Fin des voitures thermiques : l’Union européenne face au dilemme industriel

Ce mardi 16 décembre, la Commission européenne est attendue sur un dossier devenu hautement politique et industriel : l’avenir de l’interdiction des ventes de voitures thermiques neuves à horizon 2035. Officiellement, l’objectif demeure la neutralité carbone en 2050. Dans les faits, Bruxelles semble prête à infléchir sa trajectoire afin d’éviter un choc industriel majeur pour la filière automobile européenne.
Initialement prévue le 10 décembre, la révision du règlement sur les normes d’émission de CO2 des véhicules particuliers et utilitaires légers a été reportée de quelques jours, signe des tensions persistantes entre États membres, industriels et institutions européennes. Cette clause de réexamen, initialement fixée à 2026, avait été avancée à fin 2025 afin de tenir compte des difficultés rencontrées par le secteur automobile dans sa transition vers le tout-électrique.
Un assouplissement ciblé de l’objectif 2035 à l’étude
Selon plusieurs sources concordantes, l’Union européenne pourrait annoncer un maintien de l’objectif climatique global tout en modifiant ses modalités d’application. L’hypothèse la plus avancée serait l’abandon du principe du zéro émission stricte au profit d’un objectif de réduction de 90 % des émissions de CO2 des flottes automobiles en 2035.
Cette évolution répondrait aux demandes insistantes de pays comme l’Allemagne, l’Italie ou la Pologne, défenseurs de la neutralité technologique. Ces États plaident pour la reconnaissance de solutions alternatives aux véhicules 100 % électriques, telles que les hybrides rechargeables, les véhicules électriques à prolongateur d’autonomie, les biocarburants ou encore les carburants synthétiques.
La pression politique s’est intensifiée à la fin du mois de novembre, lorsque Friedrich Merz a adressé une lettre à Ursula von der Leyen, appelant à un réexamen rapide et pragmatique du calendrier européen. Pour Manfred Weber, chef de file du PPE au Parlement européen, cette souplesse serait également un moyen de désamorcer une partie de la contestation politique autour du Pacte vert.
Une industrie automobile européenne sous tension extrême
Derrière les débats réglementaires se cache une crise industrielle profonde. Les constructeurs européens font face à des ventes durablement atones, à des marges sous pression et à une concurrence chinoise de plus en plus agressive. Des acteurs comme BYD ou SAIC bénéficient d’une intégration verticale complète et de subventions massives, leur permettant de proposer des véhicules électriques à des coûts inférieurs de près de 30 % à ceux des modèles européens.
L’échec du projet Northvolt, présenté comme un futur champion européen de la batterie, a renforcé le sentiment d’urgence. Il a mis en lumière la difficulté de bâtir une filière industrielle compétitive sans soutien public massif. Dans ce contexte, plusieurs responsables européens n’hésitent plus à évoquer un risque de désindustrialisation comparable à celui qu’a connu l’Europe dans le secteur des panneaux solaires.
Le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, a lui-même qualifié la situation de danger existentiel pour une filière qui représente plus de 13 millions d’emplois directs et indirects sur le continent.
Vers un plan de soutien industriel de grande ampleur
Au-delà de l’objectif 2035, la Commission devrait dévoiler un ensemble de mesures destinées à soutenir l’ensemble de la chaîne de valeur automobile. En toile de fond, un projet de fonds de souveraineté européen, inspiré à la fois du plan de relance post-2008 et de l’Inflation Reduction Act américain, est à l’étude.
Ce dispositif viserait à concentrer les aides publiques sur l’industrialisation concrète, la production de batteries, les infrastructures et l’implantation d’usines sur le sol européen. L’harmonisation des aides à l’achat figure également parmi les pistes privilégiées. Le modèle français du bonus écologique conditionné, basé sur un score carbone intégrant la fabrication et le transport, pourrait être étendu à l’échelle européenne afin d’exclure de facto les véhicules importés de Chine des dispositifs de soutien.
La Commission doit également présenter des mesures spécifiques en faveur du verdissement des flottes professionnelles, qui représentent environ 60 % des ventes de voitures neuves en Europe, ainsi qu’un plan pour encourager le développement de petits véhicules électriques à des prix plus abordables.
Un équilibre délicat entre climat, industrie et compétitivité
Ces annonces ne font pas l’unanimité. La France et l’Espagne appellent à limiter au maximum les concessions afin de ne pas fragiliser les investissements déjà engagés dans le tout-électrique et la filière batterie européenne. À l’inverse, les ONG environnementales alertent sur le risque stratégique d’un ralentissement de l’électrification, qui pourrait accentuer le retard européen face à l’Asie.
Pour l’ACEA, l’association des constructeurs automobiles européens, les mesures attendues ne relèvent pas du confort mais de la survie économique du secteur. À l’opposé, Transport & Environment estime qu’un recul sur l’objectif 2035 affaiblirait durablement la compétitivité européenne.
Quelles que soient les décisions annoncées ce mardi, une chose semble acquise : la fin des voitures thermiques en Europe ne sera plus un chemin linéaire. La Commission tente désormais de concilier ambition climatique, réalisme industriel et souveraineté économique, dans un contexte géopolitique et concurrentiel de plus en plus tendu.
Sources : Auto Plus, TV5 Monde, Reuters
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