Oracle défie les lois de l'apesanteur (Financière de l'Arc)

Comment honorer 523 milliards de dollars de contrats quand on en satisfait à peine 16 milliards par trimestre ?
La réponse est simple mais trop coûteuse : en investissant massivement.
Oracle défie les lois de l'apesanteur
C’est le rêve de tout entrepreneur d’avoir plus de commandes que de capacité. En général, cette situation déséquilibrée apporte beaucoup de visibilité à cet heureux bénéficiaire.
Seulement voilà, avec le boom de l’intelligence artificielle, Oracle défie les lois de l’apesanteur et voit peut-être trop grand actuellement. Beaucoup de sociétés auraient sans doute décliné une part importante de ce gigantesque gâteau, faute de moyens. Ce n’est pas le genre de Larry Ellison, président fondateur du groupe. Il a choisi l’option de la croissance maximale, avec un doublement potentiel des revenus de son entreprise au cours des trois prochaines années, au détriment de la qualité du bilan.
Ce sera donc l’endettement massif, qui pourrait atteindre à terme plus de 170 milliards de dollars pour combler le trou accumulé entre les flux de trésorerie disponibles et les investissements. Ce rêve va-t-il se transformer en cauchemar financier, avec une faillite à la clé ?
68 milliards de dollars de nouvelles commandes non satisfaites au cours du dernier trimestre
Ce n’est pas un rêve, mais une réalité. Oracle a engendré quatre fois plus de contrats qu’elle n’en a honorés au cours du dernier semestre (68 milliards de dollars contre 16,02 milliards de dollars de revenus). L’activité relative aux données est en plein boom et les engagements contractuels aussi.
Tout s’est en fait accéléré avec l’émergence de l’intelligence artificielle. Le carnet de commandes est passé en deux ans de 80 milliards de dollars à 523 milliards de dollars. La liste des nouveaux clients fièrement annoncée par l’entreprise est longue et diverse.
Oracle a relevé ses prévisions pour le prochain exercice
On trouve également des clients prestigieux comme Deutsche Bank, Canon et Airbus. Tout se présenterait donc en apparence comme un conte de fées. D’ailleurs, Oracle a relevé ses prévisions d’activité pour le prochain exercice annuel de 40 %. Seulement voilà, OpenAI représenterait plus de la moitié de ces futurs revenus, après le méga partenariat de 300 milliards de dollars sur cinq ans à honorer à partir de 2027. Nous mettons de côté les Sept Magnifiques dont la solvabilité ne nous semble pas être remise en question. L’avenir de la société repose donc majoritairement sur le succès de ChatGPT. Malgré les 800 millions d’utilisateurs de son agent conversationnel, OpenAI consomme toujours beaucoup de cash. On peut donc légitimement se poser la question de la santé financière de cette entreprise et de sa capacité à honorer ses engagements.
Un manque cruel de fonds propres aujourd’hui
En 2017, Oracle disposait de 53 milliards de dollars de fonds propres et n’avait pas de dettes. Ce beau bilan fait cruellement défaut actuellement pour répondre à ces besoins gigantesques d’investissements. La raison est liée au choix du conseil d’administration d’avoir procédé à des programmes de rachats d’actions disproportionnés. Rachats qui ont dépassé plus de 100 milliards de dollars entre 2017 et 2022.
L’entreprise était même passée en fonds propres négatifs à fin 2022.
Avec les profits des trois derniers exercices, l’entreprise affiche désormais 30,5 milliards de dollars de fonds propres. Cet important magot est toutefois insuffisant face aux besoins d’investissements, chiffrés à 50 milliards de dollars pour cette année, excédant probablement les flux de trésorerie disponibles de 20 milliards de dollars. Selon les analystes financiers, la dette nette explosera jusqu’à 170 milliards de dollars en 2029.
Une note de crédit sous pression
Les revenus et l’excédent brut d’exploitation (EBITDA) devraient atteindre respectivement 180 et 92 milliards de dollars en 2029. Dans ce scénario idéal, la dette nette sur EBITDA ressortirait à moins de 2 ; un niveau théoriquement suffisant pour conserver la notation investment grade. Au cours de la conférence sur les résultats du deuxième trimestre, mercredi 10 décembre, le management a confirmé vouloir conserver cette note de crédit et ne pas basculer du côté obscur du statut d’obligations « pourries ».
Oracle a déjà vendu 18 milliards de dollars d’obligations en septembre. Les créanciers ont pris peur et craignent, à juste titre, que cela ne soit pas suffisant. Les échéances à 30 ans et à 40 ans, qui ont été émises deux mois auparavant, ont déjà perdu 11 % de leur valeur nominale et l’écart de taux avec la dette souveraine américaine dépasse désormais le niveau de 200 points de base (2 %) pour ces deux souches. Décidemment, la famille Ellison donne des cheveux blancs aux banquiers américains. Si le père Larry emprunte beaucoup, ce sera également le cas du fils David Ellison, PDG de Paramount Skydance Corp, qui vient de lancer une OPA hostile sur le célèbre géant hollywoodien Warner Bros.
Et si OpenAI était incapable d’honorer ses engagements contractuels ?
Tout repose sur le succès de ChatGPT et la capacité d’OpenAI à facturer une proportion suffisamment importante de ses 800 millions d’utilisateurs. Étant une structure juridique privée, les comptes ne sont pas publics. On parle de plus de 10 milliards de dollars de recettes pour cette année, et les estimations pour 2027 varient de 37 à 100 milliards de dollars. Si le scénario optimiste se réalise, tout ira bien. Dans le cas contraire, Oracle et ses investissements démesurés dans ses infrastructures cloud, particulièrement dans ses centres de données, ne pourront être rentabilisés, car sous-utilisés. La société devrait alors procéder à des dépréciations massives d’actifs et risquerait la faillite.
Son futur dépendrait de la complaisance de ses créanciers et de la volonté de ses actionnaires d’injecter du capital. L’année de vérité sera 2027, avec plus de 10 milliards de dollars de dettes à refinancer. Vous l’avez compris : de tous les acteurs de la chaîne de l’intelligence artificielle, c’est le plus fragile, car son métier est le plus coûteux en matière d’investissements physiques et sa structure bilancielle est insuffisante. Dans la fable de Jean de la Fontaine, « la grenouille s’enfla si bien qu’elle creva. ». Souhaitons un tout autre destin à Oracle.
Chaque jour, nous sélectionnons pour vous, professionnels de la gestion d'actifs, une actualité chiffrée précieuse à vos analyses de marchés. Statistiques, études, infographies dans divers domaines : épargne, immobilier, économie, finances, etc. Ne manquez pas l'info visuelle quotidienne !
Ne loupez aucun événement de nos partenaires : webinars, roadshow, formations, etc. en vous inscrivant en ligne.

.webp)


































