Gestion d'actifs et IA : de l’importance de la gouvernance

Thématiques & Alternatifs
IA gestion actifs

Les outils d’intelligence artificielle permettent de gagner en productivité, mais interrogent aussi les organisations, avec en toile de fond la question de l’indispensable contrôle humain et de la transparence de l’analyse des données.  

Ces deux dernières années, l’impact de l’intelligence artificielle générative (IAG), branche de l’intelligence artificielle (IA), a suscité un vif intérêt auquel l’industrie de la gestion d’actifs n’échappe pas. Un rapport du BCG de mai dernier montre que 72 % des sociétés de gestion considèrent que l’IAG transformera de manière significative leur industrie dans les trois à cinq prochaines années et que 66 % en ont fait une priorité stratégique. Le BCG souligne aussi qu’elles ne sont que 16 % à avoir défini une stratégie IA et à la mettre en œuvre.  

Efficacité opérationnelle  

L’avantage de l’intégration d’outils d’IA en gestion d’actifs est qu’elle permet de réaliser des gains de productivité et de gagner en efficacité opérationnelle sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le cabinet McKinsey estime, dans son rapport Efama de 2023, que l’adoption de l’IAG pourrait améliorer la productivité du secteur en Europe de 7 à 12 %. Pour Delphine Asseraf, directrice générale déléguée du Groupe Harvest, « cela va modifier les méthodes de travail autour de trois axes : la personnalisation de contenus, l’optimisation des stratégies d’investissement en fonction des objectifs et du profil de risque des investisseurs pour proposer une solution d’investissement plus fine, et l’accélération des contrôles de collecte des données ». Les cas d’usage de l’IA permettent d’automatiser des tâches répétitives, d’analyser et de synthétiser des masses de données, d’identifier des sentiments de marché, de produire des commentaires de gestion, de réconcilier des transactions, autant d’opérations qui libèrent du temps pour celles à plus forte valeur ajoutée, comme la sélection de valeurs, l’analyse des risques, l’allocation d’actifs ou la connaissance client.  

Structurer les modèles  

« Mais le déploiement de l’IA nécessite avant tout une organisation dédiée, déclare Yoan Chazal, associé investment management services chez Deloitte. Superviser l'utilisation de l’IA, et a fortiori de l’IAG, implique de définir une gouvernance pour l’identification, le déploiement, le contrôle et la mise à l’échelle des cas d’usage de l’IA. Cela peut se traduire par la nomination d’un chief data officer rattaché à la direction générale, qui coordonne et priorise les initiatives en matière d’IA. » Cependant, indique Jacques-Aurélien Marcireau, coresponsable des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management, « pour être déployée pleinement, la technologie a besoin d’être suffisamment mature. Aujourd’hui, il est aussi irresponsable de mettre rapidement des modèles en production que de ne pas former ses collaborateurs ». Une approche centrée sur l’utilisateur est essentielle, puisque l’usage optimal de l’IA repose sur l’adhésion des parties prenantes internes.  

Intégrer l’IA au processus

 L’IA est utilisée depuis de nombreuses années en gestion quantitative. « Ses récentes évolutions et celles de l’apprentissage automatique nous ont fait entrer dans l’ère du quant 2.0, indique Gabriele Susinno, senior client portfolio manager à Pictet Asset Management. L’utilisation de ces technologies permet aux gérants de portefeuille d’aller au-delà de la simple analyse des primes de risque en détectant des anomalies. Elles se produisent souvent sur des périodes courtes, un laps de temps au cours duquel les comportements des investisseurs constituent le principal moteur de performances boursières. » En permettant la combinaison de centaines de caractéristiques, l’IA peut être un outil puissant pour évaluer rapidement et efficacement le comportement des investisseurs et faire des prévisions plus robustes. « De notre côté, en tant que gérant fondamental long only, le machine learning n’occupe pas une place significative dans notre processus de prise de décision d’investissement, explique Jacques-Aurélien Marcireau. L’IAG comme moyen d’automatiser la gestion n’est pas le chemin que nous prenons. En revanche, l’IA est utilisée comme outil d’aide à la décision, car elle permet de travailler sur la corrélation entre les titres cotés en Bourse et les grandes thématiques qui traversent les médias et la presse. »  

Pas encore génératrice d’alpha  

Tout le monde s’accorde à dire qu’il est trop tôt pour le démontrer et le quantifier. « C’est plus la conséquence d’une meilleure réactivité sur des détections d’opportunités d’investissement et de risques avérés de l’analyse de signaux faibles, estime Delphine Asseraf. L’IA n’est pas une baguette magique, mais un catalyseur pour ceux qui placent l’expertise au cœur de leur stratégie, source de création de valeur pour les investisseurs. » Au niveau du front office, l’IA porte sur l’efficacité opérationnelle et n’est pas encore une martingale génératrice d’alpha.  

De nombreux défis à relever  

Les défis restent toutefois nombreux et principalement liés à la gestion des données. Véritable or noir du XXIe siècle, « il est essentiel d’en déterminer les propriétaires, d’en mesurer la fiabilité, la qualité et de s’assurer qu’elles sont utilisées de manière éthique, déclare Yoan Chazal. Cela repose sur la mise en place de règles de bonnes pratiques en interne qui définissent les niveaux de contrôle, de correction et de responsabilité de chacun ». Pour Gabriele Susinno, « l’un des problèmes de l’IA est d’être perçue comme une “boîte noire”. Nous ne pouvons prétendre proposer une stratégie d’investissement robuste qu’à partir du moment où nous sommes capables d’expliquer les positions, les risques et les performances des intrants sous-jacents. La transparence est fondamentale et appelle à la mise en place d’une “boîte de cristal” plutôt que d’une “boîte noire”. Les gérants ne doivent pas déléguer des fonctions exécutives à l’IAG sans mettre en place des garde-fous humains ». Enfin, l’un des freins porte sur « un taux d’hallucination encore trop élevé, constate Jacques-Aurélien Marcireau. Or l’à-peu-près n’a pas sa place dans notre industrie. Cela souligne le besoin permanent d’une surveillance humaine afin de réduire ce taux d’erreur dans les prises de décision des gérants, ce qui à terme créera de l’alpha ». L’impact le plus significatif de l’adoption de l’IA se produira lorsque « des pans entiers de travail seront repensés pour maximiser la collaboration entre la valeur générée par l’IA et la créativité humaine », conclut Yoan Chazal.

Par Thierry Serrouya  
Numéro Spécial Gestion de Patrimoine 2024 -
Challenges & Club Patrimoine - 25/09/2024

Lire aussi : L'IA, une révolution pas comme les autres

Découvrez d'autres contenus du même partenaire

Contributeurs

À découvrir
Graph du jour

Chaque jour, nous sélectionnons pour vous, professionnels de la gestion d'actifs, une actualité chiffrée précieuse à vos analyses de marchés. Statistiques, études, infographies dans divers domaines : épargne, immobilier, économie, finances, etc. Ne manquez pas l'info visuelle quotidienne !

Voir tous nos graphs
Agenda

Ne loupez aucun événement de nos partenaires : webinars, roadshow, formations, etc. en vous inscrivant en ligne.

Voir notre agenda
Les fonds de nos partenaires