Vega IM : semi-conducteurs, un enjeu économique et géopolitique

Économie
Vega IM : semi-conducteurs, un enjeu économique et géopolitique

Par Samy Frifra, Gérant-Conseil (Gestion Conseillée Premium)

L’industrie des semi-conducteurs est aujourd’hui au cœur des enjeux géopolitiques et géoéconomiques mondiaux. Alors que les investisseurs se ruent actuellement sur les valeurs du secteur cotées en bourse, il est important de comprendre le rôle joué par chaque entreprise dans cette industrie à l’origine de la technologie moderne.

Les semi-conducteurs sont des composants essentiels à de nombreux objets de la vie quotidienne. Ils occupent une place centrale dans l’industrie du numérique, de la santé, de la défense, de la transition énergétique et de l’automobile. Les récentes pénuries observées sur les chaînes d’approvisionnement ont mis en évidence l’importance des semi-conducteurs dans l’ensemble de ces secteurs. Sans eux, nous ne pourrions pas avoir d’ordinateur, de smartphone, de réfrigérateur, de voiture ni même d’avion.

Les acteurs du marché des semi-conducteurs

Face à des coûts d’investissement (dépenses en R&D, coût des usines) toujours croissants, les acteurs se sont fortement spécialisés. Derrière l’industrie des semi-conducteurs, se cachent de nombreux acteurs dont le rôle est différent et génère de nombreuses confusions chez les néophytes.

Les équipementiers

Ce sont les fabricants des équipements et des machines indispensables à la conception des puces. Dans la conception des machines, l’européen ASML (Pays-Bas) en est le leader incontesté grâce à sa maitrise de la technologie de lithographie extrême ultraviolette. Parmi les équipementiers majeurs, on retrouve Applied Materials (19% PDM) et Lam Research (14% PDM).

Les fabricants de wafers

Les wafers sont de fines tranches de silicium, pur ou dopé, découpées dans des lingots de silicium. Leurs épaisseurs vont de quelques millimètres à quelques microns et peuvent être ajustées en fonction de l'application grâce à des procédés d'amincissement. Les fabricants de wafers utilisent le silicium extrait du sable qui est par la suite traité pour être revendu aux fonderies ou aux fabricants de dispositifs intégrés (IDM). Les acteurs majeurs sont les japonais Shin-Etsu Handotai, SUMCO Corporation, Global Wafers Co, le sud-coréen SK Siltron Co et l’allemand Siltronics AG. Le marché du substrat innovant est quant à lui dominé par le français SOITEC.

Les fabless

Ce sont des entreprises spécialisées dans la R&D, la conception, le design et la commercialisation des semi-conducteurs. Elles conçoivent et vendent leurs puces, mais sous-traitent l’intégralité de leur fabrication à des fondeurs. Les entreprises américaines (Nvidia, Qualcomm, Broadcomm) sont extrêmement présentes dans cette catégorie. Ce rôle leur permet de maîtriser 38% de la valeur ajoutée mondiale du secteur.

Les fonderies

Les fonderies de semi-conducteurs sont des usines de fabrication dans lesquelles les dispositifs tels que des circuits intégrés sont fabriqués par photolithographie. Ses fournisseurs sont les équipementiers et ses clients sont les Fabless. La plus importante n’est autre que le taiwanais TSMC qui concentre 54% de part de marché. Si bien que de nombreuses entreprises américaines (fabless) en sont aujourd’hui fortement dépendante. Actuellement, TSMC produit les puces 5 nm d’Apple (A16 Bionic) qui équipent l’IPhone 14 Pro et l’IPhone 14 Pro Max. Le deuxième fabricant mondial est le sudcoréen Samsung (17% PDM) et le seul fabricant majeur, hors Asie? est l’américain GlobalFoundries (7% PDM).

Les fabricants de dispositifs intégrés (IDM- Integrated Devices Manufacturer)

Ils disposent de leurs propres sites de fabrication et utilisent leurs propres procédés pour différencier leurs produits. Ils réalisent l’ensemble des étapes de la conception à la fabrication en passant par la vente des puces. Parmi les IDM majeurs on retrouve le sud-coréen Samsung, les américains Intel, Texas Instruments, Micron, le franco-italien, STMicroelectronics, et l’allemand Infineon.

L’enjeux de la miniaturisation

Depuis près de 50 ans, le nombre de transistors dans les semi-conducteurs double tous les deux ans. C’est ce développement technologique continu et exponentiel qui a été le principal moteur de la croissance du marché des semi-conducteurs au cours des dernières années. Alors qu’au début des années 2000, le processus de gravure était de 13 micromètres, la recherche permanente dans la miniaturisation a permis l’essor de technique de gravure de type 20 nanomètres dans les années 2010 jusqu’à atteindre récemment cinq nanomètres. La technologie de lithographie extrême ultraviolet, dont l’européen AMSL est le leader, a rendu possible ces récents efforts dans course à la miniaturisation.

À ce jour, seuls TSMC (Taïwan) et Samsung (Corée du Sud) ont la capacité de fabriquer des semiconducteurs reposant sur une technologie inférieure à sept nanomètres. Les smartphones haut de gamme requièrent à minima un processus de fabrication de sept nanomètres pour leurs microprocesseurs, ce qui signifie que l’économie numérique mondiale, y compris la Chine, dépend de Taïwan et de la Corée du Sud. En 2022, les deux fabricants ont accentué encore un peu plus leur domination en lançant la production industrielle de leurs puces en trois nanomètres.


Guerre technologique au cœur des enjeux géopolitiques

Les micro-processeurs sont aujourd’hui au cœur de la guerre économique sino-américaine. Même s’il y a un nombre important d’acteurs dans la conception des semi-conducteurs aux États-Unis, les outils de production sont eux concentrés en Asie (Taïwan, Corée du Sud et dans une moindre mesure en Chine). En 2022, les autorités américaines ont souhaité porter leurs sanctions sur les puces haut de gamme (minimum 7 nm) et ont exigé d’AMSL d’arrêter d’exporter en Chine leurs machines de lithographie (EUV – Extreme UltraViolet) indispensables à la fabrication des technologies les plus avancées. En agissant de la sorte, l’entreprise Huawei a perdu en compétitivité sur le marché du smartphone et des équipements 5G. Pour contrecarrer l’offensive américaine, la Chine a mobilisé d’importante ressources financières afin de gagner en autonomie dans l’industrie des semi-conducteurs. L’empire du milieu consacrera entre 130 et 140 milliards de dollars à un plan de soutien à son industrie des puces au cours des cinq prochaines années. Il compte également exploiter au maximum ses efforts dans les puces dites « matures » (comprise entre 14 et 32 nm) qui sont utilisées dans l’industrie de l’automobile ou de l’électroménager. La demande de ces puces représente 90% de la demande globale et peuvent être fabriquées à l’aide d’une machine lithographie moins perfectionnée (DUV – Deep UltraViolet).

Malgré la volonté chinoise de rattraper leur retard dans les puces haut de gamme aux profits bien plus importants, il faudra attendre plusieurs années avant d’obtenir les premiers résultats positifs dans ce domaine. Actuellement, le principal acteur chinois SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation) est l’unique fonderie capable de fabriquer des puces en 14 nm.

Dans cet affrontement économique, Taïwan relève d’un intérêt hautement stratégique. TSMC est le symbole de la prépondérance de l’île dans le secteur des semi-conducteurs. L’entreprise taiwanaise représente plus de la moitié du marché mondial de la fonderie au point de fournir près de 90% des puces les plus avancées.

La dépendance des entreprises américaines à TSMC explique pourquoi les États-Unis ont redéployé une partie de leur force dans l’indopacifique au détriment du golfe Persique. La visite de Nancy Pelosi (ExPrésidente de la Chambre des Représentants) en août 2022 a également mis en évidence toute l’importance stratégique de l’île pour l’Oncle Sam.


Chips Act : les États-Unis entendent sécuriser leurs approvisionnements et rebâtir leur souveraineté technologique

En juillet 2022, le congrès américain a approuvé le « Chips and Science Act » au sein duquel le volet « Chips for America Act » a pour objectif de soutenir l’industrie des semi-conducteurs à hauteur de 52 milliards de dollars dont 39 milliards de dollars de subventions subordonnées à la construction ou la modernisation d’usines sur le territoire américain. Les 13 milliards restant seront consacrés à la Recherche et Développement.

Au-delà de produire sur le territoire américain, les entreprises devront aussi offrir des garanties afin de bénéficier de ces subventions. Gina Raimondo, secrétaire d’Etat au Commerce, a notamment indiqué que les fabricants américains ou non, devront s’engager à ne pas augmenter leur capacité de production dans un pays problématique sur une période de dix ans. Même si la Chine n’est pas explicitement mentionnée, il est fort probable qu’elle en fasse partie. L’administration américaine veillera également à ce que les subventions octroyées ne servent pas à des rachats d’actions ou paiement de dividendes.

Face à ce plan, de nombreux fabricants ont déjà pris leurs dispositions. TSMC a entamé la construction de deux usines en Arizona pour un investissement avoisinant les 40 milliards de dollars. Intel construira de son côté deux usines dans l’Ohio tandis que Samsung en construira une au Texas.

Les États-Unis souhaitent donc bâtir une alliance appelée « Chips 4 » avec les 3 plus grandes puissances asiatiques dans les semi-conducteurs. Le premier est Taïwan (TSMC et MediaTek), le second est la Corée du Sud (Samsung Electronics, SK Hynix) et le troisième est le Japon (Toshiba, TEL, Renesas). Cet ensemble détiendrait 84% du marché mondial des semi-conducteurs et couvrirait l’ensemble des de la chaîne de valeur.


Le principal objectif de ce plan est de sécuriser l’approvisionnement des semi-conducteurs essentiels à de nombreuses entreprises américaines dans tout secteurs d’activités. Au début des années 90, les États-Unis fabriquaient 30% de la production mondiale avant de chuter aujourd’hui à 10%. Les pénuries constatées sur les chaînes de production au sortir de la crise sanitaire ont créé un électrochoc politique. Il est fini le temps où les États-Unis se concentraient uniquement sur la conception et délaissaient la production à l’Asie. De plus, il serait naïf ne pas comprendre que les restrictions imposées aux bénéficiaires de ce plan ont également pour objectif de nuire aux ambitions chinoises dans les domaines de la défense et de la technologie.


Quelle place pour l’Union européenne dans cette bataille technologique ?

Malgré des acteurs importants tels que ASML, et dans une moindre mesure, Infineon et STMicroelectronics, il n’en demeure pas moins que les pays européens sont fortement dépendants de l’Asie dans la fabrication des puces les plus avancées. Ce manque de compétitivité les amène ainsi à définir une stratégie afin de renforcer leur souveraineté dans cette industrie. Pour ce faire, l’UE a proposé un règlement appelé « European Chips Act » pour lequel le Parlement européen apportera une réponse définitive dans les prochaines semaines. À travers ce dispositif, la Commission européenne ambitionne que l’Europe représente 20% de la production globale des semi-conducteurs d’ici à 2030. Ce dispositif prévoit une enveloppe de 45 milliards d’euros de subventions qui seront assumées directement par les Etats membres. La Commission n’a de son côté qu’aménagé sa réglementation liée aux aides publiques.

Initialement, les aides ne devaient concerner que les puces de dernières générations mais eu égard au retard des européens dans cette technologie, il a été convenu de les étendre aux autres puces. Pour rappel, plus une puce est avancée et plus ses coûts de production sont importants. La construction d’une unité de production de dernière génération peut coûter plusieurs dizaines de milliards d’euros, si bien que les 45 milliards d’euros de l’European Chips Act semblent bien insuffisants.

Il serait donc préférable que l’Europe se concentre sur la production des puces dites « matures » consommées en grande partie par ses industries telles que l’automobile.

Il y a fort à penser qu’une partie de ces 45 milliards d’euros iront dans le projet de construction d’une « mégafab » entre STMicroelectronics et GlobalFoundries à Crolles (près de Grenoble) dont le coût est estimé à 5.7 milliards d’euros.

Néanmoins, ces montants paraissent bien maigres au regard du plan d’investissement dévoilé en 2022 par la Corée du Sud. Ce dernier, d’un montant de 450 milliards de dollars, a pour ambition de permettre aux pays de devenir le leader mondial de la production de semi-conducteurs. Samsung Electronics, le plus important producteur mondial de puces mémoires, concentrera à lui seul plus du tiers de ces investissements (150 milliards de dollars) afin de gagner des parts de marché sur son principal concurrent et leader incontesté, le géant taïwanais TSMC.

Par Samy Frifra, Gérant-Conseil Avec la participation de Floriane Dieng, Analyste Financier Junior

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