BCE : le grand flou (Ecofi)

Analyses de marchés

La semaine dernière, la BCE a décidé d’abaisser ses taux directeurs de 0,25% pour la sixième fois depuis juin 2024. Cette décision s’inscrit dans un environnement pour le moins mouvant, si ce n’est chahuté. Au-delà de l’incertitude habituelle, d’autres paramètres sont venus se greffer à l’équation. La politique commerciale menée par D. Trump, la guerre en Ukraine, les plans de défense annoncés en Allemagne et plus généralement la volonté de l’Europe en faveur d’une plus grande autonomie stratégique. La donne a-t-elle changé pour la BCE ?

La BCE a donc baissé ses taux de 0,25% le 6 mars dernier, portant ainsi le taux de facilité de dépôt à 2,50%. Dans ses nouvelles prévisions, l’institution s’attend désormais à moins de croissance et un tout petit peu plus d’inflation, sans pour autant que cela ne modifie le scénario d’une convergence progressive vers 2%. Toute la subtilité s’est cette fois-ci concentrée dans la syntaxe employée au sein du communiqué de presse, et sur une phrase en particulier. Les éléments de langage concernant le degré de restriction de la politique monétaire ont, en effet, été édulcorés. Ainsi, et sans pour autant l’acter, la BCE semble vouloir nous indiquer que la fin des baisses de taux approche à mesure qu’elle s’achemine vers ce qu’elle estime être le taux qui ne stimule ni ne refroidit l’économie. Compte tenu des évolutions actuelles du monde, ces prévisions semblent pourtant déjà presque obsolètes, ce qui risque de rendre la BCE encore plus « dépendante aux données ». Avant de détailler les grands bouleversements (géo)politiques et économiques de ces dernières semaines, prenons le temps d’analyser la dynamique de l’inflation.

Il y a encore quelques mois, la principale crainte des autorités était celle de voir émerger une boucle « prix-salaires » en zone Euro. Autrement dit, que les pressions inflationnistes s’auto-alimentent. Si les salaires ont effectivement fortement augmenté, leur allure s’est ensuite sensiblement infléchie. Que l’on examine les rémunérations au sein des comptes nationaux ou bien les salaires négociés recensés jusqu’ici, chacun de ces indicateurs – publiés trimestriellement – met en évidence une modération salariale qui a débuté mi-2023. D’autres métriques, que l’on pourrait qualifier d’alternatives, appuient ce phénomène, à l’instar de l’évolution des salaires sur le site d’offres d’emplois en ligne Indeed dont la particularité est d’être publié à une fréquence mensuelle. Mentionnons également l’ECB wage tracker qui a pour objectif de comptabiliser les négociations salariales à horizon fin d’année. Si le panel des entreprises représentées décroît à mesure de l’éloignement de l’horizon temporel, il n’en demeure pas moins que d’ici fin 2025, un franc ralentissement de la progression salariale est à anticiper. L’inflation dans les services, directement influencée (avec retard) par les rémunérations des employés de ce secteur, devrait baisser dans les prochains mois. Cela a d’ailleurs déjà débuté, puisqu’au mois de février elle est passée de 3,9% à 3,7% sur un an, après plusieurs mois de stagnation. Si l’on combine à ce phénomène la baisse récente des prix de l’énergie, tout porte à croire que la désinflation devrait se poursuivre.

Les plans de défense annoncés la semaine dernière et, plus généralement, la volonté de plus en plus forte des Etats européens à vouloir agir en faveur d’une plus grande autonomie stratégique sont toutefois susceptibles d’augmenter la croissance et l’inflation à moyen terme. En Allemagne bien sûr, mais aussi dans toute la zone Euro par effet cascade. On peut d’ailleurs y voir là l’héritage du rapport Draghi et c’est notamment ce que nous avions anticipé ici (même si la réalité a largement dépassé nos espérances d’alors). Cela pose le débat de la dominance budgétaire (lorsque la politique budgétaire s’impose à la politique monétaire) et de la dominance monétaire (inversement). Quel comportement doit adopter la BCE face à des taux d’intérêt de marché qui remontent fortement et des politiques budgétaires plus expansionnistes ? Notons à cet égard que la hausse du taux à 10 ans allemand enregistrée la semaine dernière est la plus importante depuis la réunification. Ce mouvement concentre à la fois l’idée d’un endettement plus conséquent, mais aussi celle d’une plus forte croissance nominale. Ajoutons à cela l’incertitude sur l’éventuelle application de droits de douane par les Etats-Unis, qui conditionne les comportements des entreprises et des consommateurs par anticipation. Le risque que les nouvelles prévisions de l’institution aient pris « un train de retard » semble donc élevé.

Enfin, dernière incertitude et pas des moindres : la question du « taux neutre », qui renvoie directement au changement de langage sur le caractère restrictif de la politique monétaire. C’est le niveau « idéal », qui ne pénalise pas la croissance et n’augmente pas trop l’inflation. Ce taux théorique appelé r* (r-star) est inobservable et un arsenal d’outils statistiques est déployé pour l’estimer. D’après ceux-ci, le taux neutre de la zone Euro se situerait entre 1,75% et 3%. Sans briller par sa fiabilité en tant que guide, r* contraint la BCE à devoir a minima réfléchir à l’idée d’une pause dans ses baisses de taux.

Dans ce contexte, nous maintenons inchangé notre scénario central. En fin d’année dernière, nous avions anticipé des baisses de taux en janvier, mars et avril 2025, qui auraient ensuite été suivies d’une pause. Une nouvelle baisse en avril est donc encore tout à fait possible selon nous, mais au-delà tout est plus flou. Notre prévision (non-consensuelle) consistant à envisager que la BCE n’irait pas en dessous de 2% sur son taux de facilité de dépôt d’ici fin 2025 paraît aujourd’hui plus pertinente que jamais, mais l’année n’est pas encore terminée...

Par Florent Wabont, Economiste, Ecofi, Analyse complète

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