Réforme fiscale de l'assurance-vie 2025 : événement ou non-événement ?

Fiscalité
Christophe Tunica
reforme fiscale assurance vie

L’assurance-vie porte très mal son nom car on l’associe la plupart du temps au décès. Et pourtant… L'assurance vie, souvent qualifiée de "couteau suisse" du patrimoine, demeure l'un des outils les plus polyvalents et les plus avantageux pour les épargnants. Elle associe à la fois épargne, transmission et avantages fiscaux, répondant ainsi à une large gamme de besoins patrimoniaux.

Toutefois, le projet de loi de finances 2025 a failli remettre en question l’équilibre des 1920 milliards d’encours du placement préféré des Français : l’hémicycle a, en séance plénière, rejeté samedi une proposition de modification de son régime fiscal successoral adoptée la semaine précédente en Commission des finances. Cet amendement laissait alors présager un net durcissement en matière de fiscalité successorale de ce type de contrats. Ce placement, prisé pour sa flexibilité et ses bénéfices fiscaux, pouvait ainsi subir un "séisme" avec des conséquences majeures pour les épargnants.

Dans cet article, nous explorerons dans un premier temps la fiscalité actuelle de l’assurance vie, puis nous examinerons la réforme envisagée (et rejetée), car même si ce durcissement n’a pas été acté, ce débat illustre la volonté de nombreux parlementaires de réformer en la matière, ce qui pourrait peut-être ressurgir lors de prochains projets de loi de finances... Enfin, nous essaierons de réfléchir à des pistes de stratégies patrimoniales à envisager si ces changements avaient été adoptés.

Rappel de la fiscalité successorale actuelle de l’assurance-vie

La fiscalité en cas de décès dépend des articles 990 I et 757 B du CGI, selon l’âge auquel les primes ont été versées et le statut des bénéficiaires.

CGI. Art. 990 I (Primes versées avant 70 ans de l’assuré)

CGI. Art. 990 I
(Primes versées avant 70 ans de l'assuré)
Élément Montant / taux Modalités d'application
Assiette Valeur de rachat du contrat au décès nette de PS Montant à prendre net de prélèvement sociaux
Abattement 152 500 € Par bénéficiaire en PP
Par couple US/NP
Taxation 20% Fraction nette* < 700 000€
31,25% Fraction nette* > 700 000€
*Après application de l'abattement

CGI. Art. 757 B (Primes versées après 70 ans de l’assuré)

CGI. Art. 757 B
(Primes versées après 70 ans de l'assuré)
Élément Montant / taux Modalités d'application
Assiette Montant des primes versées Montant à prendre brut (avec les frais d'entrée)
Abattement 30 500 € Global (appliqué à l'ensemble des bénéficiaires)
Taxation DMTG* En fonction du degré de parenté entre l'assuré et le bénéficiaire.
*Droits de mutation à titre gratuit

Le projet de réforme 2025 : nouveaux taux d'imposition en assurance-vie ?

Le 13 octobre 2024, la Commission des Finances a soumis un amendement au projet de loi de finances pour 2025, visant à réformer la fiscalité applicable à l’assurance-vie, et notamment l'article 990 I du Code général des impôts précité. Cet amendement proposait une fiscalité plus progressive, calquée sur le barème des droits de mutation à titre gratuit de l’article 777 du CGI.

La nouvelle grille de taxation proposée

L'amendement, adopté puis rejeté, modifie le barème fiscal appliqué aux contrats d'assurance-vie après l’abattement de 152 500 Euros, en le rapprochant de celui utilisé pour les droits de succession en ligne directe. Voici les nouveaux seuils proposés en ligne directe :

• Jusqu’à 152 500 € : pas de fiscalité ;

• Jusqu’à 552 324 € : taux de 20 % ;

• Entre 552 324 € et 902 838 € : taux de 30 % ;

• Entre 902 838 € et 1 805 677 € : taux de 40 % ;

• Au-delà de 1 805 677 € : taux porté à 45 %.

L’application de cette grille tarifaire était envisagée pour être effective à compter du 1er janvier 2025. Selon les discussions les plus récentes – avant son rejet en plénière - la modification de l'article 990 I du CGI ne concernait que les contrats d'assurance-vie nouvellement souscrits ou les nouveaux versements effectués à partir de cette date.”

Les impacts pour les épargnants

Dans le cadre des contrats dont la valeur de rachat est inférieure à 552 324 euros par bénéficiaire, la situation restait inchangée.

Toutefois, au-delà de la perception générale, qui pouvait ne pas être particulièrement positive, il convient de garder une certaine objectivité et de souligner que :

• Les contrats dits "grand public" présentent un encours moyen de 19 424 euros et constituent la majeure partie des contrats ;

• Pour les contrats patrimoniaux, destinés à une clientèle plus aisée, l'encours moyen s'élève à 64 783 euros ;

• Enfin, les contrats de gestion privée, réservés à une clientèle fortunée, affichent un encours moyen de 194 464 euros.

Ces montants demeurent donc bien en deçà du seuil de 552 324 euros par bénéficiaire.

En conséquence, les épargnants "Monsieur et Madame Tout-le-Monde" n’étaient pas directement concernés et pouvaient continuer à bénéficier des avantages fiscaux associés à l’assurance-vie sur le plan successoral, sans être soumis à l’alourdissement envisagé.

Grâce à l'abattement de 152 500 euros par bénéficiaire pour les versements effectués avant 70 ans et à une taxation forfaitaire de 20 %, l’assurance-vie restait un instrument de choix pour protéger et transmettre son patrimoine dans un cadre fiscal avantageux.

C’est principalement pour les contrats d’un montant particulièrement élevé que cet amendement pouvait avoir des conséquences significatives. Si l’assurance-vie demeurait avantageuse en deçà des seuils fixés, notamment celui de 902 838 euros, au-delà de ce montant, l’augmentation du taux d’imposition à 40 % venait en réduire la compétitivité.

Dès lors, les épargnants les plus fortunés pouvaient être incités à reconsidérer leurs stratégies patrimoniales, en se tournant vers d’autres outils offrant des assiettes fiscales réduites.

Fort heureusement, samedi, face à une forte opposition du secteur de l'assurance et des épargnants, face aux craintes sur l'impact économique d'une telle mesure (près de 1 920 milliards d'euros d'encours), et enfin, face au risque de provoquer une décollecte massive (42% des ménages détienne un contrat), le rejet de cet amendement signifie que le régime fiscal actuel est maintenu.

Pour le moment…

Les mécanismes d’optimisation de l’assurance-vie envisagés

La multiplication des bénéficiaires

Une première option intéressante consiste, à réaménager les clauses bénéficiaires des gros contrats en place : pourquoi ne pas multiplier les bénéficiaires en restant dans le cadre de l’abattement et en envisageant une transmission transgénérationnelle ? Désigner non seulement ses enfants, mais aussi ses petits-enfants peut être une option qui n’est pas dénuée de sens civil.

Cette stratégie peut également être étendue autour aux transmissions infra - familiales : en désignant, par exemple, les frères et sœurs, neveux et nièces comme bénéficiaires, il est possible de multiplier encore davantage les abattements applicables, tout en allégeant significativement la pression fiscale sur l'ensemble du patrimoine transmis.

Le contrat de capitalisation : un levier stratégique pour la transmission patrimoniale

Le contrat de capitalisation apparaît ici comme une alternative solide face aux incertitudes fiscales liées aux projets de loi de finances à venir. Contrairement au contrat d’assurance-vie, le contrat de capitalisation offre, pour l’heure, une stabilité fiscale certaine et permet une transmission anticipée sans perturber la gestion des actifs. Il conserve son antériorité fiscale après transmission et protége les héritiers des aléas des marchés, en leur offrant la possibilité de gérer les actifs selon leurs besoins, sans contraintes immédiates.

Les stratégies de donation et d’optimisation de la transmission

Contrairement au contrat d’assurance-vie, l’organisation de la transmission via un contrat de capitalisation ne s’effectue pas de la même manière ni au même moment. L’assurance vie permet de léguer des liquidités aux bénéficiaires lors du décès du souscripteur assuré.

En revanche, le contrat de capitalisation peut être transmis de manière anticipée, de son vivant, ou après le décès, avec une particularité : le contrat peut continuer d’exister après le décès du souscripteur.  Les héritiers disposent alors de la possibilité de maintenir le contrat ou de procéder à des rachats partiels ou totaux.

Dans un contexte de marchés volatils, éviter une vente forcée des supports financiers devient un avantage stratégique pour la préservation et la valorisation du patrimoine, surtout pour les patrimoines importants.

De plus, la transmission entre vifs ou pour cause de mort permet de conserver l'antériorité fiscale du contrat tout en purgeant les plus-values latentes. Ainsi les plus-values réalisées avant la transmission sont purgées, et que les nouveaux détenteurs du contrat ne seront imposés que sur les gains générés à partir de leur détention.

Et ce n’est pas terminé : le contrat de capitalisation révèle tout son potentiel dans des stratégies patrimoniales avancées.

Transmission démembrée : une donation avec réserve d’usufruit

Il est également possible de procéder à une donation du contrat, bien sûr en pleine propriété, mais également en démembrement de propriété avec réserve d’usufruit.

Par acte notarié, la nue-propriété des contrats est donnée aux donataires – enfant(s) et/ou petit(s)-enfant(s), tandis que l’usufruitier, le donateur, continue de percevoir les revenus générés par le contrat. Ce dernier maintient alors son train de vie tout en anticipant la transmission à ses descendants.

Évidemment, l’assiette de droits de donation étant alors calculée sur la valorisation de la nue-propriété donnée, on voit tout l’intérêt tant civil que fiscal que cette stratégie revêt, l’usufruit s’éteignant avec le décès de son auteur et ne générant aucun droit de mutation à titre gratuit en vertu de l’article 1133 du CGI.

Cette approche requiert cependant certaines précautions, notamment la mise en place d'une convention de démembrement pour définir les droits et obligations de chacun en matière de rachats, d’avances, d’arbitrages, ainsi que les modalités de partage des revenus et capitaux retirés.

Il est presque certain que la flexibilité de gestion, combinée à la sécurité de la transmission, confèrera au contrat de capitalisation un intérêt renouvelé dans les prochains mois. L’utilisation d’une société civile translucide permettrait également de structurer une gouvernance familiale sur-mesure.

En conclusion :

En conclusion, la réforme introduite par l’amendement CF1807 pouvait modifier les seuils de taxation des contrats d’assurance vie, abaissant la fraction taxable à 20 % de près de 150 000 Euros.

Pour les patrimoines de « Monsieur & Madame Toulemonde », le contrat d’assurance-vie demeurait avantageux sur le plan fiscal, notamment grâce à l'abattement de 152 500 Euros et à la taxation forfaitaire de 20 %.

Toutefois, pour les patrimoines plus importants, cette nouvelle grille fiscale, avec un taux qui pourrait atteindre 40 % au-delà de 902 838 Euros, rendait le contrat d’assurance-vie moins attractif par rapport à d'autres véhicules de transmission.

Bien que l'amendement CF1807 ait été rejeté, la question de l'évolution de la fiscalité de l'assurance vie reste un sujet sensible et débattu, à surveiller dans les prochains mois, de sorte que les détenteurs de patrimoines conséquents seraient bien avisés d’anticiper et de consulter leurs conseillers en gestion de patrimoine pour réévaluer leurs stratégies patrimoniales et adapter et optimiser la stratégie de transmission de leurs actifs.

Par Christophe Tunica et Tom Marandeau, Axesscible

Voir aussi :

Graphique de la collecte de l'assurance-vie en septembre 2024

Evolution de collecte nette assurance-vie par type de support (2011 à 2023)

Lire aussi :

Nouveau Premier Ministre : conséquences et scénarios possibles pour le marché de l'immobilier

Pourquoi l'assurance-vie doit être le premier produit d'épargne à posséder ? 

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