Investir dans l’IA : le champ des possibles
Incontournable sur les marchés, l’intelligence artificielle n’en reste pas moins complexe. Si elle a surtout profité aux géants de la tech américaine, elle devrait rapidement bénéficier à d’autres architectes de cette mutation.
Difficile d’être passé à côté du phénomène. Promise à un bel avenir dans un futur imminent, l’intelligence artificielle (IA) est déjà omniprésente sur les marchés, où elle alimente les fantasmes les plus fous. De sorte que le sujet a été, ces deux dernières années, le principal moteur de la hausse des indices mondiaux. Depuis l'avènement d’Internet, au tournant du nouveau millénaire, rarement un thème n’avait fédéré un tel consensus. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’engouement qu’elle suscite au sein de la communauté financière n’est pas sans réveiller les démons de la bulle des valeurs technologiques qui a éclaté en mars 2000.
« Les questions sur l’IA sont nombreuses, confirme Abdoullah Sardi, gérant actions à Amplegest. Est-ce que les valorisations ne sont pas déconnectées de la richesse créée par les entreprises ? Est-ce que la hausse des cours n’a pas été trop rapide ? Trop loin ? Quelle est la rentabilité sur capitaux employés attendue ? En définitive, y a-t-il un risque de bulle ? La réponse est non. » En effet, un groupe comme Nvidia se paie aujourd’hui 35 fois ses bénéfices, loin des ratios spéculatifs (90 fois) des valeurs technologiques de la fin des années 1990. Si les protagonistes de l’époque étaient surtout des start-up en forte croissance au profil financier fragile et avec des besoins de financement énormes, le contexte est aujourd’hui bien différent. Les principaux acteurs présentent des bilans sains, disposent massivement de cash et trônent sur de confortables marges. En outre, les deux révolutions technologiques se différencient par l’environnement qui les fertilise. « L’IA repose certes sur des technologies qui existent, pour certaines, depuis plusieurs décennies, relève Karen Kharmandarian, responsable des investissements et cogérant du fonds AI & Robotics à Thematics. Mais elle connaît aujourd’hui, grâce aux milliards d’objets connectés, une forte accélération permettant aux masses de données produites d’être traitées par des capacités de calcul grandissantes et ainsi rendre les algorithmes plus précis, pertinents et utiles. De sorte que l’interaction avec ces modèles soit plus intuitive et naturelle, permettant une vitesse de diffusion beaucoup plus rapide. » En témoigne la célérité avec laquelle un outil comme ChatGPT a été adopté. Deux mois seulement après son lancement en novembre 2022, l’IA générative d’OpenAI passait le cap des 100 millions d’usagers mensuels.
Les architectes de l’IA
Indéniablement, une révolution est donc en marche et jouit de conditions favorables à son essor. Néanmoins, en termes d’investissement, il n’est pas toujours simple d’en appréhender la globalité et, in fine, d’en identifier les gagnants. Surtout quand une bonne part de ce biotope technologique est composée de start-up accessibles en private equity. À ce jour, en Bourse, les premiers à en profiter sont bien sûr les big techs américaines, dont le parcours boursier ces deux dernières années témoigne de cet engouement. « Des noms comme Alphabet et Microsoft cochent toutes les cases d’un investissement safe dans l’IA, atteste Mathieu Pillet, directeur général chez Square Capital. Outre l’aspect financier, ce sont des acteurs qui ont les capacités opérationnelles nécessaires – data centers et pléthore de talents qualifiés – pour porter toujours plus haut leur potentiel d’innovation. Parallèlement, « le séquençage du secteur met aujourd’hui en exergue l’intérêt porté aux acteurs concernés de près ou de loin par la construction des infrastructures de l’IA, souligne Karen Kharmandarian. Ce sont eux les premiers bénéficiaires en termes de croissance, de carnet de commandes et de profitabilité. » Aux avant-postes de cette chaîne de valeur, les fournisseurs (Nvidia, AMD, Intel) et fabricants de puces (TSMC) ou encore les équipementiers (ASML). En sus, un écosystème de prestataires spécialisés dans la conception et l’architecture des puces (Synopsys, Cadence Design Systems) profite aussi de l’aubaine.
Gagnants et perdants
Si ces acteurs peuvent être facilement comparés aux fabricants et/ou vendeurs de pioches durant la Ruée vers l'or, l’IA est aussi chargée de promesses pour un large éventail de secteurs. De par la nature de leurs activités, certains sont déjà aux premières loges.
« Des domaines – cybersécurité, par exemple, ou l’industrie en général – vont être avantagés par cette révolution, assure Mathieu Pillet. Un groupe comme Dassault Systèmes, qui a déjà des logiciels de modélisation, est ainsi susceptible de profiter, plus que les autres, de ces nouveaux outils et modèles tirés de l’IA. » En dépit d’un probable impact négatif sur les revenus au départ, les services informatiques devraient, de leur côté, aussi bénéficier à moyen terme de l’émergence de nouveaux projets. À l’inverse, cette révolution promet d’être disruptive pour des pans d’activités, qui n’en sortiront pas indemnes. À commencer par ceux de la création qui, s’ils bénéficient déjà des atouts de l’IA générative, pourraient en contrepartie de cette internalisation voir de nombreux sous-traitants disparaître. Au-delà, quid, par exemple, de secteurs comme les plateformes de réservation dans le transport ou le tourisme ?
La consommation énergétique, limite intrinsèque de l’IA
À l’évidence, le bouleversement sous-jacent à cette révolution sera global. « Aujourd’hui, le développement de l’IA est sans borne, résume Abdoullah Sardi. Si ce n’est celle de la voir peut-être un jour matérialisée et autonome comme JARVIS dans l’univers Marvel. » Si le champ des possibles ouvert par cet avènement technologique semble infini, d’aucuns soulignent des points d’attention comme la véracité des informations fournies par l’IA ou la réglementation entourant la concurrence ou la confidentialité des données. D’autres relèvent les limites intrinsèques de cette mutation. « L’entraînement des modèles d’IA utilise des puces à très haute capacité de calcul, mais dont le corollaire est un impact important en matière d’énergie, relève Karen Kharmandarian. Actuellement de 8%, la part des centres de données dans la consommation énergétique à Taïwan est promise à passer les 10% en 2030. » Et le même constat s’impose aussi en matière d’eau, abondamment utilisée pour la fabrication des puces. Des facteurs qui fixeront naturellement des limites à cette révolution, car ils soulèvent des questions fondamentales sur le partage des ressources entre l’IA et le reste du monde.
Par Gaël Vautrin
Numéro Spécial Gestion de Patrimoine 2024 - Challenges & Club Patrimoine - 25/09/2024
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