De l’exceptionnalisme américain au réveil de l’Europe (Rothschild & Co)

Ce début d’année est marqué par une multitude d’annonces qui ne concernent pas, à proprement parler, l’économie. Toutefois, les mesures prises par la nouvelle administration américaine rebattent sensiblement les cartes.
Les annonces concernant les droits de douane, puis les revirements qui s’en sont suivis, ainsi que la position des États-Unis vis-à-vis de l’Europe et de l’Ukraine dans le conflit avec la Russie, déstabilisent les marchés financiers. Ce contexte a incité les États membres de l’Union européenne, en particulier l’Allemagne, à prendre des mesures historiques, marquant un tournant majeur dans la gestion de leur défense et dans leur autonomie stratégique.
États-Unis : un indice d’incertitude économique à des niveaux records
Alors que les indicateurs macroéconomiques ont légèrement fléchi, l’indice d’incertitude de la politique économique de la Fed de St. Louis a plus que doublé par rapport à sa moyenne des quarante dernières années. Un niveau inédit, hormis lors de la crise du Covid-19. Cette situation reflète l’inquiétude des industriels face aux décisions contradictoires du Président Trump, alimentant un climat d’instabilité économique.
Plan de relance européen : l’Allemagne revoit sa stratégie budgétaire
En Europe, Friedrich Merz a saisi l’opportunité offerte par la publication des rapports Letta et Draghi pour tenter de faire voter un ambitieux plan de relance avant le renouvellement du Parlement, le 25 mars prochain. Le chancelier allemand a ainsi opéré un revirement stratégique, prenant en main la question de la défense pour garantir à l’Allemagne une autonomie accrue vis-à-vis des États-Unis. Ce plan repose sur un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur 10 ans, soit 11,6 % du PIB, ainsi que sur une réforme du « frein à l’endettement » excluant les dépenses de défense du calcul de la dette publique.
Dépenses de défense en Europe : une dérogation budgétaire pour soutenir la croissance
Dans le même temps, la Commission européenne introduit une dérogation au pacte de stabilité et de croissance permettant aux États membres d’augmenter leurs dépenses de défense jusqu’à 1,5 % du PIB, sans déclencher de procédure pour déficit excessif. Ce dispositif pourrait générer des investissements additionnels pouvant atteindre 650 milliards d’euros sur quatre ans. En parallèle, un nouvel instrument de financement a été mis en place, offrant aux États membres une facilité de prêt de 150 milliards d’euros, garantie par le budget européen, spécifiquement pour les dépenses de défense.
Croissance en Europe : quel impact du tournant budgétaire allemand ?
Le déplacement de la relance budgétaire vers l’Europe marque une rupture avec la dynamique observée aux États-Unis, traditionnellement financée par un déficit public important. L’Allemagne, historiquement plus austère, s’engage dans une politique de dépenses susceptible d’augmenter la croissance de 0,3 % à 0,7 % à horizon deux ans. L’impact réel de ces mesures dépendra de la part importée des dépenses de défense – actuellement aux deux tiers pour l’Union européenne – ainsi que de leur effet d’entraînement sur l’investissement privé.
Financement de l’économie européenne : vers une réduction de la dépendance aux États-Unis ?
L’enjeu central pour l’Europe est désormais de réorienter l’épargne excédentaire de la zone euro vers des investissements productifs, plutôt que de financer le déficit américain. L’histoire européenne a montré que les crises ont souvent été un catalyseur d’intégration. L’union de l’Allemagne, de la France et même du Royaume-Uni post-Brexit autour de la défense européenne pourrait marquer une avancée significative dans cette direction.
Marchés financiers : fin du « Trump Rally » et divergence entre États-Unis et Europe
Les États-Unis font face à un risque de défiance accru de la part des investisseurs internationaux, remettant en cause le cercle vertueux observé ces dernières années. L’imposition de droits de douane s’apparente à une taxe qui sera supportée soit par le consommateur américain sous forme d’inflation, soit par les entreprises via une compression des marges. Le ralentissement de la croissance et la hausse des prix deviennent des risques de plus en plus prégnants.
Cette évolution se reflète dans les performances des marchés. Aux États-Unis, le « Trump Rally » s’est totalement effacé, affectant à la fois les actions et le dollar. Par ailleurs, les incertitudes pesant sur le secteur technologique américain, notamment après l’épisode du « DeepSeek Moment », restent un facteur de volatilité. En revanche, l’Europe, bénéficiant de niveaux de valorisation historiquement faibles, a connu un rebond marqué. Ainsi, alors que le S&P 500 a reculé de -10 %, l’Eurostoxx a progressé de 10 %, avec des disparités sectorielles en fonction des bénéficiaires des dépenses d’investissement et des entreprises souffrant de la hausse des taux.
Valorisation des marchés : un rattrapage européen modéré
Ce rééquilibrage des marchés européens entraîne une convergence des performances avec les indices américains, aussi bien depuis décembre 2023 que sur une période de trois ans, en tenant compte de la parité euro-dollar. À noter que, sur ces périodes, les secteurs bancaire et assurantiel ont enregistré des performances supérieures aux « Magnificent 7 », dividendes compris.
Sur les marchés obligataires, le Bund a connu une hausse de 44 points de base en une semaine – un mouvement inédit depuis la réunification de l’Allemagne en 1990 – atteignant 2,8 %, un niveau similaire à celui observé à l’automne 2023.
Perspectives : quelle soutenabilité du rebond des actions européennes ?
Malgré le rebond des actions européennes, la révision à la baisse des perspectives de croissance des bénéfices des entreprises pose la question de la soutenabilité de cette dynamique. Toutefois, dans un environnement toujours caractérisé par une abondance de liquidités et une décote significative par rapport à d’autres classes d’actifs, le retour en grâce des marchés européens reste mesuré. Cette tendance demeure contrainte par leur sous-pondération dans les allocations mondiales et les rachats massifs opérés ces trois dernières années.
Par Didier Bouvignies, Associé-Gérant, Directeur des gestions, Achevé de rédiger le 11 mars 2025, Rothschild & Co.
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