IA et intelligence collective : le modèle du centaure

L’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle occupe tout l’espace médiatique, au point de laisser penser que l’avenir sera conditionné par la seule puissance algorithmique. La performance de demain ne résiderait plus que dans la sophistication des modèles et la masse de données traitées. Pourtant, depuis plus d’un siècle, la science démontre qu’un collectif structuré peut surpasser les experts les plus brillants. Une étude récente ouvre même une troisième voie hybride : dans “Human–AI collectives most accurately diagnose clinical vignettes” (Zöller et al., 2025. PNAS), les auteurs montrent que les associations humains–IA sont plus précises que les humains seuls… et que les IA seules. Et si la véritable rupture ne provenait, ni des machines ni des foules, mais de leur fusion ?
Deux intelligences distinctes : origines et limitations
L’intelligence artificielle : vitesse, échelle, mais fragilité
Si l’IA est omniprésente dans le débat public, sa définition n’est pas toujours claire. L’intelligence artificielle, définie par elle-même (ChatGPT 5.1), désigne l’ensemble des techniques et des systèmes informatiques conçus pour reproduire ou simuler certaines capacités cognitives humaines : apprendre, raisonner, comprendre, percevoir, agir et s’adapter.
Ces modèles, nés dans les années 50, ont pris leur essor dans la dernière décennie grâce aux progrès spectaculaires du calcul et à la disponibilité de données massives. L’IA repose sur un principe simple : nourrir un modèle avec suffisamment de données lui permet d’identifier des schémas récurrents et de généraliser. Sa véritable force réside dans sa capacité à traiter des millions d’informations en un temps record.
Mais cette puissance a-t-elle un prix ? Que se passe-t-il lorsque les données sont biaisées ou lorsque le contexte échappe à l’algorithme ?
Les limites sont réelles :
– L’IA hérite des biais présents dans ses données — biais humains, historiques ou de représentativité.
– Elle manque parfois de contexte ou d’intuition et ne peut appréhender les subtilités humaines ou les nuances.
– Son efficacité repose sur deux piliers : la puissance de calcul et la qualité des données. Lorsque l’un des deux est déficient, l’IA est moins clairvoyante, voire « hallucine », c’est-à-dire qu’elle génère des informations factuellement fausses mais présentées avec assurance, un phénomène désormais bien documenté.
En résumé : l’IA est extrêmement performante… dans le cadre qu’on lui a donné.
Si l’IA impressionne par sa vitesse et son exhaustivité, peut-on pour autant s’en remettre aveuglément à elle ? L’histoire suggère une autre piste : depuis plus d’un siècle, la science observe qu’un collectif humain bien structuré peut surpasser les experts les plus brillants.
L’intelligence collective : la sagesse des foules, mais sous conditions…
L’intelligence collective (IC) ne se mesure pas à la vitesse, mais à la diversité des points de vue. Depuis l’observation de Francis Galton en 1907, qui démontrait qu’un groupe de centaines de personnes pouvait estimer avec une précision remarquable le poids d’un bœuf, jusqu’aux travaux de James Surowiecki dans The Wisdom of Crowds, la science confirme que lorsque plusieurs individus apportent des avis indépendants, le collectif peut surpasser le jugement d’un expert isolé. Scott Page a donné un cadre mathématique à cette intuition : la performance collective résulte autant de la diversité des points de vue que du degré d’expertise. C’est la combinaison des deux qui permet au groupe de dépasser l’individu, même brillant.
Cependant, la foule peut également se tromper — parfois de manière spectaculaire. L’intelligence collective ne devient efficace que lorsque trois principes sont respectés :
- Diversité des opinions, des expériences, des approches ;
- Indépendance des jugements ;
- Agrégation rigoureuse du savoir, pour éviter que le bruit ne domine le signal.
Quand ces conditions sont violées — mimétisme, pression sociale, effet de mode — la foule perd sa sagesse et peut devenir irrationnelle. C’est le phénomène de herding bien connu en finance : ce n’est plus l’intelligence collective qui s’exprime, mais le conformisme.
Le modèle du “centaure”
On oppose souvent l’intelligence artificielle et l’intelligence collective comme si l’une devait remplacer l’autre. Pourtant, leurs contributions respectives demeurent profondément complémentaires :
– l’IA excelle dans l’exploration exhaustive et la détection de structures complexes ;
– l’IC apporte du contexte, de la nuance, de la créativité et une compréhension qualitative des situations.
Est-il pertinent de trancher entre l’efficacité algorithmique de l’IA et la sagesse statistique de l’IC ? Ou est-il préférable d’imaginer une approche hybride qui mobiliserait la puissance computationnelle de la machine et la richesse cognitive du collectif pour produire un jugement plus robuste, plus précis et mieux étayé que celui de chacune de ces intelligences prise isolément ?
L’histoire récente nous donne un modèle particulièrement éclairant : le centaure.
“Ne craignez pas les machines intelligentes. Travaillez avec elles.”
— Garry Kasparov, TED 2017
Dans les années 2000, lors des compétitions d’échecs, un duo humain–machine battit à la fois les meilleurs humains et les meilleures machines. La machine élargissait l’espace des possibles en calculant des millions de positions ; l’humain apportait la compréhension stratégique, l'intuition positionnelle, le sens de la situation. Ce modèle a depuis essaimé dans la médecine, l’industrie, la justice, l’investissement.
Une étude publiée en 2025 dans PNAS apporte une démonstration de cette supériorité hybride. Dans le cadre de diagnostics théoriques réalisés (ie sans auscultation), les collectifs médecins–IA performent mieux que les médecins seuls, et mieux que les IA seules (Zöller et al., 2025).

On notera que si, en moyenne, le médecin affiche individuellement une moindre précision qu’une IA, à l’inverse le collectif humain surpasse le collectif d’IA, probablement grâce à une diversité cognitive plus riche chez les médecins. Enfin, le collectif hybride humains/IA réalise les meilleurs diagnostics.
C’est exactement la logique du centaure : ni l’humain ni la machine n’ont le monopole de la vérité ; mais leur combinaison tend vers une précision remarquable. Ce n’est ni une victoire de l’homme sur la machine, ni l’inverse. C’est une démonstration claire que la performance maximale apparaît lorsque les deux systèmes collaborent — chacun compensant les angles morts de l’autre.
Une nouvelle intelligence collective qui tire profit de toutes les intelligences disponibles : artificielles et humaines. Pour reprendre la formule du président américain Woodrow Wilson :
“Je n’utilise pas seulement mon propre cerveau mais aussi tous ceux que je peux emprunter.”
À l'ère de l'IA, cette maxime prend une dimension nouvelle : nous pouvons désormais emprunter non seulement des cerveaux humains, mais aussi des cerveaux artificiels.
Par Venn Capital
Lire aussi :
IA financière : une adoption qui progresse sans convaincre pleinement
Chaque jour, nous sélectionnons pour vous, professionnels de la gestion d'actifs, une actualité chiffrée précieuse à vos analyses de marchés. Statistiques, études, infographies dans divers domaines : épargne, immobilier, économie, finances, etc. Ne manquez pas l'info visuelle quotidienne !
Ne loupez aucun événement de nos partenaires : webinars, roadshow, formations, etc. en vous inscrivant en ligne.

.webp)

.webp)
































