Comment investir sur les marchés obligataires en 2025 ? Romain Gobert (Groupe La Française), Thomas d’Hauteville (La Financière d'Hauteville) et Antoine Cauchy (Treeefle Gestion Privée)
Que choisir : fonds ouverts, fonds obligataires à échéance ? La Française Crédit Innovation, de quoi s'agit-il ? Romain Gobert, Directeur Commercial Distribution Externe du Groupe La Française répond aux questions d'Antoine Cauchy, Co-Fondateur de Treeefle Gestion Privée et Thomas d'Hauteville, Fondateur de la Financière d'Hauteville.
Les marchés obligataires à l'heure de la baisse des taux
Un mot sur le rapprochement entre La Française et Crédit Mutuel. C'est effectif ?
Romain Gobert : Ça y est, c'est fait depuis le 1er mai. La Française appartient désormais au Groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Aujourd'hui, nous formons un grand groupe gérant un peu plus de 152 Mds€. Et, qui dit fusion, dit étoffe de la gamme, renforcement des équipes Retail et CGP, avec un recrutement récent pour être au plus près des partenaires, tout en complétant notre gamme dans les domaines obligataire, equity, Private Equity, etc. Nous y reviendrons, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Lors d'une prochaine émission.
Taux : baisse ou stabilisation ?
Thomas d’Hauteville : Romain, sur la partie taux, pensez-vous que cela va continuer à baisser ou au contraire, les taux vont-ils se stabiliser ?
RG : Sur la partie obligataire, il y a trois moteurs de performance pour une obligation. Il y a évidemment les taux d'intérêt, et l'effet taux est particulièrement important aujourd'hui. Il faut raisonner par zone géographique. En Europe, il va probablement y avoir un rattrapage. Nous anticipons une baisse des taux, avec une prévision de 150 à 175 points de base sur l'année 2025. Cela s'explique par le retard de l'Europe, que ce soit en France ou en Allemagne. Les économies sont compliqués, les taux réels sont à zéro. De plus, les politiques, qu'elles soient législatives en Allemagne ou en France, ne facilitent pas les choses.
Nous parlons beaucoup de la France, mais il y a aussi l'Allemagne.
RG : Exactement. L'Allemagne est dans une situation très compliquée. Et ce sont les deux principales économies européennes. Nous pensons que l'Europe devrait souffrir davantage. Par conséquent, les baisses de taux devraient être un peu plus fortes en Europe. En revanche, si l'on prend les États-Unis, la situation reste solide. Depuis que Trump est en place, il est vrai que l'économie américaine se tient bien. Cela signifie probablement que l'économie, avec les réformes de Trump, pourrait pousser l'inflation légèrement à la hausse. Logiquement, les taux devraient baisser, mais moins fortement que prévu. On vise une baisse de 70 à 80 points de base sur l'année 2025 aux États-Unis. Concernant les marchés émergents, à La Française, nous pensons que cela risque d'être un peu plus compliqué, notamment avec la politique Trump, qui pourrait entraîner un dollar fort. Cela ne bénéficierait pas forcément aux économies émergentes. De plus, avec des spreads de crédit très faibles, il y a davantage de coups à prendre que de rendement à chercher sur les émergents.
Quel équilibre rendement-risque sur la partie obligataire ?
Antoine Cauchy : Pour rebondir, Romain, concernant l'avis de La Française, dans ce contexte de plusieurs baisses de taux, quel est le meilleur équilibre rendement-risque sur la partie obligataire ? Que va-t-on chercher dans ce contexte ?
RG : C'est très bien, cela me permet de rebondir sur mon deuxième moteur de performance obligataire : les spreads de crédit. Les spreads de crédit, comme vous le savez, représentent la prise de risque pour une obligation d'entreprise par rapport à un taux sans risque. Aujourd'hui, les spreads de crédit sont au plus bas, et même inférieurs à leurs moyennes historiques dans certaines zones géographiques. Cela dit, il y a encore des choses à faire. Un stock picking peut encore être intéressant sur l'obligataire, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, même si le dollar est très fort et que nous couvrons, à La Française, souvent le risque de change sur les portefeuilles en dollars, il y a encore du rendement à prendre. Mais il est vrai que cela devient un peu plus compliqué. Les marchés émergents restent une part importante de notre stratégie, mais avec un écart de 30 points de base par rapport aux États-Unis, nous pensons qu'il ne faut pas y aller tout de suite. Les spreads de crédit y sont historiquement bas, nous n'avons jamais connu ça. Aujourd'hui, il faut avoir 100 à 150 points de base supplémentaires par rapport aux taux sans risque pour prendre le risque crédit.
Nous avons le temps pour une dernière question dans cette première partie. Thomas ?
Le risque sur le marché High Yield
TH : Concernant le risque évoqué par Antoine, on entend de plus en plus parler de l'augmentation des taux de défaut. Est-ce une tendance que vous constatez également sur le marché High Yield ?
RG : Les taux de défaut restent contenus. Ils ont un peu augmenté cette année, mais restent contenus sur toutes les zones géographiques : États-Unis, Europe et marchés émergents. Nous pensons qu’ils pourraient encore augmenter légèrement, pour atteindre entre 2,5 % et 3,5 % de taux de défauts sur le marché High Yield.
Fonds ouverts contre fonds à échéance ou datés ?
Fonds ouverts contre fonds à échéance ou datés : nous en avons beaucoup parlé ces derniers temps, à l'heure où les taux étaient à la hausse. Que faire maintenant dans un environnement de taux qui est radicalement différent
Antoine Cauchy : Je reviens sur un sujet qui est régulièrement abordé chez La Française : vous avez été des pionniers historiquement sur la partie fonds datés. Maintenant, vous mettez davantage l'accent sur les fonds ouverts. C'est la fin des fonds datés ? C'est toujours la même guéguerre ? Aujourd'hui, est-ce la fin des fonds datés ?
Romain Gobert : C'est vrai que c'est se tirer une balle dans le pied de dire que c'est la fin des fonds datés. En fait, il y a deux sujets entre les fonds ouverts et les fonds datés. Je pense qu'aujourd'hui, nous sommes mieux positionnés sur un fonds ouvert. Mais la vraie raison, c'est que les fonds datés, je pense qu'en compte-titres, cela peut encore avoir du sens, mais en assurance-vie, avec ce qui se passe et ce que les assureurs peuvent proposer sur leur fonds en euros avec des taux boostés, prendre le risque sur un fonds à échéance avec un rendement qui est presque équivalent à ce qu'on peut retrouver chez les assureurs en fonds en euros, je ne suis pas sûr qu'il faille prendre ce risque. Je pense qu'il faudrait entre 100 et 150 points de base de plus que le fonds en euros pour justifier le risque High Yield. Donc, en compte-titres, je dirais oui, cela a encore du sens sur le fonds à échéance. En assurance-vie, je dirais plutôt fonds ouverts, car : nous pourrons bénéficier des inefficiences du marché, bouger un peu plus la duration, qui est un élément très important. Vu le contexte de marché, je pense qu'il va y avoir une baisse des taux, et des rappels anticipés d'obligations à venir dans les fonds à échéance. Donc forcément, il y aura un effritement du rendement au fur et à mesure du temps sur les fonds à échéance, ce qui n'arrivera pas forcément avec un fonds ouvert où nous pourrons mieux piloter l'allocation crédit.
Thomas d'Hauteville : Justement, par rapport au contexte du marché et notamment aux fonds datés, le risque aujourd'hui n'est-il pas d'aller chercher des notations trop basses pour essayer de conserver un niveau de rendement suffisant, à la fois pour vous et pour les clients finaux ?
RG : C'est tout à fait vrai et c'est d'ailleurs pour cela que les fonds datés se concentrent plutôt sur des entreprises de la vieille économie, plutôt industries lourdes, automobiles, etc. Cela peut être beaucoup plus impacté, car ce sont des valeurs plutôt cycliques, donc elles risquent d'être davantage affectées à terme par les enjeux économiques et politiques, notamment en Europe. C'est pour cela qu'aujourd'hui, le fonds que nous proposons, le fonds ouvert La Française Crédit Innovation s'appuie sur les 25 % du marché High Yield global. Il cible des sociétés innovantes High Yield, qui seront les pépites de demain, et les Investment Grade de demain. Nous nous concentrons donc sur un High Yield bien noté, qui devrait moins souffrir des conditions économiques à venir. Nous en parlerons davantage dans la troisième partie de cette émission.
AC : Romain, je reviens un peu à ce match. Les fonds datés ont toujours été présentés comme des fonds patrimoniaux qu'on pourrait détenir en fond de portefeuille. Au final, on se rend compte qu'il y a toujours un peu de market timing associé à ce type de fonds. N'y a-t-il pas une antinomie à présenter ainsi les fonds datés ?
RG : Nous avons une date d'échéance que nous respectons plus ou moins jamais sur la durée d'investissement. Le fonds daté, au départ, était pensé pour un rendement à échéance. Et en fait, nous avions cette visibilité sur le rendement. Cela fait un certain temps, à La Française, que nous avons cessé de raisonner ainsi. D'ailleurs, c'est pour cela que nous proposons même des simulations avec des atterrissages de valeur liquidative afin de bien faire comprendre aux investisseurs qu'il faut privilégier une logique de valeur liquidative plutôt que de rendement. Et je pense que, demain, avec tout ce qui se passe, notamment la baisse des taux à venir, ce que nous vous proposons aujourd'hui comme fonds à échéance et ce que nous proposons aussi à La Française en termes de rendement porté, il faut savoir qu'il y aura certainement un effritement du rendement d'ici l'échéance. C'est pour cela qu'aujourd'hui, je pense qu'il y aura davantage à gagner en termes de performance avec un fonds ouvert flexible crédit ou un fonds thématique crédit, ayant un focus sur une allocation particulière, plutôt que d'investir dans un fonds à échéance global.
Fonds obligataires flexibles ou fonds datés ?
TH : À titre personnel, vous avez déjà effleuré le sujet, mais concrètement, êtes-vous plutôt favorable aux fonds obligataires flexibles ou aux fonds datés ?
RG : Effectivement, il y a deux solutions, selon moi, sur le marché du crédit. Soit un fonds obligataire flexible, qui peut avoir du sens, où le gérant essaiera de trouver toutes les opportunités pour générer de la performance sur le marché du crédit. Soit un fonds long-only avec plusieurs thématiques au sein du fonds, incluant un biais croissance, qui profitera de la baisse des taux avec peut-être une sensibilité accrue. Ce type de fonds aurait une duration plus élevée en fonction des éléments de marché et de la courbe des taux. Je pense que c'est ainsi qu'il faut pour une allocation crédit.
La Française Crédit Innovation, un fonds obligataire ouvert
La Française Crédit Innovation, c'est le fonds obligataire ouvert que met en avant La Française. De quoi s'agit-il et quelle est la pertinence de cette stratégie dans le contexte de taux actuel ?
Thomas d'Hauteville : Nous savons que l'industrie de l'asset management est assez dense en termes d'offres. Finalement, en quoi La Française Crédit Innovation adopte-t-il une stratégie différenciante par rapport à ce que nous pouvons retrouver ailleurs, notamment dans les contrats d'assurance-vie ?
Romain Gobert : La Française Crédit Innovation, c'est un fonds que j'ai demandé à mes gérants. Parce qu'en fait, nous voyions des fonds thématiques dans tous les sens côté equity. Je leur ai dit que c'était dommage. Nous savons très bien faire du crédit, nous savons très bien faire du High Yield. Pourquoi ne pas lancer un fonds thématique crédit ? Nous avons donc lancé le premier fonds thématique crédit sur 4 grandes tendances long terme : la démographie, l'urbanisation, le changement climatique et la technologie. Pour ces raisons-là, nous avons trouvé que cela avait du sens de lancer un fonds tel que celui-ci. Évidemment, nous ne pouvions pas le faire uniquement sur une thématique parce que nous aurions eu un portefeuille trop concentré sur le crédit. C'est pour cela que nous avons ouvert ce fonds à ces 4 grandes tendances. L'idée de ce fonds, c'est d'aller chercher du High Yield à haut potentiel, les Netflix de l'époque, les Tesla de l'époque. Nous allons bénéficier du portage de l'obligation, mais aussi prendre en compte l'évolution de la notation, ce qui permettra une réduction du spread de crédit et une amélioration de la performance. Nous allons chercher ces petites pépites de demain. Qui dit innovation, dit forcement un portefeuille tourné vers les États-Unis, puisque l'innovation se trouve plutôt là-bas. Aujourd'hui, environ 60 % du portefeuille est dédié aux États-Unis.
Antoine Cauchy : Je rebondis, Romain. Entreprises actives dans un secteur innovant, pouvez-vous nous révéler un peu la matrice de sélection que vous utilisez pour ce fonds ?
RG : Pour ce fonds, nous allons raisonner principalement en fonction des notations. Comme je le disais tout à l'heure, l'idée est d'aller chercher du High Yield à haut potentiel, mais du High Yield qui soit aussi assez bien noté. Nous nous positionnons plutôt sur le haut du panier du High Yield, autour de BB, BB-.
Cela réduit l'univers ?
RG : Cela réduit totalement l'univers, mais nous nous concentrons toujours sur des sociétés innovantes. Un important travail d'analyse est effectué par le Groupe La Française, avec plus de 10 gérants qui travaillent sur ces valeurs. L'idée est de constituer un portefeuille d'environ 120 lignes, en fonction des 4 grandes tendances long terme. Évidemment, nous avons aussi un biais Article 9. Nous prenons en compte les ODD, avec une contribution aux Objectifs de Développement Durable de presque 70 % dans le portefeuille. Cela permet de construire un portefeuille qui est : innovant, plutôt bien noté, et qui va devrait donc profiter de la baisse des taux à venir, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. C'est donc de cette manière que nous construisons le portefeuille.
TH : Par rapport à ce que vous venez de dire, est-ce que cela signifie qu'il n'y a pas du tout d'Investment Grade dans le portefeuille ?
RG : Nous pouvons avoir des sociétés Investment Grade, mais en fait, comme je le disais, l'idée est d'aller chercher le High Yield aujourd'hui, qui sera Investment Grade demain. Un exemple très simple : Netflix, par exemple, en 2017, était noté B+. Aujourd'hui, il est noté BBB+, donc il est passé Investment Grade et son spread de crédit a presque baissé de 500 points de base. D'une part, vous bénéficiez du portage et, d'autre part, de cette réduction de spread. C'est ce que nous cherchons à obtenir. C'est pour cela qu'il y a beaucoup de valeurs peu connues dans le portefeuille, mais qui sont très bien identifiées par nos gérants, notamment côté États-Unis.
AC : Un mot sur l'équipe de gestion, Romain. Comment est-elle organisée ? Est-ce les mêmes équipes que celles des fonds obligataires datés, qui gèrent aussi ce fonds-là ?
RG : Oui, absolument. C'est toute l'équipe d'Akram Gharbi qui s'occupe de l'aspect High Yield. Et, bien évidemment, l'équipe s'est étoffée notamment depuis la fusion. Crédit Mutuel Asset Management était également un des leaders sur le marché obligataire, que ce soit Investment Grade ou High Yield. Donc l'équipe s'est renforcée sur le High Yield, et aujourd'hui, nous disposons d'une très belle équipe de gestion obligataire.
TH : Une dernière question, essentielle dans le monde obligataire : gérez-vous activement la duration du portefeuille ?
RG : Très bonne question. Nous essayons de la gérer au mieux. Aujourd'hui, il y a une évolution de la courbe des taux. C'est pour cela que nous pensons qu'un fonds ouvert a plus de sens qu'un fonds à échéance. Normalement, les taux longs, comme vous le savez, rapportent plus que les taux courts. Mais aujourd'hui, typiquement, la courbe intermédiaire, sur 3-5 ans, reste toujours plus intéressante que les taux longs. Nous sommes donc actuellement autour de 3-5 ans de duration. Cependant, nous pourrions envisager d'aller un peu plus loin si le rendement s'avère intéressant. L'idée est de gérer le portefeuille de manière un peu plus active, en tenant compte également des évolutions de notation.
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