La dette souveraine n’est plus un havre de paix : décryptage d’un bouleversement (Financière de l'Arc)

Des rendements à long terme à des niveaux records
Que se passe-t-il sur la partie longue des dettes souveraines des pays développés ? Le rendement à 30 ans du Royaume-Uni a atteint 5,75%, le 3 septembre, soit un plus haut depuis 1998. Celui de la France était le même jour à 4,52%, soit un record depuis 2011. Outre-Atlantique, la dette à 30 ans a plusieurs fois franchi cette année le seuil psychologique des 5%, du jamais vu depuis le début de la grande crise financière de 2008. Tout se passe comme si les créanciers réclamaient soudainement une prime de risque supplémentaire sur ces actifs financiers à long terme, qui étaient pourtant considérés dans le passé, parmi les moins risqués de leur catégorie.
Pourquoi une telle désaffection ? Ce mouvement est-il voué à durer ?
Une tension paradoxale en pleine phase d’assouplissement monétaire
Cette tension est surprenante à un moment où les banques centrales sont en phase d’assouplissement monétaire. Ainsi, la BCE a baissé ses taux directeurs de 2% depuis juin 2024 et reste ouverte à faire davantage selon les données économiques. La Fed, a réduit le loyer de l’argent de 1% entre septembre et décembre 2024 et a clairement laissé entendre, au symposium de Jackson Hole du 22 août, qu’elle reprendrait de nouvelles baisses dès le 17 septembre. La Banque d’Angleterre, vient de fixer les siens à 4%, le 7 août, soit une cinquième réduction depuis juin 2024. Par définition, ces institutions décident et contrôlent le niveau des taux sur le marché monétaire à court terme, c’est-à-dire d’une maturité d’un jour à moins d’un an. Historiquement, dans ces périodes d’assouplissement, ces décisions avaient un impact plus important sur toute la courbe des taux obligataires jusqu’à 10 ans, voir même au-delà sur 30 ans. Ce n’est plus le cas visiblement aujourd’hui, car l’impact se fait uniquement ressentir sur des maturités jusqu’à 5 ans. Ainsi le rendement des emprunts de l’État fédéral américain de 2 ans et de 5 ans se négocie actuellement autour de 3,59% et de 3,64%, contre des taux directeurs de la Fed à 4,50%.
La pentification de la courbe des taux
La conséquence de ce double phénomène de baisse des taux courts et de hausse des taux longs s’appelle une pentification de la courbe.
Celle-ci est traditionnellement mesurée avec deux indicateurs de référence, constitués pour le premier de l’écart des rendements entre le 10 ans et le 2 ans, et pour le second de celui entre les rendements de 30 ans et de 5 ans. Au Royaume-Uni, ces deux données se situaient, le 2 septembre à 82 et à 152 points de base (0,82% et 1,52%), soit au plus haut depuis 2018 et 2017. Tandis qu’aux États-Unis, ces écarts connurent un pic le même jour à 62 et à 122 points de base (0,62% et 1,22%),soit au plus haut depuis 2022 et 2021.
Lire aussi : La courbe des taux américaine devrait continuer à se pentifier
Endettement, inflation et bilans réduits : les causes de la hausse des taux longs
Résilience économique, endettement excessif, peur de l’inflation, réduction des bilans de banques centrales expliquent cette hausse des taux longs.
Ces niveaux de pentification ne sont pas inédits et sont historiquement le reflet d’une anticipation d’amélioration ou accélération de la croissance économique. Certes, l’économie mondiale a montré clairement au cours de ces derniers trimestres des signaux de résilience. Cependant, une forte accélération de celle-ci est loin d’être acquise, surtout quand l’emploi américain s’essouffle. Au même moment, les banques centrales réduisent la taille de leurs bilans. Ainsi, celui de la Fed est passé d’un pic de 8 965 milliards de dollars en avril 2022 à 6 600 milliards aujourd’hui. Il en est de même à la BCE pour des montants assez similaire en euros.
Le coupable est plutôt à chercher du côté de l’endettement excessif des États et de la peur de l’inflation.
Des ratios dette/PIB préoccupants
Aujourd’hui, rares sont les pays ayant un ratio de dette sur PIB inférieur à 100%. La Suisse, l’Australie et l’Allemagne, étant respectivement à 38%, à 44% et à 63% font figure d’exceptions. La trajectoire à terme de certains acteurs fait peur : plus de 20 points pour les États-Unis d’ici 2035, sans tenir compte de la dernière loi fiscale censée rajouter 4 100 milliards de dettes, selon les estimations du CBO (Congressional Budget Office). En Angleterre, Un rapport de septembre 2024 du « Office for Budget Responsability » évoque plus qu’un doublement de la dette sur PIB d’ici 50 ans, dans le cas d’un scénario noir, lié au changement climatique et au vieillissement de la population.
L’inflation et la baisse des taux courts comme remède
Pour s’en sortir, l’arme de l’inflation s’avère redoutable. Les revenus et les prix augmentent, mais la dette contractée reste fixe en valeur nominale. Dans le cas où les prix et les salaires doublent, une dette de 100 conserve toujours la même valeur faciale, mais son poids relatif diminue de moitié en proportion du PIB réel. Ainsi, la dette pèse relativement moins lourd dans l’économie.
L’histoire a démontré que ce n’est pas par l’austérité, mais par l’inflation que les Nations parviennent à alléger leur fardeau. Par exemple après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont vu leur ratio dette sur PIB passer de 119 % en 1946 à 92 % en 1948, en grande partie grâce à une inflation soutenue.
La baisse des taux courts fera baisser également la charge d’intérêts. Actuellement, plus de 20% de l’encours de la dette américaine a une maturité inférieure à 12 mois. La baisse des taux de la Fed fera ainsi baisser la facture en dollars, d’où la forte pression actuelle du gouvernement.
Les investisseurs ne sont pas dupes : quand les banques centrales ne sont plus indépendantes, ils réclament davantage de rendement et font monter le cours de l’or.
Par Arnaud BENOIST-VIDAL, gérant d’actifset Emmanuel COSTE, gérant et analyste financier & ESG, Financière de l'Arc
Extrait de La lettre hebdomadaire L'edito d'Arnaud et d'Emmanuel
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