L’assurance-vie : vers un transfert plus large ? Ariel Nehmé, Evolve


Avec près de 1 900 milliards d’euros d’encours, l’assurance-vie est un pilier incontournable de l’épargne des Français (source 1). Pourtant, la question de la transférabilité des contrats reste une zone d’ombre malgré les avancées de la loi Pacte en 2019. Cette réforme, qui visait à moderniser le système, a introduit des mécanismes pour faciliter les transferts, mais ceux-ci demeurent limités, freinant la mobilité des épargnants et la concurrence entre assureurs.
Dans cet article, nous analyserons le cadre actuel des transferts, les obstacles à leur élargissement et les perspectives d’avenir.
Le cadre actuel du transfert d’une assurance-vie
Depuis la loi Pacte, il est possible de transférer son contrat d’assurance-vie tout en conservant son antériorité fiscale, mais cette faculté est limitée aux transferts internes, c’est-à-dire au sein du même assureur (source 2). Cela permet de bénéficier d’offres plus performantes, comme le passage d’un fonds en euros à des unités de compte, ou encore l’accès à des supports innovants comme le private equity ou les produits structurés.
Les avantages fiscaux liés à la durée de détention
L’une des particularités attractives de l’assurance-vie réside dans sa fiscalité avantageuse :
- Abattement fiscal après 8 ans : Les rachats partiels bénéficient d’un abattement annuel de 4 600 € pour une personne seule, et de 9 200 € pour un couple (source 3).
- Prise en compte de l’âge : Les versements effectués après 70 ans sont soumis à des règles spécifiques d’exonération successorale (jusqu’à 30 500 €) selon l’article 990I du Code Général des Impôts.
Cependant, toute rupture dans la continuité fiscale, comme la clôture d’un contrat pour en ouvrir un autre, entraîne une perte de ces avantages, d’où l’importance de la transférabilité.
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Les limites du cadre actuel : une transférabilité restreinte
Aujourd’hui, le transfert est strictement limité aux contrats d’un même assureur. Cela signifie qu’un épargnant insatisfait des frais de gestion ou de la performance de son contrat ne peut pas migrer vers un autre acteur sans perdre ses avantages fiscaux. Ce frein nuit à la concurrence et limite l’adaptabilité de l’épargne face aux nouveaux besoins, comme l’intégration de critères ESG (environnementaux, sociaux, gouvernance) ou des supports plus dynamiques (source 4).
Coûts et contraintes
Les frais de gestion, qui varient d’un assureur à l’autre, représentent un frein supplémentaire à la transférabilité. Selon des études, ces frais oscillent entre 0,5 % et 3 % par an en fonction des supports, pénalisant particulièrement les contrats contenant des unités de compte (source 5).
Une inégalité avec d’autres produits
Contrairement à l’assurance-vie, des produits comme le PER (Plan d’Épargne Retraite) ou le livret A offrent une souplesse accrue, notamment en termes de mobilité des fonds. Cela pose une question d’équité entre les dispositifs d’épargne (source 6).
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Les perspectives d’élargissement des transferts : Vers une transférabilité externe ?
Pour renforcer la compétitivité du marché, le Sénat a proposé d’étendre la transférabilité aux contrats inter-assureurs tout en conservant l’antériorité fiscale (source 7). Une telle réforme, si elle est bien encadrée, pourrait :
- Stimuler la concurrence entre les acteurs. L'ouverture du marché favoriserait l'arrivée de nouveaux assureurs ou de solutions numériques innovantes, diversifiant le paysage. Nous pourrions aussi assister à une intensité relationnelle plus forte entre l’assureur (son gestionnaire de clientèle) et le client.
- Permettre aux épargnants de réduire leurs frais de gestion. En effet, migrer vers des contrats plus compétitifs offrant de meilleurs rendements ou des frais de gestion moindres stimulerait la concurrence (ces frais oscillent entre 0,5 % et 3 % par an selon les supports).
Par analogie, la loi bancaire dite « Macron » de 2014 à tirer la tarification des banques vers le bas. L’émergence des acteurs en ligne sur la gestion d’un PEA a aussi favorisé la transparence de la tarification mais aussi l’émergence des ETF par exemple. - Accroître l’accès à des placements diversifiés, comme le private equity qui reste à démocratiser, les produits structurés ou des unités de compte plus performantes. Les critères (ESG, durabilité etc…) labels seraient certainement plus importants (Greenfin, ISR etc…).
L’importance d’un cadre régulé
Toute réforme doit s’accompagner de garde-fous pour éviter des dérives, telles que des frais de transfert excessifs. Une piste serait d’appliquer des règles similaires à celles encadrant le transfert du PER, avec un plafonnement des frais et une durée minimale de détention avant transfert (par exemple, 8 ans) (source 8).
Le rôle de l’amendement Fourgous
L’amendement Fourgous de 2005 a déjà démontré qu’il est possible de moderniser le système de façon ciblée. Il a permis de transformer des contrats en fonds en euros en contrats multisupports tout en conservant l’antériorité fiscale. Ce dispositif pourrait servir de base pour une extension future de la transférabilité (source 9).
Cas particulier : l’impact après 70 ans
Pour les épargnants âgés de plus de 70 ans, la question du transfert est particulièrement sensible. Les règles fiscales spécifiques aux versements après cet âge compliquent les changements de contrat, même lorsqu’ils sont avantageux. Une clarification législative pourrait faciliter ces démarches, tout en préservant l’équilibre fiscal (source 10).
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Et si nous allions voir au-delà de nos frontières ?
Au Royaume-Uni, les britanniques ont pris l’habitude, depuis plusieurs années, de s’adresser à des « brokers » (assimilés à des courtiers en France) .
Ceux-ci commercialisent des « Whole of Life Insurance Policies » (assimilés contrat multisupport en France), qui peuvent être transférés entre assureurs dans certaines conditions spécifiques.
Le transfert peut se faire par « Policy Assignment » (cession de police). Ce processus garantit que l’assuré conserve la même couverture, sans modification des bénéfices fiscaux liés à la durée de détention.
Aux États-Unis, l'assurance-vie universelle variable (Variable Universal Life Insurance, ou VUL) combine des éléments d'assurance décès avec des opportunités d'investissement, offrant ainsi une solution hybride entre protection et placement. Ces VUL sont transférables d'un assureur à un autre sans perte de l’antériorité fiscale grâce à la Section 1035 Exchange du code fiscal américain. Ainsi, pas de perte d’antériorité fiscale et pas d’imposition sur la plus-value.
Conclusion
La transférabilité des contrats d’assurance-vie est une problématique complexe mais essentielle pour dynamiser l’épargne en France. Bien que la loi Pacte ait amorcé des changements, l’absence de transferts inter-assureurs limite encore l’innovation et la concurrence. Une réforme bien encadrée, inspirée par des dispositifs existants comme l’amendement Fourgous, pourrait répondre aux attentes des épargnants tout en préservant les intérêts fiscaux de l’État. Les débats au Sénat et les pressions exercées par les acteurs du secteur permettront peut-être d’ouvrir cette voie dans les années à venir.
Par Ariel NEHME, Evolve
Sources :
1. FranceTV Info - "L’assurance-vie, un véhicule d’épargne indispensable en France"2. Ministère de l'Économie - "Loi Pacte : réformes entreprises"3. Service-public.fr - "Assurance-vie : Rachat partiel et abattement fiscal"4. Morningstar - "Les critères ESG en assurance-vie"5. MeilleurTaux - "Combien coûtent les frais de gestion en assurance-vie ?"6. Les Echos - "Plan d’Épargne Retraite : Les 6 grandes réformes pour 2024"7. Sénat - "Texte de la réforme de l'assurance-vie"8. Morningstar - "Quelles réformes pour le Plan d’Épargne Retraite en 2024 ?"9. Légifrance - "Amendement Fourgous : réformes liées à l'assurance-vie"10. Service-public.fr - "Assurance-vie : Fiscalité des versements après 70 ans"
Voir aussi : Graph du jour : collecte nette de l'assurance-vie
Lire aussi : Comment l’IA peut-elle contribuer au futur du secteur de l’assurance-vie
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