Quelle trajectoire pour les marchés immobiliers européens ? Jean-François Chaury (Advenis REIM), Stéphane Rudzinski et Yann Defloraine
Qu'est-ce que représente Advenis Reim aujourd'hui ?
C'est une société de gestion immobilière qui diffuse, gère des SCPI notamment, une société civile également. Nous sommes spécialistes de l'épargne pan-européenne depuis une dizaine d'années, puisque 90 % de nos encours sur 1,5 Md sont investis hors France.
Bonjour Jean-François. Je commencerais avec une question d'ordre général.
J'aimerais savoir comment se porte le marché des SCPI dans le contexte actuel ?
En règle générale, les SCPI aujourd'hui souffrent un peu de la concurrence, notamment des produits de taux, ce qui a été le cas depuis 12 à 18 mois. Ç'est le premier point puisqu'il y a eu une concurrence avec la montée des taux de produits de court terme qui avaient une rémunération importante. L'autre point, c'est que l'immobilier a souffert de cette hausse de taux et donc nous avons vu quelques secteurs et quelques SCPI qui ont eu des baisses de prix de part. La collecte s'est aussi mécaniquement un peu déplacée vers d'autres classes d'actifs. Donc, en règle générale, nous sommes sur une décroissance et en tout cas sur une baisse de la collecte en général, avec à l'intérieur des mouvements. Certaines SCPI collectent plutôt bien, d'autres sur d'autres classes d'actifs collectent un peu moins, voire même au départ en attente de retrait. Nous sommes sur un marché que nous n'avions pas connu depuis 15, 20 ans, 30 ans peut-être.
Dans votre carrière, vous avez déjà vu ça ?
Dans les années 90, c'était au tout début de ma carrière.
Diriez-vous que c'est comparable avec ce qui se passe actuellement ? Parce que ça fait déjà un an, un an et demi, que nous nous disons que nous sommes en train de revivre les années 90.
Le contexte est complètement différent dans le sens où aujourd'hui, nous avons des véhicules beaucoup plus régulés, notamment par le régulateur l'AMF. Beaucoup plus de transparence sur les véhicules, beaucoup plus de contrôle et moins de conflits d'intérêts. Ce qui avait pas mal accéléré la chute de l'immobilier, notamment sur les SCPI dans les années 90, c'était qu'il y avait certaines sociétés ou grandes maisons qui mélangeaient un peu leurs intérêts personnels et les intérêts des clients. Aujourd'hui, je pense que c'est moins le cas.
Vous avez une exposition européenne par le biais d'Advenis sur vos différentes SCPI. J'aimerais savoir si la baisse des prix de l'immobilier est identique selon les zones géographiques et selon les différents compartiments de l'immobilier professionnel. Bureau, logistique, commerce, santé, etc.
Aujourd'hui, clairement, il y a différentes trajectoires. Si je prends depuis 2 ans, 2022, le début de la crise avec la remontée des taux, vous avez le UK qui, par exemple, a repricé très vite. Quand je dis repricé, c'est-à-dire que les prix ont été corrigés très rapidement. Nous appelons cela souvent du time-to-market dans la finance, mais c'est exactement pareil sur les pays anglo-saxons dans l'immobilier. Il y a eu des baisses assez rapides du marché de 20 à 25 %. L'Allemagne a suivi d'assez près avec des baisses un peu moins importantes parce que le contexte économique était différent. Et la France, par exemple, a un peu moins révisé en 2022. Il se trouve qu'aujourd'hui, c'est l'inverse qui se passe. Deux ans après, les chiffres sur le premier semestre montrent que la Grande-Bretagne est en train d'augmenter des volumes de manière très conséquente. L'Allemagne est à plus 30 % en termes de volume de transaction et la France est à moins 50 %. Donc, dans les marchés, tout le monde n'a pas réagi de la même manière et aussi rapidement. Et ensuite, il y a effectivement des classes d'actifs qui...
Du coup, sur les prix, il y a une nouvelle trajectoire qui se dessine ? Il y a l'augmentation des volumes ?
Sur les prix, en France, il y a toujours une dégradation. En tout cas, c'est le cas. Et Vincent l'évoquait tout à l'heure, il y a encore des corrections sur certaines SCPI qui sont principalement investies en France. Sur la Grande-Bretagne, aujourd'hui, il y a eu déjà eu une hausse des prix. Aujourd'hui, ce que nous achetons, nous ne l'achetons pas aussi bien que ce que nous pouvions acheter il y a 12 ou 18 mois. Donc, les rendements sont en train de baisser.
Les bonnes affaires sont terminées là ?
En Grande-Bretagne, en tout cas. Ce n'est pas le cas partout.
En Allemagne ?
En Allemagne, c'est un entre-deux. C'est plutôt une stagnation aujourd'hui et une baisse qui est un peu derrière nous. Et sur les classes d'actifs, c'est un peu la même chose.
Sur les classes d'actifs, le bureau, la logistique, le commerce, vous avez observé la même baisse ?
Oui, la logistique en Grande-Bretagne et en Allemagne. Aujourd'hui, elle est en train de reprendre. Les bureaux ont aussi baissé. Ça dépend aussi de ce qu'on appelle bureau et logistique. D'ailleurs, tout dépend aussi de la situation de l'emplacement. Nous revenons aussi sur savoir où est-ce que j'ai un bureau. Si vous prenez un bureau dans Paris ou au plein centre de Francfort ou à Munich ou à Londres, vous n'avez pas les mêmes rendements et les mêmes risques que si vous êtes en périphérie ou dans des villes secondaires. Il faut faire attention dans les classes d'actifs à bien savoir de quoi vous parlez et quelle typologie d'actifs. Mais oui, il y a eu des corrections plus rapides et il y a eu le télétravail qui a fait que le bureau a pris un petit peu plus de baisse que le reste. Mais que ce soit le commerce après Covid, que ce soit l'hôtellerie, il y a eu des baisses et aujourd'hui, avec des classes d'actifs qui ont plus, plus vite redémarré.
Advenis possède du patrimoine immobilier en France, en Allemagne et en Espagne. L'état du marché est-il comparable ? Ou bien vous observez des disparités en termes de rendement, d'attractivité, de demandes locatives ?
Nous avons une bonne partie de nos actifs en Allemagne. Nous avons vu que le marché allemand avait corrigé. Nous avons nous-mêmes corrigé le prix de la part de 6,8% au 1er janvier 2024 parce que le marché a baissé. C'est compliqué d'aller à la hausse quand tout un marché baisse. En tout cas, moi, je ne sais pas faire. Donc, effectivement, nous avons essayé de mesurer la baisse et de l'anticiper. La preuve en est c'est que notre valeur au fin juin, qui a été complètement réévaluée, est stable, à + 0,2. À priori, le prix était correct par rapport à nos évaluations et par rapport à nos anticipations de marché.
C'est-à-dire qu'il n'y aura plus de baisse de prix de part ?
Moi, je n'ai pas de boule de cristal. Et la situation géopolitique, de temps en temps, fait que je peux être un petit peu plus prudent sur ce qui peut se passer. Mais la baisse liée à la hausse des taux est plutôt derrière nous. La preuve en est, nous sommes plutôt dans une logique de baisse des taux en ce moment, ce qui pourrait donner un peu d'air à tout le marché immobilier.
Vous le ressentez déjà ?
Oui, tout à fait. Sur la tension avec les évaluateurs, avec les banques, qui sont déjà toutes en train de venir nous voir pour faire réactionner la planche à crédit. Et nous le voyons aussi sur la collecte. Nous commençons à avoir des prémisses d'élans de collecte sur le marché. Donc oui, nous le voyons. Je reviens sur votre question par rapport aux différentes places. Sur l'Espagne, nous avons aussi l'Europe du Sud. Nous avons aussi notre SCPI qui n'a pas baissé son prix de part depuis le début de l'année et sur laquelle il y a même une valeur de reconstitution qui est à + 3, 5 et qui a progressé à fin juin. Les marchés n'ont pas fonctionné de la même manière. La zone ibérique a beaucoup mieux résisté que d'autres zones en Europe, avec un PIB qui est à plus de 2 %, alors que tous les autres pays sont à zéro, voire proches du négatif. Donc, oui, les marchés n'ont pas subi les mêmes variations.
Vous dites que ça a commencé à redémarrer gentiment en Grande-Bretagne, sur les prix et sur les volumes. Sur le reste de l'Europe, les volumes repartent à la hausse. Diriez-vous que nous sommes à l'aube d'un nouveau cycle haussier sur l'immobilier professionnel ?
Sur la tendance, je pourrais dire oui. Après, je ne veux pas être trop optimiste. À l'intérieur même des classes d'actifs immobiliers, je pense qu'il y a certaines poches qui n'ont peut-être pas encore complètement nettoyé les problématiques de valorisation ou les problématiques de gestion.
Notamment en France ?
Notamment en France. Ça fait partie des éléments où je dirais que la crise n'est peut-être pas complètement finie partout. Par contre, oui, nous revoyons et nous commençons à être plus optimistes sur certaines catégories d'actifs, sur certaines classes d'actifs. Je prends le light industriel. On parle de réindustrialisation en Europe. Aujourd'hui, c'est vrai que d'acheter des "usines", avec un mixte production /bureaux, qui est le siège d'une entreprise avec des baux longs à 20 ans. Nous voyons qu'il y a une appétence et une vraie réalité économique. Sur l'hôtellerie aussi en Europe du Sud, avec l'Espagne qui explose ses records historiques de tourisme. Nous sommes aussi assez confiants sur la rentabilité de ce sous-jacent. Sur le bureau, il faut être un peu plus prudent.
Qu'est-ce qui n'a pas encore purgé ?
C'est compliqué parce que ça dépend plus de minis poches à l'intérieur.
Je pense qu'aujourd'hui..
Avec des actifs avec des taux de vacances à 15 % sur la deuxième couronne parisienne, est-ce que ça a vraiment purgé ?
La Défense, par exemple.
Si nous parlons " bureaux", je pense qu'aujourd'hui, des immeubles qui sont énergétiquement déficients, qui ont de la vacance, ont des problèmes structurels aujourd'hui, ont des problèmes de valorisation et de recherche de locataires.
C'est la seule raison ? L'inéfficience énergétique ? C'est l'emplacement aussi ?
L'emplacement de l'actif qui peut être loin d'un nœud de communication, loin d'un arrêt de métro, loin d'une gare, etc. Il y a les deux. Ces actifs-là ne sont pas ressortis encore de la crise. Par contre, à Paris, les mètres carrés n'ont jamais été loués aussi chers. Dans le triangle d'or, il y a un taux de vacances autour de 3 % dans le cœur de Paris. Donc ces bureaux-là n'ont pas de problème.
C'est peut-être l'exception qui confirme la règle.
Non, c'est pas non plus tout le marché. C'est très restreint. On revient après sur des fondamentaux de l'immobilier. Mais ce n'est pas qu'à Paris. À Londres aussi.
Dans les centres des grandes métropoles, il y a les mêmes taux de vacances.
Vous continuez à vous diversifier géographiquement. Vous faites votre entrée sur le marché portugais. Nous le connaissons peu en France.
Qu'est ce qui vous amène sur le marché portugais ? Quelles sont les perspectives de rendement ?
Le marché portugais nous intéresse depuis longtemps, mais il était très cher, puisqu'il y a eu une attractivité sur le marché portugais, notamment des investisseurs étrangers, que ce soit en résidentiel, en tourisme, hôtel et en industrie. Pour des raisons diverses et variées. C'est que le marché était à la traîne, était peu cher, aussi parce qu'ils ont ouvert les frontières à beaucoup d'étrangers pour venir s'installer. Là, ils sont en train de faire le chemin inverse en disant qu'ils veulent mettre le holà. C'est en train de se calmer un peu au niveau des prix. Et donc, les rendements redeviennent plutôt attractifs pour nous, sur des actifs de qualité. Ça reste un petit marché. Donc, nous allons plutôt à investir à Lisbonne et à Porto, qui sont des marchés un peu plus profonds. Donc, il faut faire attention aussi à la liquidité sur les marchés. C'est bien de diversifier. Et sur des zones avec une profondeur de marché très faible, il ne faut pas oublier qu'à un moment donné, si vous voulez vendre de l'actif, il va falloir que ça intéresse des investisseurs.
Une question importante.
Pouvez-vous nous rappeler comment sont valorisées les SCPI ?
Aujourd'hui et depuis le 5 juillet, avec une ordonnance qui est sortie, nous avons maintenant une obligation de valoriser deux fois par an les SCPI et non plus qu'une seule fois. Nous avons tous une obligation de faire évaluer l'intégralité de notre portefeuille au moins une fois par an, maintenant ça va être deux, par un expert indépendant externe. Donc nous allons retrouver des grands noms de l'expertise qui sont, je vais citer quelques noms, JLL, Savills, BNP Paribas et autres, CBRE, qui vont analyser l'intégralité du portefeuille immobilier sur des modèles de taux de capitalisation, sur des modèles comparables en fonction de la nature des biens immobiliers. Et nous, en tant que société de gestion, nous avons une évaluation interne qui valide aussi ces valeurs de l'expertise externe. Nous sommes censés tous le faire deux fois par an. Il nous a été vivement conseillé de le faire par l'autorité et le régulateur depuis quelques semaines et quelques mois. À partir de l'année prochaine, ce sera deux fois par an obligatoire pour tout le monde.
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