherche d’employeur responsable.


 

Une accélération par la norme …

Reconnaissons à la réglementation - les uns parlent d’inflation, les autres de tsunami - son rôle d’accélérateur quand bon nombre d’entreprises, tous secteurs confondus, résistent encore à l’idée de lancer leur propre démarche RSE : il est vrai que la perspective de transformer durablement son modèle d’affaire et son organisation peut en effrayer plus d’une. Il n’en reste pas moins qu’à partir de 2024, ce sont quelque 50. 000 entreprises - vs 11.600 aujourd’hui - qui se verront soumises à la directive CSRD : elle définit ainsi un standard européen en matière d’évolution durable ; le reporting induit, qui repose sur le principe de double matérialité et se base sur les critères ESG, s’aligne sur la taxonomie européenne et le règlement qui encadre la finance durable, à savoir SFDR[4].


 
Pour l’heure, si l’on observe la contribution du SBF 120 aux ODD cette année[5], une majorité d’entreprises se sont approprié le concept, en témoigne l’utilisation qu’elles en font dans les Déclarations de performance extra-financière :

·  Elles sont 108 à citer explicitement un ou plusieurs ODD contre 47 en 2015  

·  5 ODD sont majoritairement mentionnées[6], l’ODD 13 étant le plus cité

·  42% des entreprises qui communiquent sur les ODD mettent en parallèle les axes de leur stratégie RSE avec leurs objectifs de développement durable, estimant la contribution de la première aux seconds en cochant les ODD concernés


 
Cela dit, il convient de relativiser la dimension transformatrice des ODD dans la mesure où les entreprises en font essentiellement un objet de communication ; de même, concernant les enseignements tirés d’un tel échantillon qui est loin d’être exemplaire au regard de la Diversité & Inclusion. En effet, la quasi-totalité des 120 entreprises affiche des politiques en la matière sachant que, dès 2004, une bonne trentaine avait d’ailleurs signé la Charte de la Diversité. Or le constat[7] est sans appel :

·  3,5% des dirigeants des COMEX sont des minorités visibles

·  Seuls 4 CO sont issus de la diversité ethno-culturelle

·  4,2% des membres des CA sont des minorités visibles


 
Doit-on rappeler ici l’impact du ‘board’ sur la performance ESG de l’entreprise ? Une analyse[8] récente réalisée sur plus de 5.000 entreprises dans 50 pays a démontré que les entreprises dont le board est diversifié sont associées à de meilleures performances environnementales et sociales ; elles se distinguent ainsi par :

·  La composition du CA qui s’éloigne le plus possible des modèles traditionnels « male, pale and stale » 

·  L’indépendance des administrateurs

·  La création d’un Comité Développement Durable pour disposer d’une vision holistique des questions ESG, donner plus de force à ces questions au sein du CA et générer un leadership plus éclairé en la matière 


 
Dans le même registre, rappelons qu’il y a dix ans était votée la loi Copé-Zimmermann qui imposait un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 salariés.  Le bilan est largement positif et montre que les quotas, malgré les réticences de principe qu’ils suscitent, sont une solution pragmatique permettant de dépasser des blocages anciens et injustifiables.


 
On le voit, les sources de débat ne manquent pas et si de nombreux investisseurs sont devenus des promoteurs inconditionnels de l’ESG, certaines affaires ont porté un coup sérieux à son image en lui faisant perdre sa crédibilité ; ORPEA étant incontestablement celle en France qui a le plus marqué les esprits.  Dans ce contexte, de plus en plus de dirigeants cherchent à dépasser l’insuffisance de la conformité. La définition de la Raison d’être de leur entreprise est une réponse satisfaisante car elle permet d’être plus spécifique.  


 

… Une transformation par le sens …

Au cœur de tous les débats, la quête de sens fait l’unanimité, la crise sanitaire ayant agi comme révélateur et accélérateur des interrogations sur la relation au travail. Pour autant, les opinions sont loin de converger quand on évoque des problématiques de désengagement ou de démission. En effet, ce sens qu’appellent de leurs vœux les talents, toutes générations confondues, vient d’une exigence bien plus que d’un désengagement, aux dires de certains DRH de Maisons très engagées ; exigence qui naît, précisément, de la pression des crises subies. Alors de quoi parle-t-on exactement ?


 
Le sens pour un dirigeant s’inscrit dans une réflexion qui porte sur :

·  La finalité de l’entreprise, au-delà de l’intérêt des actionnaires

·  La place de l’entreprise dans son écosystème

·  La valeur qu’elle crée pour ses différentes parties prenantes

·  Sa contribution aujourd’hui et demain aux grands défis eu égard à sa force d’innovation et d’intervention


 
Ce faisant, le projet d’entreprise est revisité dans ses invariants structurants et la raison d’être prend naturellement sa place au sommet de la pyramide stratégique. L’intention devient claire, nourrie par une ou des convictions.


 
Le sens pour un collaborateur au travail revêt trois significations distinctes[9] :

·  Le sens comme direction : où va l’entreprise et en quoi je contribue à sa stratégie et son avenir ? Ce qui permet une meilleure compréhension des objectifs assignés et donne le sentiment d’œuvrer à un projet commun et collectif

·  Les sens comme signification : quelle est la valeur de mon travail à mes yeux, à ceux de mon manager et de mon entreprise ? Est-elle reconnue ?

·  Le sens comme sensation : mon travail me procure-t-il une sensation de bien-être, de sécurité et d’estime de moi ?


 
Le sens ne se donne pas, il se révèle par confrontation avec le vécu professionnel de chacun. Aussi les actions menées dans le cadre d’une QVT[10] participent-elles à ce sens dans ses trois dimensions.


 
Si l’un des rôles clés des Managers de proximité est d’expliquer le sens de ce que l’entreprise fait, quelles sont les causes que servent les actions au quotidien, l’engagement des collaborateurs tient d’abord à l’exemplarité et au leadership : c’est, en effet, de la responsabilité du leader de l’entreprise de partager une passion, une énergie et une vision pour donner l’envie d’une entreprise collective et ainsi embarquer tous les collaborateurs. Et l’engagement de ces derniers sera d’autant plus fort si l’environnement de travail répond à leurs attentes et besoins et que les contributions individuelles sont reconnues et valorisées.


 

… Un leadership à impact …

Si la RSE n’est pas que le sujet des dirigeants, pour autant « pour placer le développement durable au cœur de la stratégie du groupe, le sujet doit être porté à son plus haut niveau » confiait récemment Marie-Claire Daveu[11], Directrice du DD de Kering. De fait, il y a consensus autour de la nécessité d’un leadership responsable incarné qui s’engage et s’exprime publiquement sur des enjeux sociaux et politiques controversés ; ce qui suppose que le leader, clé de voûte des transitions, est doté des qualités suivantes :

·  Mu par l’ambition de faire gagner l’entreprise dans un monde qui va gagner, sa quête de sens est doublée d’une quête d’exigence

·  Il est capable de réinventer le paradigme du succès ; un succès qui ne dépend plus seulement de la performance financière, mais se fonde également sur la performance environnementale et sociale de l'entreprise    

·  Il a des valeurs et une vision et sait quelle place de contributeur l’entreprise doit occuper sur son marché et au sein de la société

·  Il fait montre de courage, prend des positions, affiche ses convictions ; ce qui fait dire à Emery Jacquillat, Président de CAMIF : « il incarne sincèrement la démarche RSE avec radicalité »

·  Il fait de l’entreprise un lieu de circulation des savoirs et de transmission


 

… Une responsabilité partagée qui impacte toutes les fonctions de l’entreprise

De nombreuses expressions cohabitent dans l’entreprise, qui ciblent tantôt le client (promesse de marque), le collaborateur (promesse employeur, valeurs) ou encore l’investisseur (vision) ; chaque fonction pouvant se prévaloir de sa mission au regard d’une promesse qui concourt à la raison d’être, explicite ou implicite, de l’entreprise. Dès lors que celle-ci initie une démarche RSE, transversale par essence, toutes les fonctions se trouvent impliquées. Le travail intellectuel et collégial mené par la place française[12] sur la notion d’Entreprise Full-RSE témoigne de cette nécessité de faire évoluer les feuilles de route de chacune des fonctions pour qu’elles endossent progressivement cette responsabilité partagée. Trois d’entre elles en particulier méritent d’être mises en exergue :


 
" La fonction RH, qui s’implique dans le pilotage des personnes et des organisations au-delà du management des collaborateurs :

·  Elle prend de la hauteur et devient un véritable Business Partner, accompagnant désormais la gouvernance face aux transformations de l’organisation et de son fonctionnement

·  Elle élargit son écosystème car la relation entre l’entreprise et ses collaborateurs est repensée dans une approche plus ‘partenariale’ qui repose sur un contrat avant tout moral de confiance, supporté par un contrat juridique qui revêt moult formes   


 
" La fonction Marketing, longtemps cantonnée à une action de passeur entre le savoir-faire de l’entreprise et les attentes des clients, s’enrichit d’une responsabilité nouvelle qui la place, en outre, dans une situation où elle se retrouve confrontée à des injonctions contradictoires : comment accompagner le client/consommateur citoyen dans la sobriété et vers un comportement de consommation plus vertueux sans le culpabiliser ? Comment rendre un pricing responsable acceptable ?     

·  Plus incarnée, c’est une fonction qui se délocalise pour s’inscrire davantage dans la proximité de terrain et se mettre au service des communautés, en lien avec les nouveaux modes de vie

·  Elle se retrouve engagée dans une logique de preuve avec des propositions de valeur qui démontrent leurs impacts, indicateurs à l’appui

·  Elle anime les stratégies d’Innovation, sources d’un progrès revisité vers un futur souhaitable ; ainsi, l’économie circulaire, l’éco-conception, l’innovation régénérative, le biomimétisme etc. sont autant d’approches, de méthodes, de concepts qui accompagnent l’innovation pour créer de nouvelles formes de valeur et de modèles alignés avec nos enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux ; on parle d’ailleurs d’Innovation Responsable[13]
 


" La fonction Communication : puissant levier de mobilisation, en interne comme en externe, la communication a le pouvoir de faire aimer, choisir, changer ; mais le contexte inédit de crises de natures multiples a généré de l’incertitude et de la défiance amplifiées par le besoin absolu des entreprises de se différencier qui a conduit ces derniers mois à une recrudescence de cas de green ou social washing  

·  Aussi la fonction Communication doit-elle effectuer sa mue pour retrouver ses lettres de noblesse et susciter l’engagement à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, passer du discours à la preuve en valorisant le travail délicat de mesure qui relève de la responsabilité des opérationnels sur le terrain et qui doit trouver un écho dans les attentes et priorités des parties prenantes   

·  A l’heure des nouveaux modèles de travail hybride, elle doit être à même d’animer un collectif et créer du lien au-delà d’un lieu de travail en s’appuyant sur des valeurs et une culture de la responsabilité et de la transparence qui impose précisément de nouveaux KPIs et de la pédagogie

·  Et c’est toute la filière Communication qui doit mobiliser son talent pour à la fois créer de nouveaux récits inspirants, des contenus plus responsables et opter pour des campagnes éco-conçues, la forme devenant aussi importante que le fond


 
 Bien sûr, dans cette entreprise Full-RSE qui voit l’ensemble de ses fonctions se transformer pour contribuer à son devoir de responsabilité collective, la fonction RSE, confortée dans sa légitimité, est par essence la fonction de l’engagement de l’entreprise, gardienne du sens et des valeurs.


 
Conclusion : on se prépare à un changement de regard profond sur les acteurs économiques

Dans son livre « L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus » publié en 2019, Pascal Demurger avançait l’idée que l’entreprise n’avait d’autre choix que de s’engager. Les 886 sociétés à mission référencées par l’Observatoire éponyme, à l’image de tous ces (jeunes) dirigeants qui se rassemblent au sein de think tanks, associations ou communautés dites à impact,  témoignent de cette volonté de jouer un rôle plus politique en acceptant de prouver son utilité sociétale, avec une présence plus ancrée sur les territoires qui interagit avec une multitude d’acteurs et de collectifs. Alors certes, nous n’en sommes encore qu’aux prémisses, la route est longue et il y a une urgence à se mettre en chemin … sans se précipiter. Mais force est de constater que, après quelque 40 ans marqués par la ‘financiarisation’ des entreprises, l’ère de leur ‘sociétalisation’ est venue ; ce qui signifie qu’on va les regarder à travers à la fois les choix qu’elles vont faire et leurs externalités dont elles vont piloter l’impact.


 
Le discours d’Antoine Riboud, 50 ans plus tard, n’a véritablement pas pris une ride et je fais mienne sa conclusion : « Conduisons nos entreprises autant avec le cœur qu’avec la tête et n’oublions pas que si les ressources d’énergie de la terre ont des limites, celles de l’Homme sont infinies s’il se sent motivé ».

>> Lire l’analyse

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