L’érosion de la responsabilité : La loi européenne contre l'oubli est remise en question (Triodos IM)

Droit
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Une avancée historique remise en cause par les pressions du lobbying

Après une douzaine d'années de négociations ardues, la directive relative au devoir de diligence raisonnable en matière de développement durable (DDDD) a finalement été approuvée en avril 2024, annoncée comme une étape décisive dans la promotion d'un comportement responsable des entreprises dans les chaînes de valeur mondiales. Surnommée la loi anti-fuite, elle exige que les entreprises comprennent non seulement leurs activités directes, mais aussi les origines obscures de leurs produits, afin de garantir des normes éthiques tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Les grandes entreprises devaient commencer à rendre compte de leurs activités en 2027, les plus petites devant suivre le mouvement. Mais c'est alors que le lobby des entreprises a riposté. Armées de l'argument selon lequel la directive sur le développement durable pourrait mettre en péril la compétitivité de l'Europe, des organisations comme Business Europe ont lancé un effort concerté de lobbying qui a réussi à faire pression sur la Commission européenne pour qu'elle réduise cette législation essentielle par le biais de la proposition Omnibus. Ce recul soulève des questions cruciales sur l'avenir de la responsabilité des entreprises en Europe.

Les changements proposés à la directive sont alarmants. Tout d'abord, les entreprises ne seront plus tenues d'examiner que leurs fournisseurs directs, sans tenir compte des couches plus profondes, souvent cachées, de leurs chaînes d'approvisionnement, où l'exploitation est fréquente. Par exemple, les conditions de travail dans lesquelles le coton est récolté ou le traitement des travailleurs d'usine au Bangladesh resteront entourés de mystère. Cette approche superficielle revient à traiter un symptôme en ignorant la maladie sous-jacente.

Une vérification tous les cinq ans seulement

Deuxièmement, la fréquence du contrôle de l'adéquation et de l'efficacité de leurs mesures de diligence raisonnable a été ramenée d'une fois par an à une fois tous les cinq ans. Ce changement crée une faille béante qui permet aux entreprises de ne rien faire pendant que les personnes les plus vulnérables du monde continuent de souffrir en silence.

Une restriction inquiétante de l’accès à la justice pour les ONG

En outre, les nouvelles règles privent les organisations de la société civile de leur pouvoir de soutenir les résidents ou les travailleurs locaux dans les procédures judiciaires. Seules les personnes directement concernées seront en mesure d'agir, réduisant ainsi au silence les voix des défenseurs qui mettent en lumière les abus et demandent des comptes aux entreprises.

Enfin, la restriction de la directive à l'obtention d'informations de la part des entreprises de moins de mille employés pose des problèmes importants pour retracer les violations des droits de l'homme. Cette limite arbitraire signifie que d'innombrables travailleurs restent invisibles, leurs droits et leur bien-être ignorés aux yeux de la loi.

Cette déresponsabilisation ne porte pas seulement atteinte aux droits des travailleurs des usines situées en dehors de l'UE, mais reflète également une hypocrisie troublante. Les Européens s'enorgueillissent souvent de leurs normes de travail élevées tout en critiquant d'autres nations pour leurs violations du droit du travail et la dégradation de l'environnement. Pourtant, nous oublions commodément que les produits que nous consommons — souvent fabriqués dans des conditions désastreuses — sont le résultat de cette exploitation. En outre, lorsque nous nous débarrassons de ces produits, nous les renvoyons dans les pays d'où ils proviennent, ce qui alourdit encore le fardeau de ceux qui sont déjà aux prises avec des problèmes de gestion des déchets.

La véritable compétitivité passe par la responsabilité

Quand reconnaîtrons-nous qu'il ne suffit pas de nettoyer notre "rue européenne" ? L'idée que la proposition Omnibus renforcera la compétitivité européenne est une erreur. La véritable compétitivité réside dans la gestion des risques et la garantie de pratiques éthiques tout au long de la chaîne d'approvisionnement.

À ce stade crucial, il est impératif que les décideurs politiques, les entreprises et les consommateurs reconsidèrent leur rôle dans l'économie mondiale. Nous devons plaider en faveur de réglementations solides qui rendent les entreprises responsables, non seulement de leurs profits, mais aussi de leur impact sur les populations et la planète. La lutte pour la CDD est loin d'être terminée ; il s'agit d'un appel à l'action pour chacun d'entre nous afin d'exiger un avenir où la responsabilité des entreprises n'est pas seulement une directive, mais un principe fondamental.

Par Rosl Veltmeijer-Smits, Triodos Investment Management

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