SLLB un nouvel outil pour la finance durable ? (Groupe La Française)
La baisse du marché des instruments de financement liés au développement durable, atténuée par la résilience des SLL
En 2021, l'International Capital Market Association (ICMA) a lancé les principes applicables aux Sustainability-Linked Bond (SLB) pour permettre aux émetteurs de lier les caractéristiques financières de leurs obligations à l’atteinte d'objectifs ESG, et la Banque centrale européenne (BCE) a commencé à accepter ces instruments comme garanties dans son programme d'achat d'actifs. La même année, les émissions de SLB ont enregistré leur pic en atteignant 97 milliards de dollars (soit 9 % du total des émissions d'obligations labellisées), soulignant la participation des entreprises au marché obligataire labellisé, quelle que soit la taille de leurs réserves d'actifs verts et/ou sociaux pré-identifiés. Depuis, nous observons un déclin de cet engouement, avec une baisse des émissions de SLB qui n’atteignaient que 66 milliards de dollars en 2023 (soit 6,7 % des émissions totales d'obligations labellisées). Parallèlement, alors que les volumes des SLL diminuent également (-34 % en glissement annuel au S1 24 pour atteindre 275 milliards de dollars), le marché des SLL s'avère robuste et représente l'essentiel des prêts labellisés depuis 2019 (environ 75 % du marché total des prêts labellisés au S124).
Malgré une légère baisse des SLL au cours de l’année écoulée, principalement influencée par la hausse des taux d’intérêt qui a rendu l’emprunt plus couteux et aux risques de réputation (écoblanchiment), nous notons que leur déclin a été moins important que celui des SLB pour plusieurs raisons.
Le besoin de longue date pour les institutions financières de décarboner leurs portefeuilles de prêts a sans doute été l'un des principaux moteurs du marché des instruments de financement liés au développement durable. L'impulsion initiale est venue de la réglementation : la BCE demande depuis 2020 à ce que les banques intègrent les risques climatiques dans leurs processus de gestion des risques et leurs stress tests. En 2019, la Banque d'Angleterre, par l'intermédiaire de la Prudential Regulation Authority, a également exercé d'importantes pressions réglementaires en publiant son « Supervisory Statement », dans lequel elle exige des banques l’élaboration de plans robustes pour faire face aux risques financiers liés au climat.
La prise de conscience des banques concernant les risques climatiques
Malgré une étude récente de la BCE indiquant que les banques de la zone euro ont commencé à intégrer le risque climatique dans leurs politiques de prêt, de multiples parties prenantes constatent que l'intégration du risque lié à la transition climatique s'est historiquement souvent limitée à des outils de reporting et à des engagements publics (par exemple, analyse de matérialité des risques liés à la transition, émissions financées et objectifs associés) et que les banques peinent à intégrer pleinement ces risques dans leurs processus décisionnels.
C'est pourquoi, au-delà de la pression réglementaire initiale (et actuelle), nous devons souligner le rôle des initiatives telles que la Glasgow Financial Alliance for Net-Zero (GFANZ) et son sous-groupe la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) initiée par les Nations Unies, dans la résilience du marché des SLL. En effet, par exemple, les banques adhérentes s'engagent à aligner d'ici 2050 leurs portefeuilles de prêts et d'investissements avec l’objectif de zéro émission nette. Elles sont également tenues de fixer dans les 18 mois suivant leur adhésion, des objectifs intermédiaires pour 2030 ou plus tôt. De plus, les membres s'engagent à publier tous les ans les progrès réalisés par rapport à une stratégie de transition approuvée par leur conseil d’administration, qui définit les actions proposées et les politiques sectorielles relatives au climat.
Le potentiel des SLL pour réduire l’exposition des banques aux risques climatiques
Ainsi, alors que les investisseurs rencontrent parfois des difficultés pour accéder à des informations complètes sur la manière dont les banques gèrent concrètement les risques liés à la transition climatique au sein de leurs portefeuilles de prêts, nous assistons à une prise de conscience du potentiel offert par les SLL pour réduire l’exposition des banques aux risques climatiques.
Une autre raison pour laquelle le déclin des SLL a été moins important que celui des SLB est qu’ils sont souvent syndiqués par un nombre limité de banques, qui disposent d'une expertise et d'un savoir-faire dans la gestion des prêts. Ces banques travaillent en étroite collaboration avec l'emprunteur, ce qui permet une compréhension plus fine de ses besoins et objectifs de durabilité. La structuration basée sur une relation directe entre banques et emprunteurs facilite la mise en place d’Indicateurs Clés de Performances (KPIs) et d’Objectifs de Performance Durable (SPTs) alignés à la stratégie développement durable de l’emprunteur. Les échanges fréquents entre prêteurs et emprunteurs permettent une plus grande flexibilité et optimise le suivi et le dialogue relatifs aux objectifs de durabilité. Il est également plus facile de se mettre d’accord sur la variation des caractéristiques financières de l’instrument (par exemple, un ajustement de marge à la hausse ou à la baisse ou un paiement unique sur la base de l’atteinte ou non des SPTs prédéfinis). En revanche, le marché obligataire lui, implique des parties prenantes beaucoup plus nombreuses et plus diverses, ce qui rend la customisation et le suivi plus difficiles. Ainsi, le marché des prêts propose des KPIs plus complexes et plus nombreux, tandis que le marché obligataire tend à en privilégier des plus simples et standardisés.
Une croissance notable des SLL auprès des PME
Enfin, et à la différence des SLB, le marché des SLL a connu une croissance notable en raison de son adaptabilité auprès de sociétés de tailles variables dont les petites et moyennes entreprises (PME). Les banques disposaient déjà de structures existantes pour d'autres types de prêts syndiqués, qui ont pu être adaptées aux SLL.
Les Sustainability-Linked Loan Bonds (SLLB) : un nouvel outil pour renforcer le marché des financements durables
Jusqu’à présent, les SLB et SLL représentent les principaux instruments financiers labellisés pour financer la transition. La baisse de confiance dans ces labels limite la boîte à outils du financement de la transition pour les entreprises disposant d'actifs verts ou sociaux restreints, notamment celles actives dans les secteurs suivants : (I) « les industries facilitant la transition verte» sont des secteurs qui, bien que disposant d'actifs verts limités, jouent un rôle essentiel dans la chaine de valeur des projets verts (par exemple, l’industrie minière), (II) les secteurs difficiles à décarboner, avec une trajectoire définie qui tend vers le zéro émission nette mais qui sont au tout début de leur parcours et qui sont dotés d'actifs verts limités (par exemple, la production d'acier) ; ou (III) les secteurs difficiles à décarboner qui, bien qu’ils n’aient pas de trajectoire définie vers le zéro émission nette, peuvent mettre en place des mesures pour réduire considérablement leur empreinte carbone (par exemple, l'aviation long-courrier).
Plusieurs organisations, telles que l’ICMA ou la Loan Market Association (LMA), s'efforcent de restaurer la confiance dans le marché des instruments de financement liés au développement durable. Récemment, elles ont proposé un guide visant à encadrer l’émission d’un nouveau type d'instrument qui pourrait contribuer à renforcer la résilience des instruments de financement liés à la durabilité : Les obligations de financement de prêts liés au développement durable (Sustainability-Linked Loan Financing Bonds, SLLB). Celles-ci sont définies dans les Sustainability-Linked Loans Financing Bonds Guidelines (SLLBG) comme « tout type d’instrument obligataire (I) dont le produit ou un montant équivalent sera exclusivement affecté au financement ou au refinancement (en tout ou en partie) à un portefeuille de SLL conformes aux Sustainability-Linked Loan Principles (SLLP) et (II) qui sont alignés sur les quatre composantes des SLLBG, inspirées des Green Bond Principles, des Social Bond Principles et des Sustainability Bond Guidelines ».
Les SLLB : une opportunité pour plus de transparence et une finance durable crédible
En impliquant les investisseurs obligataires et en améliorant la visibilité relative aux portefeuilles de SLL financés, les SLLB ont la capacité d’atténuer deux limites majeures souvent associées respectivement aux SLL et SLB : les SLL sont souvent critiqués pour leur manque de transparence et d'ambition relatives aux aspects de durabilité (matérialisées notamment via les KPIs et SPTs) choisis pour l'instrument. Ces éléments sont renforcés par le caractère privé de l’instrument. Le marché des SLB, en revanche, a parfois exclu certains émetteurs, en particulier dans les secteurs difficiles à décarboner (malgré des efforts pour faciliter l'accès au marché des obligations labellisées), car ils continuent à être confrontés à un risque d’écoblanchiment. Pour ces émetteurs, les SLLB offrent (indirectement) une voie pour accéder au marché de la finance durable en liant leurs instruments financiers à des objectifs durables spécifiques et mesurables, atténuant ainsi les fameuses craintes d’écoblanchiment.
Assurer une plus grande transparence dans les objectifs de durabilité
Les SLLB peuvent également aider à assurer une plus grande transparence du marché des SLL en fixant des objectifs stricts envers lesquels les emprunteurs sont redevables. Cela garantit que les objectifs en matière de durabilité soient non seulement ambitieux mais aussi vérifiables, ce qui renforce ainsi la crédibilité du marché financier labellisé. In fine, en permettant à un plus grand nombre d'entreprises de participer (à condition qu'elles respectent des critères de durabilité rigoureux), les SLLB favorisent une approche plus inclusive de la finance durable, favorisant ainsi un écosystème financier plus transparent et plus responsable.
Opportunités pour les banques : transparence et critères ambitieux
Plus de transparence sur le marché des SLL signifie aussi plus de transparence sur les mesures prises par les banques pour améliorer la performance ESG de leurs portefeuilles. Plus précisément, en tant qu'investisseurs durables, nous aimerions voir les banques considérer les SLLB comme une opportunité de (I) fixer des critères transparents et ambitieux relatifs aux SLL octroyés, mais aussi de (II) faire preuve de transparence quant à la manière dont ces critères s'alignent sur leurs propres objectifs de durabilité.
Dans la mesure où la plupart des SLL disposent d’un KPI couvrant les émissions de gaz à effet de serre ‘’GES’’ (> 70 % selon Moody's), nous nous attendons évidemment à ce que les SLLB fournissent des informations sur la manière dont ces instruments sont utilisés pour soutenir la décarbonation des portefeuilles des banques. C'est déjà le cas pour l’un des premiers documents cadre de financement de prêts liés au développement durable émis sur le marché. En émettant sur le marché des SLLB, les banques peuvent également clarifier plus précisément le champ couvert par leurs indicateurs et objectifs dits de ‘’finance durable’’, désormais considérés comme l’un des piliers de leur stratégie de développement durable. À ce jour, les banques ne disposent pas toutes d'une définition claire de leurs indicateurs de finance durable. Lorsqu'elles en ont un, elles définissent rarement des critères de sélection précis concernant les SLL, même si cet instrument peut représenter une part importante des instruments de finance durable mobilisés chaque année. Les rapports sur les indicateurs de finance durable nécessitent également d’être améliorés, afin de fournir une répartition détaillée des instruments de finance durable (par exemple, par type d’instrument, par secteurs, par projet, etc.).
Les limites des approches de transparence et de vérification
Tout en saluant le lancement de cet instrument, nous suivrons de près son développement pour évaluer la manière dont les limites potentielles décrites ci-après seront traitées.
Les SLLBG reconnaissent qu’il existe diverses « approches disponibles pour les émetteurs afin d’atteindre un niveau de transparence approprié » - l'un des principaux objectifs visés par l'initiative.
La première approche (récemment adoptée par le Crédit Agricole) consiste à définir des KPIs et des SPTs détaillés et à obtenir une revue externe indépendante au niveau du document cadre. Si cela devrait accroît la clarté autour du portefeuille de SLL éligibles, cette approche peut être considérée trop sélective. En effet, la dimension publique des SLLB peut entraîner la mise en place de critères de durabilité plus ambitieux que de nombreux SLL structurés par les banques n’atteindront peut-être pas. Si nous pensons que les SLLB constituent une excellente opportunité d'améliorer les normes applicables à l'ensemble des SLL accordés par les banques, il y a un risque que cet impact positif ne concerne que les prêts les plus ambitieux (créant un marché à deux vitesses). En outre, si la revue externe indépendante permet d'anticiper en partie la qualité de durabilité des futurs SLL (via l’analyse des KPI/SPTS détaillés), elle reste incomplète étant donné l’absence de nombreuses informations contextuelles comme les pays dans lesquels exercent l’emprunteur (la matérialité d’un KPI et l’ambition de la SPT pouvant varier en fonction de ce facteur) ou l’obtention d’un groupe de pairs pertinent (souvent utilisé comme référence afin d’évaluer l’ambition des objectifs fixés par l’emprunteur).
L'autre approche (récemment utilisée par Nordea) vise à fournir des informations plus superficielles au niveau du document cadre, tout en exigeant une revue externe indépendante pour chaque SLL. Obtenir une revue externe est conforme aux meilleures pratiques du marché des SLL, et fixer des attentes générales au niveau du cadre pourraient donner plus de marge de manœuvre pour customiser chaque SLL. Si cela peut contribuer à atténuer l'un des risques mentionnés ci-dessus - c'est-à-dire à améliorer la clarté sur les meilleures pratiques pour les SLLs -, cela pourrait affaiblir l'objectif principal visé par les SLLB : la transparence. En effet, pour des raisons de confidentialité, les banques émettrices de SLLB (et les évaluateurs externes) pourraient ne pas être en mesure de partager les caractéristiques de durabilité de chaque transaction. Même si la revue externe peut rassurer les investisseurs durables, ceux-ci ne seront pas en mesure de se faire leur propre opinion, car il leur manquera des données clés (KPI, SPT, etc.). Il va sans dire que l'existence de ces différentes approches pourrait également créer des divergences dans la manière dont les banques abordent les SLLB.
Cependant, nous pensons que le caractère unique de ce nouvel instrument en fait sa force et nous attendons des SLLB qu'elles augmentent à la fois le niveau de clarté et d'ambition des plans de transition des institutions financières et des acteurs qu'elles financent.
Par Océane Balbinot-Viale et Armand Satchian, Analystes ESG, Crédit Mutuel Asset Management
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