À la croisée des chemins : marchés, banques centrales et portefeuilles sous tension (Ofi Invest AM)

À la croisée des chemins
Les marchés enjambent la montée d’inflation à court terme
Lors du « Libération Day »(1), Donald Trump a mis en œuvre sa promesse de campagne la plus emblématique : instaurer des droits de douane avec presque la totalité des pays de la planète. La zone Euro, prise dans son ensemble, supporte 20 % de tarifs supplémentaires et la Chine 34 % (en plus de ceux déjà prononcés). Si la méthodologie de calcul est, a minima, questionnable, les résultats ont surpris les marchés par leur ampleur. Les bourses américaines abandonnent presque 15 %, l’Europe retrace ses gains depuis le début de l’année et les taux d’intérêts souverains baissent significativement. Les marchés enjambent la montée d’inflation à court terme, issue des hausses de droits de douane, pour anticiper dès à présent un risque de récession à l’échelle mondiale.
(1) Le Jour de la Libération, terme utilisé par Donald Trump pour nommer le 2 avril 2025, journée de l’annonce des nouvelles mesures tarifaires importantes.
Le risque de basculement dans un scénario noir pour l'économie mondiale est élevé
Face au risque de représailles (la Chine a d’ores et déjà annoncé un relèvement de ses tarifs de 34 % également), le risque de basculement dans un scénario noir pour l’économie mondiale est élevé. Toutefois, nous pensons que l’administration américaine partira de ce point de départ pour entamer des cycles de négociations plus larges avec l’ensemble des pays touchés aboutissant à des compromis plus gérables. Le risque d’un durcissement de Donald Trump n’est pas à exclure, mais une forte baisse de la bourse américaine accompagnée d’une récession aux États-Unis ne servirait pas son électorat avant des élections de mi-mandat. Les perspectives de baisses d’impôts prévues aux États-Unis, les plans de relance en Europe et en Chine pourraient alors redonner des couleurs aux marchés.
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Une accélération de l'assouplissement monétaire en cas de récession ?
Les banques centrales qui s’acheminaient vers la fin de leur cycle de baisse de taux avec deux baisses supplémentaires attendues de part et d’autre de l’Atlantique, pourraient être amenées en cas de risque de récession à accélérer leur assouplissement monétaire. L’inflation n’étant pas issue de pénuries mais de chocs de tarifs a priori temporaires. Il faudra toutefois surveiller dans ce scénario les impacts liés à la désorganisation du commerce mondial.
La période qui d'ouvre sera très volatile sur les marchés actions
Coté taux d’intérêt, le mouvement à la baisse a été très rapide, nous conduisant à prendre des profits sur une partie de la surpondération. Cette position reste toutefois une bonne couverture en cas de matérialisation du scénario de récession. Sur le marché du crédit, nous abaissons les curseurs à la neutralité sur le crédit spéculatif à haut rendement dans cet environnement de faible visibilité. La période qui s’ouvre sera très volatile sur les marchés actions, au gré des déclarations des différents gouvernements. De nouvelles baisses pourront être mises à profit pour se renforcer sur les marchés actions dans le cas où des négociations s’ouvrent pour aboutir à des accords raisonnables. Néanmoins, en cas d’escalade vers une guerre commerciale, les indices pourraient encore nettement chuter, les protections en portefeuille sont donc toujours d’actualité.
Les craintes d’une guerre commerciale se sont concrétisées avec les décisions de Donald Trump
Des droits de douane de 10 % sur toutes les importations américaines seront appliqués et des taxes supplémentaires seront imposées à une soixantaine de pays. Les droits de douane s’élèveront par exemple à 20 % pour l’Union européenne. Ces tarifs douaniers seront-ils durables ? À notre avis, il y aura des négociations, mais ce point est essentiel pour déterminer l’impact final, tout comme la question de savoir si les pays vont riposter ou non. Nous avions estimé, avant l’élection(1), qu’un scénario de protectionnisme sévère avec des droits de douane généralisés de 10 % entraînerait une baisse cumulée d’environ 1 % du PIB entre 2025-2026. Toutefois, comme les droits de douane additionnels moyens sur les importations américaines sont proches de 20/25 %, il faudrait doubler cet effet. Si les mesures protectionnistes venaient à durer, la croissance américaine cette année pourrait être plus proche de 1 % que des 2 % estimés. Cet effet baissier est dû au choc de confiance et surtout à la perte de pouvoir d’achat générée par la hausse des prix. En tenant compte des taxes annoncées, l’inflation supplémentaire temporaire serait de 2 %/2,5 % (sans représailles et avec une transmission complète des hausses sur les prix finaux) même si, à moyen terme, les droits de douane sont plutôt désinflationnistes.
Par Éric BERTRAND, Directeur Général Délégué, Directeur des gestions, Ofi Invest AM
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Les jeux sont faits ?
Depuis le début de l’année, les ménages commencent à épargner davantage en raison des niveaux élevés d’incertitude
Les entreprises sont aussi préoccupées, ce qui pourrait peser sur leurs décisions d’investissement. Parallèlement, bien que l’objectif principal des droits de douane soit de réduire la balance commerciale américaine, nous observons pour l’instant l’effet inverse. Les entreprises ont préféré importer massivement avant l’imposition des droits de douane, ce qui a contribué à l’effondrement du solde du commerce extérieur. Tous ces éléments pèseront sur la croissance américaine du premier trimestre, qui devrait subir un fort contrecoup par rapport à la fin de l’année précédente.
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La Fed devrait décider d’attendre encore avant de baisser les taux
En même temps, l’inflation mesurée par le déflateur de la consommation montre une forte inertie et reste stable à 2,5 % en février (le sous-jacent augmente de 2,7 % à 2,8 %). La Fed devrait décider d’attendre encore avant de baisser les taux, le temps d’y voir plus clair sur l’incertitude actuelle, mais pourrait encore baisser les taux cette année si le marché du travail se dégrade.
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La croissance en zone euro entre protectionnisme et plans de relance
À court terme, la croissance devrait subir l’impact négatif du protectionnisme. Nous estimons que 10 % de droits de douane pourraient faire baisser le PIB de la zone d’environ 0,5 point entre cette année et l’an prochain, en tenant compte également du choc de confiance. Si 20 % des tarifs douaniers sont durables, l’effet serait presque doublé et la zone Euro stagnerait cette année. En cas de représailles, l’inflation européenne pourrait aussi augmenter, mais dans une moindre mesure par rapport aux États-Unis.
Toutefois à moyen terme, le plan d’infrastructures allemand de 500 milliards d’euros aurait une impulsion sur la croissance allemande de 0,3 à 0,4 point de PIB chaque année en 2026, 2027 et 2028, soit de 0,1 à 0,15 point sur cette période en zone Euro. Concernant les dépenses militaires en Allemagne et sous l’hypothèse d’un déploiement progressif au niveau européen du plan de la Commission européenne, l’impulsion sur le PIB européen serait de 0,15 point chaque année en 2026, 2027 et 2028.
Dans notre scénario initial, nous intégrions 10 % de tarifs douaniers imposés à l’UE et nous avions révisé à la baisse les prévisions de croissance cette année (de 1 % à 0,7 % en moyenne annuelle), mais cette baisse était compensée par la révision à la hausse de la croissance prévue en 2026, qui passerait de 1,1 % à 1,4 %. Si le 20 % de tarifs douaniers devait durer, le risque serait baissier pour notre estimation pour 2025 et 2026.
Combien de baisses encore sur les taux directeurs euro ?
L’inflation en zone Euro est sur une trajectoire de retour à sa cible courant 2025. L’inflation totale en mars est bien orientée (baisse de 2,3 % à 2,2 %) et l’inflation des services commence à se modérer en lien probablement avec la détente des salaires. La BCE, dans sa décision, doit tenir compte à la fois des effets du protectionnisme et des plans de relances, et la divergence habituelle entre « Colombes » et « Faucons » avait commencé à réapparaître avant les annonces des tarifs douaniers. Néanmoins, il y a encore de l’espace pour baisser les taux avant de rentrer en territoire accommodant.
Par Ombretta SIGNORI, Directrice de la Recherche Macroéconomique et Stratégie, Ofi Invest AM
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