Élections américaines 2024 : La Chambre des représentants, un enjeu plus crucial que la présidence ?

Analyses de marchés
Rémy Gicquel
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Les élections américaines : un système de gouvernance unique et complexe

Les fondements du système électoral américain

À la différence de la France, où l'élection présidentielle est directe, le président des États-Unis est élu par un procédé indirect : le Collège électoral. Ce système a été instauré lors de la rédaction de la Constitution américaine en 1787.

La mise en place du système fédéral

Les Pères fondateurs des États-Unis, tels que George Washington, Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, et James Madison, cherchaient à établir une démocratie qui préviendrait la concentration excessive du pouvoir. Inspirés, entre autres, par "De l'esprit des lois" de Montesquieu, ils ont opté pour un régime fondé sur la séparation des pouvoirs, aussi connu sous le nom de "Checks and Balances".

Le gouvernement fédéral qu'ils ont mis en place comprend trois branches aux pouvoirs équilibrés : l'exécutif, dirigé par le président ; le législatif, composé de deux chambres, la Chambre des représentants (Chambre basse) et le Sénat (Chambre haute) ; et le judiciaire, représenté par la Cour suprême.

Les origines d’un système fédéral unique

En 1787, les États-Unis étaient formés de 13 États, les colonies originelles qui s'étaient libérées du joug britannique. Les fondateurs voulaient un équilibre entre le pouvoir fédéral et les États, ainsi qu'entre les États les plus et les moins peuplés. Méfiants vis-à-vis des échecs de la démocratie directe, ils souhaitaient ajouter une étape supplémentaire dans l'élection présidentielle pour éviter qu'un candidat populaire mais peu convenable ne prenne le pouvoir.

La création du Collège électoral

Afin de garantir aux petits États, tels que Delaware, Rhode Island, Géorgie et New Hampshire, un poids significatif, le Collège électoral a été créé. Il a été décidé que chaque État élirait deux sénateurs pour six ans (chambre haute) et des représentants de la chambre basse, dont le nombre serait proportionnel à la population de l'État, pour deux ans. Chaque État se voyait attribuer au moins trois électeurs au Collège électoral.

Le rythme des élections du Congrès

Les élections pour le Congrès sont organisées tous les deux ans, avec un tiers des sièges du Sénat et la totalité des sièges de la Chambre des représentants remis en jeu, permettant ainsi une fréquente réévaluation des représentants politiques.

Le compromis des trois-cinquièmes

La représentation à la Chambre des représentants (Chambre basse) fut au cœur d'intenses débats entre les États esclavagistes du Sud et les États abolitionnistes du Nord. Pour résoudre ce différend, le compromis des trois-cinquièmes fut adopté, comptant trois-cinquièmes des esclaves dans la population totale pour la répartition des sièges.

L’évolution de la composition du Congrès

Le Collège électoral représente un compromis entre l'élection du chef de gouvernement par un vote parlementaire, comme au Royaume-Uni, et l'élection directe par les citoyens, à la manière française.

Les grands électeurs du Collège électoral reflètent la représentation du Congrès en nombre, mais ils ne sont pas eux-mêmes membres du Congrès. Ils sont généralement des personnalités politiques locales sélectionnées par les partis.

En 1790, le Congrès se composait de 26 sénateurs et 105 représentants de la Chambre basse. Aujourd'hui, il inclut 100 sénateurs et 435 représentants, plus trois grands électeurs pour le District de Columbia, portant le total du Collège électoral à 538 membres. Pour remporter la présidence, un candidat doit obtenir le soutien d'au moins 270 grands électeurs.

Évolution et modernisation du Collège électoral

La composition du Congrès, un système stable depuis la loi de 1911

Le système du Collège électoral, avec deux sénateurs par État, est demeuré inchangé. Cependant, la répartition des sièges de la Chambre des représentants a considérablement évolué depuis la ratification de la Constitution des États-Unis. Initialement, il était prévu qu'il y aurait un représentant pour chaque tranche de 30 000 habitants, selon le compromis des trois-cinquièmes.

Avec le temps, ces règles ont été modifiées. En particulier, l'« Apportionment Act » de 1911, qui s'appuyait sur les données démographiques de 1910, a fixé le nombre de membres de la Chambre des représentants à 435. Ce chiffre reste constant, mais la répartition des sièges continue de s'adapter aux changements démographiques de chaque État. Ainsi, les États du Sud, connaissant une croissance démographique, bénéficient d'une augmentation de leurs représentants. Par exemple, le Texas est passé de 32 représentants en 2000 à 38 aujourd'hui. À l'inverse, plusieurs États du Nord et du Midwest, où la croissance démographique est plus lente, voient leur nombre de représentants diminuer. L'État de New York, par exemple, est passé de 29 à 26 représentants au cours de la même période.

Le Collège électoral a démontré sa capacité à s'adapter et à perdurer, contribuant à la réputation des États-Unis en tant que plus ancienne démocratie encore en activité. Il a favorisé une stabilité politique, en grande partie grâce à la dominance du système bipartite, alternant entre le Parti démocrate et le Parti républicain.

Discordance croissante entre le vote populaire et le Collège électoral

Le Collège électoral, malgré ses avantages historiques, présente certains inconvénients de plus en plus prononcés, notamment une discordance croissante entre le vote populaire et le résultat électoral. Depuis l'adoption de la Constitution américaine, qui a vu la tenue de 59 élections présidentielles, il y a eu cinq instances (moins de 10 % des cas) où le président élu n'a pas remporté le vote populaire, notamment lors des élections controversées de 2000 et 2016.

Les tendances actuelles soulèvent des inquiétudes similaires. Les sondages et les sites de paris en ligne prédisent une possible victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle, malgré une avance de Kamala Harris dans le vote populaire. Si ces prévisions se confirment, ce serait la troisième fois que ce phénomène se produit sur les sept dernières élections, représentant plus de 40 % des cas, un taux nettement supérieur à celui du siècle précédent. En effet, au cours des années 1900, aucun président n'a été élu sans avoir remporté le vote populaire. Cette évolution marque une distorsion significative entre la volonté directe des électeurs et l'issue finale des élections, soulevant des questions sur la représentativité et l'équité du système électoral actuel.

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Lire aussi : compilation des sondages Trump/Harris 2023 à oct 2024

Le rôle des « swing states » dans une Amérique polarisée

La polarisation politique et géographique croissante aux États-Unis a exacerbé les discordances entre le vote populaire et le résultat des Collèges électoraux. Pour l'élection présidentielle de 2024, il est prévu que le résultat dépende principalement de sept États pivots, ou « swing states ». Les autres États, profondément polarisés, semblent figés dans leurs affiliations partisanes.

Ces États pivots — Pennsylvanie avec 19 grands électeurs, Géorgie avec 16, Caroline du Nord avec 16, Michigan avec 15, Arizona avec 11, Wisconsin avec 10, et Nevada avec 6 — totalisent 93 grands électeurs, soit 17 % de l'ensemble. Ils sont déterminants puisque presque un cinquième de la population votante américaine, résidant dans ces États, aura un impact disproportionné sur l'élection du prochain président américain.

Malgré la croissance de cette discordance entre le vote populaire et le résultat électoral, la participation aux élections présidentielles ne décroît pas. Depuis les années 70 jusqu'au début des années 2000, le taux de participation oscillait autour de 55 %. Ce chiffre a grimpé à environ 60 % ces dernières années, atteignant un pic de 66 % en 2020, une année marquée par la pandémie. Cette hausse récente de la participation électorale est attribuable à l'élargissement de l'accès au vote par correspondance, qui a représenté 42 % des 158 millions de votants en 2020, contre 23 % en 2016. La pandémie a contraint de nombreux États initialement réticents à assouplir les règles du vote par correspondance, contribuant ainsi à une mobilisation électorale sans précédent.

Dette : la fuite en avant des candidats à la présidentielle américaine

Les deux principaux candidats à la présidence américaine ne proposent pas de solutions pour réduire le déficit budgétaire. Au contraire, leurs politiques pourraient l'aggraver. L'ancien président préconise de prolonger les baisses d'impôts mises en place durant son mandat (Tax Cuts and Jobs Act - TCJA de 2017), prévues à l'origine pour expirer en 2025. Il envisage également d'augmenter les tarifs douaniers, avec une taxe de 60 % sur les produits importés de Chine et une taxe de 10 % à 20 % sur les produits provenant d'autres pays. De plus, il propose d'éliminer les impôts sur les prestations de sécurité sociale et de baisser le taux d'impôt sur les sociétés de 21 % à 15 %.

De son côté, Kamala Harris mise sur une augmentation des impôts pour les plus aisés, en envisageant l'expiration anticipée du TCJA pour les ménages gagnant plus de 400 000 dollars annuels. Elle propose aussi de relever l'impôt sur les sociétés de 21 % à 28 %. Comme son adversaire, ses propositions incluent également un budget déficitaire, élargissant certains crédits d'impôt pour la petite enfance et un meilleur accès à la santé.

Depuis la crise des subprimes jusqu’au début de la pandémie, le déficit budgétaire des États-Unis se maintenait généralement entre 3 % et 4 %. Depuis, il a explosé à 15 % en 2020, puis s'est progressivement réduit à 6,4 % prévu pour 2024, restant toujours trop élevé pour une période de plein emploi (4,1 % de taux de chômage en septembre). Le ratio dette/PIB a grimpé de 106 % en 2019 à 124 % en 2024, contrastant avec environ 88 % pour l'Union européenne (dont 112% pour la France), 90 % en Chine, et 252 % au Japon.

Ces données mettent en lumière une tendance inquiétante : malgré les discours optimistes, un retour à une orthodoxie budgétaire plus rigoureuse semble inévitable pour les États-Unis.

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Les marchés financiers et les paris en ligne sont à l’unisson

A la rédaction de cet article, les sondages indiquent une course présidentielle serrée, tandis que les sites de paris en ligne prédisent nettement une victoire de Donald Trump.

Depuis le début du mois d'octobre, les marchés financiers ont largement suivi ces prévisions, comme en témoigne l'augmentation du rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans de 3,75 % à 4,25 %. Le dollar s'est renforcé face à l'euro, passant de 1,11 à 1,08, tandis que l'indice S&P 500 a progressé de 2 %. L'or, quant à lui, a vu son prix augmenter de 4 %.

Une administration sous Donald Trump est perçue comme potentiellement plus inflationniste qu'une sous Kamala Harris. En conséquence, la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait ralentir la réduction de ses taux d'intérêt. Cette perspective semble être prise en compte par les marchés, influençant les taux obligataires, le taux de change du dollar, les indices boursiers américains et le prix de l'or.

Bien que les marchés financiers semblent avoir anticipé une victoire de Trump, un Congrès divisé pourrait limiter sa capacité d'action, comme observé lors de la seconde partie de son premier mandat. En effet, avec la séparation des pouvoirs établie par les Pères fondateurs, le président doit obtenir le soutien des deux chambres du Congrès pour mener à bien son programme, notamment en matière de fiscalité et de dépenses. En cas de division du Congrès, le président doit souvent recourir à des décrets présidentiels, qui ont une portée plus restreinte et peuvent être contestés en justice.

Les prévisions actuelles des sites de paris en ligne et des sondages récents suggèrent un basculement du Sénat vers le parti républicain. Quant à la Chambre des représentants, actuellement sous contrôle républicain avec une majorité étroite de 220 sièges, l'issue demeure incertaine. Tous les 435 sièges sont en jeu tous les deux ans, et selon le New York Times du 25 octobre 2024, 25 sièges sont particulièrement indécis, notamment en Californie, en Pennsylvanie, en Iowa, en Arizona, au Michigan, et dans l'État de New York.

Allan Lichtman aura-t-il encore raison ?

En dépit de la remontée de Donald Trump dans les sondages et de son avantage apparent sur les sites de paris en ligne, Allan Lichtman, un historien et universitaire américain de 77 ans, persiste à prédire la victoire de Kamala Harris. Renommé pour son impressionnant bilan, Lichtman a correctement prédit le résultat de chaque élection présidentielle américaine depuis 1984, à l'exception de celle de 2000 entre Bush et Gore. Cette élection fut exceptionnellement serrée, se concluant par une victoire de Bush après un recomptage controversé en Floride et une décision cruciale de la Cour suprême, par un vote de 5 contre 4, octroyant à Bush les 271 grands électeurs nécessaires pour remporter la présidence.

L'approche de Lichtman repose sur un ensemble de 13 questions binaires (vrai ou faux) qu'il a conçus pour évaluer la viabilité d'une campagne présidentielle. Si au moins huit de ces critères sont remplis, le candidat du parti au pouvoir est censé gagner l'élection suivante. Selon l'analyse de Lichtman pour l'élection de 2024, les conditions favoriseraient Kamala Harris, suggérant une issue contraire aux tendances actuelles des sondages et des paris en ligne.

Les marchés ne favorisent aucun parti

Historiquement, l'issue des élections présidentielles américaines a généralement un impact modéré à long terme sur les marchés financiers. Grâce à la stabilité institutionnelle établie par les Pères fondateurs, les dynamiques économiques continuent de fonctionner de manière ininterrompue, indépendamment de l'occupant de la Maison-Blanche. L'essor de la révolution digitale, initiée aux États-Unis à la fin des années 90, devrait non seulement persister mais potentiellement s'accélérer avec les progrès en intelligence artificielle. Les systèmes éducatifs et financiers qui encouragent la prise de risque et l'innovation demeureront en place après cette élection.

En général, le président des États-Unis a une influence relativement marginale et indirecte sur l'économie du pays. Il n'y a pas de corrélation directe et forte entre la performance des marchés boursiers et le parti politique au pouvoir. Le Congrès et la Réserve fédérale des États-Unis (Fed), qui régulent respectivement les aspects législatifs et la politique monétaire, ont une influence bien plus significative sur l'économie.

Impact potentiel des résultats du 5 novembre sur les marchés financiers

Pour l'élection du 5 novembre, trois scénarios principaux se profilent :

1. Victoire de Kamala Harris avec un Congrès divisé ;

2. Victoire de Donald Trump avec un Congrès divisé ;

3. Victoire de Donald Trump avec un Congrès entièrement républicain ou « Republican sweep », un scénario favorisé par les sites de paris en ligne.

À court terme, les réactions des marchés peuvent varier selon le scénario qui se concrétisera. Dans les deux premiers cas, où le Congrès resterait divisé comme depuis les élections de mi-mandat de 2022, l'impasse politique limiterait la capacité à promulguer de nouvelles lois ou réformes. Historiquement, les marchés financiers réagissent souvent positivement à cette stabilité politique, perçue comme un gage de continuité. Cependant, il est possible que l'on observe, à court terme, un retournement des tendances de marché observées en octobre.

En revanche, le troisième scénario, avec une victoire de Donald Trump accompagnée d'un contrôle républicain des deux chambres du Congrès, est plus imprévisible. Cette hégémonie républicaine des trois branches du gouvernement (exécutif, législatif et judiciaire) pourrait entraîner des changements significatifs.

Historiquement, la domination d’un parti sur les trois branches du gouvernement n’a été observée seulement cinq fois depuis la Seconde Guerre mondiale, sous les présidences de Harry Truman, Jimmy Carter, Bill Clinton, George W. Bush, et Barack Obama. Ces périodes ont été marquées par des initiatives majeures telles que la création de l'OTAN, les accords de Camp David, l'ALENA, les guerres en Irak et en Afghanistan, ainsi que les réformes de l'Obamacare et Dodd-Frank.

Certaines inquiétudes se manifestent quant au potentiel d’un pouvoir autoritaire sous une nouvelle présidence de Donald Trump, surtout si le Congrès est majoritairement républicain. Des avertissements ont été formulés par d'anciens membres de sa précédente administration concernant les risques associés à l'établissement d'un pouvoir absolu et sans limites (« absolute, unchecked power »). En contraste, des figures comme Elon Musk et d'autres entrepreneurs milliardaires soutiennent que, avec l'appui du Congrès, Trump pourrait mettre en œuvre une vraie politique pro-business, avec moins de réglementations et de taxes, favorisant ainsi l'innovation et la croissance économique.

Dans ce troisième scénario, on pourrait tout aussi bien assister à un mini-crack obligataire similaire à ceux de fin 2018 ou de l'automne 2023, ou à la poursuite du marché haussier qui a vu le S&P 500 progresser de plus de 60 % au cours des deux dernières années.

L'élection de la Chambre des représentants, un tournant décisif

Le matin du 6 novembre en France, alors que le monde découvrira le nom du nouveau président américain, les marchés financiers seront particulièrement attentifs au résultat des élections de la Chambre des représentants. En l'absence d'un Congrès unifié, il sera complexe pour le président élu d'exercer une influence marquée sur l'économie américaine.

Dans l'éventualité d'une volatilité des marchés à la suite des élections, cette période représenterait une opportunité idéale pour rééquilibrer les portefeuilles d'investissement afin de les maintenir aligner avec les allocations cibles souhaitées par les clients.

Par Rémy Gicquel, CFA

Sources :

https://www.reuters.com/markets/us/us-budget-deficit-tops-18-trillion-fiscal-2024-third-largest-record-2024-10-18/
https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2024/10/allan-lichtman-election-win/680258/
https://www.nytimes.com/interactive/2024/us/elections/house-election-swing-districts.html
https://www.nytimes.com/2024/10/25/us/politics/trump-officials-letter-fascist-john-kelly.html

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