Argent, le précieux métal aux multiples usages (Ofi Invest AM)
L’argent est un métal précieux, au même titre que l’or, auquel il est généralement associé et financièrement corrélé. Il est à ce titre très utilisé en bijouterie, partout à travers le monde. L’argent est également apprécié depuis des siècles comme investissement et réserve de valeur, et utilisé comme moyen d’échange de la même manière que l’or. Cependant, en raison de sa valeur inférieure et de sa plus grande disponibilité, l’argent est accessible à un plus grand nombre de personnes qui choisissent de conserver de l’argent physique plutôt que du papier-monnaie.
Il est également un métal industriel, du fait de ses propriétés exceptionnelles : l’argent n’est en effet pas moins que le meilleur conducteur d’électricité au monde. Mais saviez-vous qu’il est aussi un matériau de choix en pharmacie ou pour le développement de nanoparticules ? Qu’il est indispensable à la transition énergétique et qu’il jouera, dans les prochaines années, un rôle majeur dans l’essor des applications de l’intelligence artificielle ?
Ces nouveaux usages modifient profondément l’équilibre du marché de l’argent. Voici un point sur un marché complexe et fascinant.
Les multiples facettes de l'argent
Métal précieux
Chaque matériau est unique. Cependant, la grande diversité des caractéristiques et applications de l’argent en font un métal véritablement exceptionnel.
L’argent est d’abord considéré comme un métal précieux : ductile, donc pouvant être facilement étiré sans se briser, et malléable, il se façonne aisément. Il est de surcroît l’une des matières les plus brillantes et réfléchissantes. Ces éléments en font un métal de choix pour le secteur de la bijouterie, qui représentait 18,8 % de la demande d’argent(1) en 2022.
Métal industriel
Mais l’argent est également un métal industriel : l’un des matériaux les plus conducteurs d’électricité au monde, il est utilisé dans les circuits, câbles et interrupteurs électriques, ses propriétés uniques rendant toute substitution difficile. Sa grande malléabilité en fait notamment un métal nécessaire à la fabrication des composants électroniques les plus réduits, comme ceux que nous trouvons à l’intérieur d’un smartphone. La plupart des ordinateurs, téléphones portables et automobiles contiennent ainsi de l’argent. C’est aussi la substance idéale pour revêtir les contacts électriques – comme ceux des circuits imprimés – en raison de sa conductivité électrique élevée et de sa durabilité. Peindre de l'encre argentée sur n'importe quelle surface non métallique fournit un chemin électrique, éliminant le recours à des fils. Les antennes des puces électroniques, fines comme du papier, sont constituées d’argent pulvérisé.
Métal biotechnologique
Moins connue est l’utilisation de l’argent en pharmacie et dans les biotechnologies, pourtant répandue. L’argent a en effet la propriété unique de pouvoir pénétrer les parois des cellules de bactéries – et ce sans endommager les cellules saines – et de détruire la capacité du microbe à se reproduire. Cela permet d’utiliser les ions d’argent comme biocide, un enjeu de plus en plus important alors que la surutilisation des antibiotiques chimiques crée de nombreuses résistances bactériennes.
Que retenir ? Outre ces nombreuses applications historiques, de nouveaux usages enclenchent une transformation profonde des équilibres de ce marché, et provoquent aujourd’hui une explosion de la demande d’argent.
La production minière d'argent : sans contrainte
L’argent se trouve parfois dans la croûte terrestre sous sa forme la plus pure. Mais, il provient plus généralement de mines extrayant principalement d’autres métaux, or, cuivre ou plomb, duquel il doit être séparé. Environ plus de 70 % de l’argent extrait provient ainsi de mines exploitant également d’autres métaux, l’argent en étant un co-produit.
En 2023, l’offre mondiale d’argent s’élevait à 29 000 tonnes, dont 23 800 tonnes de production primaire, d’extraction d’argent donc, auxquelles s’ajoutent un peu plus de 5 000 tonnes d’argent recyclé sur l’année.
En termes de répartition géographique, le principal producteur d’argent est le Mexique, qui représente en 2023 environ 23,5 % de la production primaire mondiale. Viennent ensuite la Chine et le Pérou, réalisant chacun entre 12 et 14 % de la production. Le reste de la production est assez disséminé.
La répartition géographique de la production mondiale d'argent
Les réserves d’argent dans les mines primaires en activité et en projet totalisent aujourd’hui environ 3 466 millions d’onces ou 107 812 tonnes(2), soit 4 ans de production sur la base de la production actuelle. Ce chiffre est en baisse d’environ 5 % comparé à 2022 du fait de la déplétion naturelle ainsi que du durcissement des conditions économiques autorisant la conversion de ressources en réserves. Plus globalement, les réserves identifiées au niveau mondial toutes sources d’argent confondues sont de 530 000 tonnes, soit seulement 20 ans de production.
Comme pour de nombreux autres métaux, et alors même que la demande augmente rapidement, la production d’argent fait face à de sérieuses difficultés : tensions sociales, grèves, voire mésententes avec les gouvernements locaux paralysant l’activité (exemple de la fermeture de la mine de cuivre - et d’argent, en co-produit de Cobre-Panama pour une durée indéterminée annoncée fin 2023), forte hausse des coûts d’exploitation et de financement, baisses de production liées à une diminution de la concentration en minerai dans les sols de certaines mines... Ces différents éléments ont conduit à une baisse de 1 % de la production primaire d’argent en 2023.
Pour l’année 2024, la production primaire d’argent est à nouveau attendue en baisse d’environ 1 %. Néanmoins, cette baisse pourrait être plus prononcée : compte tenu de l’accumulation de contraintes pesant sur l’activité, les objectifs de production annoncés par les compagnies minières soulèvent, à juste titre, de plus en plus de doutes.
Ajoutons que cette sous production n’est pas un événement isolé : la baisse de rendement des mines est à l’œuvre depuis plus de 10 ans, la dégradation des rendements miniers (concentration en minerai dans le sol) étant l’une des raisons majeures de ce phénomène.
La production d'argent : Pérou et Mexique
Rappelons enfin que l’ensemble de ces difficultés, combinées à la pression extra-financière pesant sur les compagnies minières et au niveau actuel des prix de marché de l’argent, pas suffisamment élevés pour inciter de nouveaux projets, découragent les investissements dans le secteur. Cela écarte toute perspective de hausse importante de l’offre dans les prochaines années, d’autant plus que le délai moyen d’ouverture d’une nouvelle mine est aujourd’hui de... 17 ans(3).
Cette dynamique d’offre annuelle est à mettre en face d’une demande mondiale de 33 000 tonnes en 2023. Le marché a donc fait face à un déficit de l’offre significatif, de près de 15 % de la demande globale, et ce pour la troisième année consécutive.
L’une des raisons pour lesquelles ce déficit a pour l’instant pu être absorbé par le marché sans provoquer de violente hausse des cours est l’existence d’inventaires d’argent significatifs. Certains ont pu être mobilisés pour faire face à ce surplus de demande. Les inventaires officiels connus étaient à la fin de l’année 2023 de 1 229.9 millions d’onces, soit 38 036 tonnes d’argent. Cependant, l’évolution récente de ces stocks reflète bien l’installation de déficits importants sur ce marché : depuis 2021, ils ont diminué de 26 %. La plus forte diminution de ces stocks à lieu en Chine : les inventaires combinés du Shanghai Gold Exchange (SGE) et du Shanghai Futures Exchange (SHFE) baissent de 39 % pour la seule année 2023 et se creusent encore depuis début 2024. Cela s’explique par l’essor phénoménal de la demande d’argent liée à l’industrie photovoltaïque locale, sur laquelle nous reviendrons.
Les stocks d'argent par place de cotation
Et la transition dans tout ça ?
Outre cet état des lieux des grands équilibres entre offre et consommation d’argent, de nouveaux facteurs viennent aujourd’hui modifier profondément les conditions de marché. Depuis quelques années apparaissent en effet de nouveaux usages, qui forment déjà une part importante et toujours croissante de la demande.
Le premier est l’utilisation de l’argent dans le secteur photovoltaïque, marché en explosion et qui représente l’une des sources majeures de production d’électricité décarbonée. La poudre d’argent, transformée en pâte, est appliquée sur les galettes de silicone constituant le panneau solaire. Quand la lumière du soleil atteint le panneau, les électrons sont libérés et l’argent conduit l’électricité pour un usage immédiat ou pour être stockée. La demande d’argent liée à cette industrie est en forte progression : de moins de 5 % en 2014, elle a dépassé 15 % de la demande mondiale en 2023, et devrait frôler 20 % de la demande en 2024.
La demande dans les secteurs photovoltaïque et des véhicules électrifiés
Cette tendance devrait encore s’accélérer : la technologie de panneau solaire actuellement dominante, cellule dite « passivated emitter and rear contact » ou PERC, est en passe d’être supplantée par deux technologies plus efficientes. Les cellules solaires dites « tunnel oxide passivated contact » ou TOPCon, consomment 13 milligrammes d’argent par watt, et les cellules à hétérojonction en consomment 22 milligrammes, là où les cellules PERC actuelles n’en nécessitent que 10 milligrammes. Les besoins en argent vont donc augmenter significativement dans cette industrie, les deux nouvelles technologies étant vouées à dominer le marché dans les deux prochaines années.
Contenu d'argent des technologies de panneaux solaires
PERC : 10 milligrammes par watt
TOPCon : 13 milligrammes par watt
Hétérojonction : 22 milligrammes par watt
(source BloombergNef)
Ajoutons enfin que certains industriels tentent de trouver des voies de substitution de l’argent par d’autres métaux, comme le cuivre, dans la fabrication de panneaux solaires. Ils sont pour l’instant confrontés à deux problèmes majeurs. D’une part les performances des panneaux ainsi créés sont très inférieures à celles des panneaux contenant de l’argent. D’autre part, le cuivre connaît lui aussi une forte hausse de demande liée à l’électrification et à la digitalisation de l’économie, ainsi que des contraintes de production, situation réduisant les possibilités d’une substitution à grande échelle.
Outre le secteur photovoltaïque, un autre marché émerge pour l’argent, de taille déjà significative et voué à une forte croissance : celui des véhicules électriques. La présence d’argent dans les batteries n’est pas nouvelle : les propriétés de l’argent sont si riches que le métal est présent dans la plupart des catégories de batteries modernes, de la lampe torche aux batteries du module lunaire du programme Apollo dans les années 60 !
Mais l’essor des batteries électriques utilisées dans le secteur des transports est aujourd’hui à l’origine d’une hausse significative de la demande d’argent. Un véhicule électrique contient en effet 25 à 50 grammes d’argent, contre 18 à 34 grammes pour un véhicule thermique classique. Le métal a de nombreuses applications dans un véhicule électrique : présent sous forme de pâte d’argent entre les cellules de la batterie, il est destiné à conduire l’électricité. Il est également utilisé dans les soudures, les coupes circuits, les composants conducteurs d’électricité dans les stations de charge...
Applications électriques et électriques d'un véhicule
Ces différents usages le rendent incontournable, indépendamment de l’évolution des différentes chimies de batteries : nickel, manganèse, cobalt, lithium, fer, phosphate... qui constituent l’intérieur de la cellule de la batterie électrique.
Au travers de l’essor de ces deux nouveaux secteurs que sont l’énergie photovoltaïque et l’électrification des transports, la transition énergétique constitue une source de demande majeure pour l’argent. Pour preuve, en 2023 la consommation d’argent liée à ces deux nouveaux marchés représente déjà 26 % de la demande globale, alors qu’elle était inexistante il y a vingt ans. Autrement dit, la part de la production d’argent consommée par le secteur de l’énergie photovoltaïque croît à un rythme effréné : de 19 % de l’offre mondiale en 2023, elle devrait en capter plus de 23 % en 2024. Si nous ajoutons la demande liée à l’industrie des véhicules électrifiés, ces deux nouveaux usages devraient représenter près de 40 % de l’offre mondiale cette année... Et la croissance de ces deux segments ne fait que commencer : pour le seul secteur du solaire, il nous faut encore doubler les installations annuelles de capacités record de l’année 2023 pour parvenir à contenir le réchauffement climatique, et ce d’ici à 2030 !(4)
Une part de plus en plus importante de la production d’argent sera donc inévitablement absorbée par ces activités.
Demande annuelle d'argent
Enfin, un lien évident se tisse aujourd’hui entre le développement du marché de l’intelligence Artificielle (IA) et celui des métaux. De nombreuses activités seront affectées par le développement de l’IA et seront à leur tour de nouvelles sources de demande pour les matériaux conducteurs d’électricité. À titre d’exemple, le secteur des transports verra une forte croissance de la demande de capteurs et caméras liés aux véhicules autonomes. Ceux-ci consommeront bien davantage d’argent, notamment dans les semi-conducteurs, les commandes, fusibles, interrupteurs, unités de contrôle, radars infrarouges, radar laser (LIDAR) et capteurs de mouvement.
En plus des utilisations finales qui nécessi- teront davantage d’argent, l’augmentation de la demande d’énergie liée à l’IA signifie également une hausse de la consommation pour le métal blanc. En effet, les installations d’hébergement d’IA nécessitent d’immenses quantités d’énergie pour exécuter des algo- rithmes. L'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) a récemment prévu que la consomma- tion totale d’électricité par les data centers pourrait ainsi doubler d’ici 2026, atteignant environ la consommation électrique du Japon... Les réseaux électriques existants devront également se développer pour générer ces capacités additionnelles. En conséquence, la demande d'argent bénéficiera de la crois- sance de la demande de composants utilisés dans la distribution d'énergie et les sys- tèmes de transmission, tels que les contacts électriques dans les interrupteurs, transfor- mateurs, relais et condensateurs. Cette nou- velle demande d’énergie devrait également booster l’industrie solaire, très consommatrice d’argent.
Pour l’année 2024, la demande globale d’argent est attendue en hausse d’environ 2 % : elle devrait bénéficier d’une stabilisation des secteurs de la bijouterie et de l’investissement, mais surtout d’une forte hausse de la demande industrielle (+ 9 %) elle-même dopée par l’essor du secteur photovoltaïque. Ce devrait donc être la quatrième année consécutive de déficit pour le marché.
Comme abordé plus haut, la production d’argent est globalement inélastique, et même de lourds investissements en exploration et extraction ne permettraient pas d’accroître l’offre à court terme étant donnés les longs délais d’ouverture de nouvelles mines. Voilà pourquoi nous pensons que nous entrons aujourd’hui dans une ère de déficits structurels entre offre et demande d’argent, situation qui finira par créer une forte tension sur le marché physique et par extension, sur les prix.
Les inventaires d’argent permettront en partie d’absorber ces déficits récurrents, mais ils ne sont pas inépuisables, et ils seront progressivement consommés au fil du temps. D’autant que l’ensemble des stocks ne peuvent être mis à disposition et consommés : une importante partie d’entre eux forme en effet les stocks stratégiques constitués par les États, où servent à collatéraliser le marché des dérivés sur ce métal.
Que retenir ?
Les étonnantes propriétés de l’argent en font un métal polyvalent et indispensable à de nombreux secteurs industriels. La plupart de nos appareils électroniques, du plus simple au plus perfectionné, contiennent de l’argent : si l’appareil possède un bouton « on/ off », qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’une télécommande ou d’un jouet pour enfant, il y a probablement de l’argent à l’intérieur.
Le marché de l’argent connaît une transformation à la fois rapide et radicale : les nouveaux usages, notamment liés à la transition énergétique et à la digitalisation, ont rapidement pris possession d’une importante part de la production mondiale. En quelques années, l’explosion de la demande est telle qu’ils constituent déjà près d’un tiers de la demande d’argent !
Il résulte de tous ces éléments une pression sur l'offre d’argent si importante qu'une étude de l'Université de Nouvelle- Galles du Sud prévoit que le secteur de l’énergie solaire pourrait à lui seul avoir épuisé entre 85 % et 98 % des réserves mondiales d'argent d'ici 2050(5). En l’absence d’accroissement rapide de la production, difficile à imaginer en l’état actuel des choses, le marché devra se contenter de la variable d’ajustement classique sur un marché de matière première en déséquilibre : le prix...
Par Benjamin LOUVET, Directeur des gestions matières premières et Marion BALESTIER, Gérante matières premières (Ofi Invest AM)
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