Comment investir en obligataire dans un marché tendu ? Kevin Thozet (Carmignac) et Romain Gobert (La Française)

Hausse des rendements sur les dettes souveraines, valorisations tendues, rareté sur le marché du crédit corporate : le marché obligataire traverse une phase complexe. Lors du MidSommar 2025, Kevin Thozet, Membre du comité d'investissement de Carmignac et Romain Gobert directeur commercial distribution externe du Groupe La Française ont partagé leur lecture des tensions actuelles et leurs stratégies d’investissement.
On entend parler de tensions sur l'obligataire. Quels types d'obligations sont concernées et comment ça s'explique ?
Une remontée généralisée des taux longs souverains
Kevin Thozet : Les tensions dans le monde obligataire, elles se voient essentiellement sur le segment de la dette souveraine et sur les maturités les plus longues. On a vu, par exemple, des rendements — et c'est un phénomène qui est assez mondialisé — on a vu des rendements, que ce soit sur des obligations longues, 20 ans, 30 ans, japonaises, américaines, allemandes, remonter assez fortement. On parle d'une hausse de ces taux longs de l'ordre de 0,5 %. C'est assez conséquent. Pour certains pays, on pense notamment à l'Allemagne, au Japon, on a une conjoncture économique qui est plutôt méliorative, qui va plutôt dans le bon sens. Donc plus de croissance économique, ça veut dire des taux allemands plus élevés globalement. Au Japon, on a un retour de l'inflation. Après 20, 30 années de déflation, la Banque centrale japonaise, de son temps, a bougé. Et donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y a le risque qu'elle laisse l'inflation s'installer et donc les taux longs japonais remontent. Et puis, il y a quand même toujours cette problématique de déficit budgétaire important, qui ne seront pas réglées aux États-Unis. Quand on rajoute à ça des investisseurs qui ont moins d'appétit pour ces taux longs, pourquoi ? Parce qu'on a eu une hausse des rendements obligataires. Donc, on n'est pas obligé d'aller investir très loin sur la courbe des taux pour avoir des rendements appréciables. Et ça, on a des acheteurs naturels, par exemple des fonds de pension, des assureurs, qui ont tendance à acheter des obligations très longues, qui n'ont plus à le faire.
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Le crédit corporate était plutôt à l'écart de ces tensions. Qu'est-ce qui rend ce crédit attractif pour les investisseurs ?
Une normalisation des spreads et une rareté de l’offre
Romain Gobert : Effectivement, la tension a un peu disparu sur le marché du crédit corporate, des obligations d'entreprises. C'est vrai qu'on a eu, pour rappel quand même, un stress sur le marché suite aux annonces post-Liberation Day, où les spreads s’étaient écartés de presque 150 points de base, ce qui n’est pas rien quand même, et ça a été effacé. Donc on retrouve des spreads qui sont équivalents à avant cet épisode. Donc grosso modo, aujourd’hui, sur la performance crédit year-to-date, on est entre 2 et 3 % de performance en fonction des zones géographiques, et il y a un phénomène de rareté aujourd’hui sur ce marché-là avec des émissions obligataires sur le crédit qui sont un peu moindres, en tout cas que sur les obligations d’État, et donc normalement ce marché-là devrait bénéficier un peu plus de collecte, ou en tout cas de demande, plutôt que les obligations d’État, puisque les entreprises aujourd’hui sont très solides.
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On parle aussi bien du High Yield que de l'Investment Grade ?
Un environnement de crédit favorable malgré les défauts attendus
RG : Absolument, on parle aussi bien du High Yield que de l'Investment Grade, et c'est vrai qu’on peut rajouter aussi que les taux de défaut sont contenus, que ce soit sur l'Investment Grade ou sur le High Yield, avec un atterrissage qui devrait arriver autour de 3,5 ou 4 % sur le marché High Yield.
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Chez Carmignac, comment composez-vous avec tout cela dans vos portefeuilles ? Quelle catégorie de titres sélectionnez-vous ? Dans quel secteur ?
Une sélection active de titres et une gestion flexible du risque
KT : Comme l’indiquait Romain, c’est vrai qu’on parle de tensions sur les rendements obligataires ou dans le monde obligataire. On a eu des valorisations, notamment sur les primes de risque crédit souverain ou d’entreprises, qui se sont là aussi tendues. On a un renchérissement des marchés. Ça tombe bien, notre métier ce n’est pas de gérer des indices, c’est de sélectionner des entreprises. Donc on arrive quand même, dans cet environnement-là, à investir, à prêter à des entreprises qui, d’une part, sont peut-être moins sujettes aux problématiques liées aux tensions commerciales ou aux mouvements de change.
On pense notamment à des secteurs plutôt domestiques : secteur bancaire, secteur énergétique. Et sur ces segments-là, on arrive à avoir des rendements élevés, entre 6 et 7 %. Quand on construit un portefeuille, des portefeuilles crédit, par exemple chez nous, qu’ils soient à échéance ou sans échéance, c’est plutôt ces segments-là qu’on va privilégier.
À l'inverse, on va plutôt avoir tendance à acheter une forme de protection, une forme d'assurance contre, justement, un épisode, on va dire, un peu plus volatile sur les marchés du crédit. Donc ça, c'est une façon de l'implémenter. Quand on élargit un peu le spectre, si on regarde autre chose que les marchés du crédit, on a aussi des gestions flexibles obligataires dans lesquelles on va privilégier ces obligations d'entreprise et on va, à l'inverse, rester à l'écart de ces maturités longues, donc cette dette de long terme souveraine.
Et quand on va essayer de gérer des risques dans cet environnement-là, qu'est-ce qu'on fait ? On va plutôt privilégier des segments de courbe qui pourront bénéficier, là où les taux d'intérêt seront susceptibles de baisser, si jamais ça va moins bien. On pense notamment aux obligations américaines à 5 ans.
Pourquoi ? Parce que la dynamique tarifaire induit un choc stagflationniste aux États-Unis. Moins de croissance, plus d'inflation, ce qui risque de mettre la Réserve fédérale un peu dans un coin. Elle ne pourra pas forcément baisser ses taux d'intérêt parce que l'inflation est rémanente. Ça veut dire que ce que la Réserve fédérale ne fait pas aujourd'hui, elle devra en faire plus demain, et donc on préfère ces maturités 5 ans.
À La Française, quelles sont vos stratégies obligataires du moment ? Que favorisez-vous ?
Des fonds thématiques High Yield et une gestion alternative
RG : Encore et toujours la stratégie innovante avec un fonds qu'on a lancé à La Française depuis maintenant trois ans. C'est un fonds thématique qui va aller chercher des sociétés High Yield à 100 %, et on va aller travailler que sur 25 % du marché High Yield mondial puisque ce marché-là va nous permettre d'avoir moins de défauts sur ces 25 % et avoir normalement un peu plus de performance. Donc on va aller choisir cette stratégie-là. Et puis, la deuxième stratégie obligataire qu'on pousse, en tout cas en ce moment, c'est la partie Cigogne Management, qui est notre gestion alternative crédit à La Française, et pas que d’ailleurs, obligataire global, puisqu'il y a des obligations d'entreprise, mais il y a également des obligations d'État, convertibles, etc. Donc on va aller mixer tout ce qu'on peut retrouver sur l'obligataire, et aller chercher les anomalies de marché. Étant donné qu'il y a des tensions, comme le disait très bien Kevin, sur les dettes d'État, on va pouvoir essayer de trouver des solutions et des anomalies de marché sur un fonds type Cigogne Management.
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Quels sont les points d'attention, les secteurs à éviter ?
Une vigilance sur les valorisations et certains secteurs cycliques
KT : Alors, les points d'attention, on l'a dit, c'est les valorisations. On a parlé un peu de ça sur le marché du crédit. C'est vrai aussi sur le marché de la dette souveraine. Si on regarde par exemple ce fameux écart de rendement entre de la dette italienne et de la dette allemande, on est passé sous le 1 %, niveau qu'on n'avait pas vu depuis la crise européenne de 2010. Donc là aussi pour indiquer qu'on est sur des niveaux de valorisation qui sont relativement élevés. Donc ça veut dire que sur des secteurs qui sont très exposés à ces problématiques-là, il faut faire attention. On pense notamment à l'automobile. Pareillement sur le secteur de la chimie. Et enfin une bonne nouvelle, c'est que ces marchés du crédit, vous parliez d'inefficience, sont beaucoup moins bien couverts que les marchés d'actions.
Quand on fait de la gestion, de la sélection active d'obligations, on arrive quand même à construire des portefeuilles avec des rendements attractifs.
Pour finir, je crois qu'à La Française, vous restez à l'écart des émergents. Pourquoi ?
RG : Ça fait quand même quelques années où on estime que les émergents, c'est compliqué, aussi bien sur le crédit que sur les obligations d'État, parce que notamment c'est très lié au dollar, qu'il y a eu une grosse pression des Américains aussi sur tous ces secteurs-là, et donc nous, c'est vrai qu'on estime qu'aujourd'hui, on a plus de coûts à prendre que de rendement à aller chercher sur les zones émergentes.
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