Le défi d’alimenter l’IA en énergie (Franklin Templeton)

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Le défi d’alimenter l’IA en énergie  (Franklin Templeton)

Franklin Templeton analyse cette réaction dont la placidité peut jouer à l'avantage des investisseurs qui tablent sur la valeur.

L’électricité, fluide vital de l’infrastructure de l’IA


Si le marché se concentre sur le potentiel transformationnel que recèle l’intelligence artificielle, nous pensons qu’il n’a pas encore pris toute la mesure des obstacles concrets qu’implique cette technologie émergente. Alors que les marchés semblent augmenter l’offre d’unités de traitement graphique de pointe pour répondre à l’accélération de la demande, de nouveaux goulets d’étranglement apparaissent à mesure que la « course aux armements » de l’IA s’accélère. Il s’agit notamment de trouver des sites où installer les centres de données, de mettre à niveau les connexions au réseau électrique et de se procurer du matériel de refroidissement. Même si nous pensons que les marchés finiront par résoudre la plupart de ces difficultés, le fluide vital de cette infrastructure est l’électricité, et l’accès au réseau électrique ainsi que la capacité de production d’énergie s’avèreront probablement des freins plus durables.

Des innovations comme l’informatique en nuage ont engendré une hausse régulière de la demande d’électricité de la part des centres de données ; or, à l’heure actuelle, les estimations hautes quant à la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter l’IA sont environ 30 fois supérieures par serveur. Compte tenu de la multitude de serveurs contenus dans une armoire, du nombre d’armoires dans un centre de données et du nombre croissant de centres de données à travers le pays, on comprendra sans peine pourquoi l’augmentation globale de la demande d’électricité est problématique non seulement pour l’écosystème de l’IA, mais aussi pour les autres consommateurs d’électricité. Par conséquent, les estimations actuelles concluent que pour la première fois depuis des décennies, les États-Unis sont disposés à peser sur la croissance de la demande d’électricité à un rythme de plus de 3 % au cours de la prochaine décennie en raison de la demande grandissante émanant de l’IA (Illustration 1). Dans des circonstances normales, il serait difficile de répondre à cet accroissement. Le fait que nous soyons par ailleurs en train de traverser et d’accélérer une transition énergétique mondiale ne simplifiera pas les choses.

L'IA entraîne une forte augmentation de la demande d'électricité

21/03/24 source Wells Fargo Securities, LLC

Cette transition de combustibles fossiles abondants mais polluants vers des énergies renouvelables tels que le solaire et l’éolien complique encore la donne. Car du fait de la variabilité intermittente de leur production d’énergie au jour le jour et des fluctuations saisonnières, les énergies renouvelables ne sont pas en mesure de répondre aux estimations actuelles de la demande. De plus, la mise en place de ces énergies renouvelables implique un investissement colossal dans l’infrastructure de transmission électrique, car les meilleurs sites où installer des parcs éoliens et solaires sont souvent éloignés des zones à forte demande d’électricité. En fin de compte, il s’agira de trouver comment accélérer la connexion des nouvelles ressources au réseau, la construction de réseaux de transport et, nous le soupçonnons, l’investissement dans des combustibles fossiles « moins mauvais » comme le gaz naturel pour gérer les risques d’intermittence qui compromettent la fiabilité du réseau.

L'impact de l'IA sur le marché de l'électricité


Les grands acteurs de l’infrastructure de l’IA que sont Amazon, Google, Microsoft, Meta, et même de plus en plus Oracle, n’attendent pas et semblent prêts à mettre les systèmes existants à l’épreuve. Compte tenu de ces difficultés, il n’est pas surprenant que l’alimentation électrique apparaisse rapidement comme le principal goulot d’étranglement pour la construction de centres de données d’IA plus conséquents. Même si ces entreprises peuvent obtenir tous les permis et l’équipement nécessaires, les délais de raccordement s’allongent rapidement. C’est pourquoi beaucoup de ces entreprises court-circuitent purement et simplement le réseau en s’adressant directement aux compagnies d’électricité commerciales pour s’approvisionner en concluant des contrats à long terme, souvent avec une prime généreuse par rapport aux tarifs en vigueur. Nous soupçonnons que ces accords deviendront plus fréquents à mesure que ces entreprises concentreront leurs efforts sur la vitesse, et que d’autres accords à venir profiteront aux producteurs d’électricité. Même si les nouvelles énergies renouvelables auront un rôle important à jouer, le fait de recourir directement aux sources classiques permettra de mettre les centres de données en ligne plus rapidement et exercera une pression croissante sur les ressources existantes.

Les conséquences pour la collectivité et les nouveaux défis pour le réseau électrique

Mais ce qui est bon pour les grands acteurs de l’IA ne l’est pas forcément pour le reste de la collectivité. Prenons l’exemple du récent accord conclu entre le producteur d’énergie nucléaire Talen Energy et Amazon, et en vertu duquel cette dernière s’est engagée à acheter plus d’un gigawatt (GW) avec une prime de 50 % par rapport aux tarifs en vigueur. Il s’agit d’une quantité phénoménale d’électricité qui, au lieu de contribuer à la fiabilité du réseau et de maintenir les prix à un niveau bas, alimentera exclusivement Amazon.

Sur un marché fonctionnant correctement, de nouveaux ajouts viendraient compenser la consommation d’Amazon, mais les goulets d’étranglement au niveau de la connexion au réseau pour ces quantités supplémentaires signifient que les opérateurs de réseau locaux sont allés jusqu’à ne plus accepter les demandes en raison de l’ampleur de leur arriéré. L’accélération de la croissance de la demande sans une compensation suffisante de l’offre se traduira par des factures plus élevées pour le consommateur et les entreprises, qui seront amenés à subventionner implicitement les ambitions d’Amazon en matière d’IA.

L'impact potentiel sur les prix de l'électricité

Pour ne rien arranger et comme pour tout autre produit de base, le prix qui permettrait de faire coïncider la courbe de l’offre et celle de l’électricité est loin d’être linéaire (Illustration 2). Une fois les ressources de production les moins coûteuses épuisées, le prix requis pour générer une certaine quantité d’électricité commence à monter en flèche autour de 130 GW, car des actifs de « crête » plus coûteux sont sollicités pour produire pendant les pics de demande, généralement les journées très chaudes ou très froides.

Bien que le contrat à 1 GW d’Amazon puisse sembler modeste par rapport aux 130 GW, en raison de cette non-linéarité, le fait de le soustraire au système peut avoir un impact démesuré sur la tarification de l’électricité sur l’ensemble du marché, affectant des dizaines de millions de personnes alors que les opérateurs de réseaux anticipent une charge hivernale maximale d’environ 135 GW. Si la demande sur ce marché est de 100 GW, une réduction de l’offre de 1 GW n’a qu’un impact marginal sur les prix totaux de l’électricité. Par contre, à 135 GW, là où la courbe ci-dessous commence à s’élever de manière significative, on observe aisément un impact beaucoup plus important sur les prix de l’électricité sur le marché.

La concurrence et la pression sur l'offre-demande et la dépendance accrue aux énergies renouvelables

Étant donné que tous les concurrents d’Amazon ont certainement pris note de sa capacité à accélérer sa stratégie en matière d’IA grâce à la transaction avec Talen, il est fort probable que d’autres lui emboîtent le pas, ce qui resserrera encore davantage le binôme offre-demande. Une augmentation parabolique des prix de l’électricité est donc une possibilité réelle au cours des prochaines années.

Enfin, le retrait de cette charge de base du réseau contraindra les services aux collectivités à s’appuyer davantage sur les énergies renouvelables pour répondre à la demande de crête, créant le risque qu’elles ne soient tout simplement pas à même d’y répondre étant donné leur incapacité à flexibiliser substantiellement la production, contrairement aux centrales au gaz et au charbon. Dans le pire des cas, des pannes de courant ne sont pas à exclure.

Le prix et l'offre ne sont pas dans un rapport linéaire

Courbe de répartition stylisée de PJM au 11 avril 2024, source ClearBridge Investments

La combinaison d’une hausse significative des prix et d’une détérioration de la fiabilité du réseau est susceptible d’entraîner une vive réticence politique à l’égard de ces projets d’IA. Les prétendants seront de plus en plus souvent priés de payer leur juste part au lieu de répercuter les coûts de construction des centres de données sur les consommateurs par le biais de prix plus élevés. Les grandes entreprises technologiques pourraient également se voir mises sur la touche pour les nouvelles connexions au réseau, étant donné l’absence de développement économique local durable par rapport à d’autres solutions telles que la construction de nouvelles usines. Dans ce scénario, il se pourrait que la trajectoire de croissance accélérée associée à bon nombre de ces actions finisse par croiser une réalité plus lente et plus linéaire, ce qui déclencherait une très sérieuse remise en question des attentes.

Heureusement, ce « choc des titans » entre la croissance de la demande et un secteur de l’électricité historiquement atone se trouve partiellement compensé par l’augmentation de l’offre de gaz de schiste américain. Source d’énergie dominante et croissante pour la production d’électricité aux États-Unis, l’extraction de l’énergie de schiste a entraîné une augmentation exponentielle de la productivité des puits et a contribué à une croissance de l’offre qui a largement dépassé la demande. Même si l’on tient compte de l’augmentation de la demande de gaz, qui devrait s’accélérer avec la hausse de la demande d’électricité, les prix du gaz naturel sont actuellement proches de leurs plus bas historiques (figure 3).

Les prix du gaz naturel américain proches de leurs plus bas niveaux historiques

Au 4 avril 2024, source Bloomberg

Les opportunités liées à l'IA dans les services aux collectivités et l'énergie

Nous pensons que le mouvement vers une hausse des prix de l’électricité est l’un des ressorts fondamentaux les plus puissants pour les actions cycliques à forte intensité de capital, et l’un de ceux dont les avantages ultimes sont presque toujours sous-estimés par les investisseurs, ce qui crée une réaction dont la placidité peut jouer à l’avantage des investisseurs tablant sur la valeur que nous sommes. Si les développeurs de méga-capitalisations et les sociétés informatiques à forte croissance bénéficient de l’enthousiasme des investisseurs vis-à-vis de l’IA, celle-ci crée également des opportunités dans des secteurs tels que les services aux collectivités et l’énergie, qui ne présentent pas moins d’intérêt (même s’ils attirent un peu moins l’attention des médias).

Compte tenu de la croissance attendue de la demande d’électricité, qui pourrait atteindre ou dépasser les 3 %, l’une des principales opportunités que nous discernons réside dans les fournisseurs d’électricité du secteur des services aux collectivités, car la hausse des prix de l’électricité justifie des investissements substantiels dans la production d’électricité et dans la capacité du réseau. Les attentes à long terme concernant le pouvoir de fixation des prix en raison de l’augmentation de la demande d’électricité liée au développement et à la mise en œuvre de l’IA ont propulsé les sociétés de services aux collectivités Vistra et Constellation Energy à la hausse en 2024, et cette tendance semble se poursuivre à mesure que la demande d’IA s’intensifie. En outre, comme les grandes entreprises technologiques réclament davantage de sources d’énergie renouvelables, nous pensons que le développeur d’énergies renouvelables AES devrait être l’un des premiers à profiter de la demande soutenue d’énergie sur le réseau et hors réseau. Bien qu’AES n’ait pas encore bénéficié de cette tendance, nous pensons que les rendements des projets vont augmenter et que la croissance de la demande d’énergies renouvelables pourrait s’accélérer.

Les bénéficiaires les plus directs d’une remontée des prix du gaz naturel seraient les producteurs, qui devraient voir s’ouvrir des perspectives significatives de création de valeur à long terme en devenant des candidats de choix pour combler l’écart entre la demande croissante d’électricité et les capacités de production. Compte tenu de l’abondance d’un gaz naturel relativement bon marché et de son profil plus respectueux de l’environnement que les autres combustibles fossiles, le producteur EQT est en passe de connaître une croissance significative, grâce non seulement à l’augmentation de la demande des centrales électriques existantes qui exploitent leur capacité de charge de crête, mais aussi à l’augmentation de la demande en volume résultant de la construction de nouvelles turbines à gaz naturel et d’installations de gaz naturel liquide (GNL) aux États-Unis et à l’étranger.

Conclusion

Comme toutes les formes de cognition, l’IA consomme beaucoup d’énergie et les investisseurs qui sont habitués à considérer l’innovation digitale comme purement déflationniste risquent d’être surpris. Le chemin de moindre résistance est celui de l’augmentation des tarifs de l’électricité sur les marchés où l’on construit des infrastructures d’IA de grande taille. Les investisseurs n’ont peut-être pas pris toute la mesure de la difficulté à faire fonctionner ces centres de données, ce qui représente un risque pour la croissance de l’IA et la surperformance à long terme de nombreuses actions liées à cette technologie.

Compte tenu de la concentration générationnelle du marché sur ces valeurs, nous pensons qu’une part substantielle de la capitalisation boursière qui s’est accumulée sur ces titres est susceptible de refluer vers d’autres zones du marché, ce qui flattera les portefeuilles privilégiant la valeur en les éloignant des méga-capitalisations et en les sensibilisant aux opportunités offertes par les secteurs cycliques à plus forte intensité capitalistique.

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