Déclaration de revenus à l’ère de l’IA : points de vigilance et conseils aux contribuables

Fiscalité
Christophe Tunica
déclaration de revenus IA

Comment l’administration utilise l’intelligence artificielle depuis 10 ans ?

La DGFiP intègre de plus en plus l’intelligence artificielle dans ses contrôles. Des algorithmes de datamining analysent des masses de données pour repérer automatiquement des anomalies ou des fraudes potentielles dans les déclarations. Par exemple, le programme CFVR (« ciblage de la fraude et valorisation des requêtes »), déployé depuis 2014, modélise des profils de fraudes fiscales à partir de vastes bases de données et fait ressortir des dossiers à risque pour orienter les contrôles. Concrètement, l’IA croise les informations déclarées par les contribuables avec d’autres sources (données internes, tiers déclarants, etc.) afin de détecter incohérences et anomalies. Ces indicateurs de risque peuvent être définis par les experts du fisc ou appris à partir de schémas de fraude passés via le machine learning.

Divergence de données

Un autre usage emblématique est le croisement automatisé de données provenant de différentes sources. La DGFiP peut confronter votre déclaration avec les informations reçues de votre employeur, des organismes sociaux, de l’URSSAF, des caisses de retraite ou des banques. Si des données divergent (par exemple un revenu connu d’une banque non reporté dans votre déclaration), un signal d’alerte est généré.

Ruptures de comportements

L’administration recoupe aussi les fichiers pour identifier des ruptures de comportement inhabituelles : une variation anormale de revenus d’une année sur l’autre, ou des changements importants (baisse soudaine de chiffre d’affaires, déductions exceptionnellement élevées…) peuvent attirer l’attention des outils d’IA. Autre nouveauté, la loi permet même de collecter certaines informations publiques en ligne (annonces en ligne, réseaux sociaux…) afin de détecter des signes extérieurs de richesse non cohérents avec ce qui est déclaré. Elle est même autorisée à créer des comptes dans le but par exemple de comparer le train de vie déclaré et celui affiché sur la toile…

Enfin, l’IA sert à mieux cibler les contrôles fiscaux. Plutôt que de contrôler au hasard, les agents disposent de listes de dossiers “prioritaires” identifiés par les algorithmes. Deux pôles nationaux de contrôle à distance dédiés à l’analyse de données de masse ont d’ailleurs été créés en 2023 pour exploiter ces outils et lancer des relances automatisées auprès des usagers afin qu’ils régularisent d’eux-mêmes leur situation le cas échéant.

Efficacité et équité : les avantages revendiqués par l’administration

L’administration fiscale met en avant plusieurs bénéfices de ces dispositifs d’IA. D’abord, l’efficacité : les algorithmes peuvent passer au crible des millions de données en un temps record, repérant des irrégularités qu’il serait impossible de détecter manuellement à grande échelle. Résultat, près de 56 % des contrôles fiscaux ont été initiés grâce à l’IA en 2023, en hausse de 7 points par rapport à 2022. Autrement dit, plus de la moitié des vérifications sont désormais déclenchées par un signalement automatique. Cela permet de concentrer les moyens de contrôle sur les cas réellement suspects et d’augmenter le rendement des contrôles. Par exemple, les outils d’IA (programme « Foncier Innovant » lancé fin 2022 qui utilise des algorithmes pour analyser des photos aériennes et détecter des constructions non déclarées, comme des piscines, en les comparant aux données cadastrales) ont permis de détecter environ 120 000 piscines non déclarées en 2022-2023, générant 40 millions d’euros supplémentaires de taxes foncières pour les collectivités. Ces résultats démontrent concrètement l’apport de l’IA dans la lutte contre la fraude fiscale.

Ensuite, l’administration souligne un enjeu d’équité. En automatisant la détection des fraudeurs, le fisc entend faire payer à chacun sa juste part au nom de l’égalité des français devant l’impôt. Les contribuables de bonne foi ne devraient plus subir la concurrence déloyale de ceux qui trichent, car ces derniers sont repérés plus systématiquement. L’IA permet aussi de diversifier les types de fraudes détectées : non seulement les gros dossiers, mais aussi de plus petits manquements qui passaient autrefois sous le radar. Par exemple, des anomalies dans les déclarations de situation familiale (parent isolé, pensions alimentaires) sont désormais repérées via le croisement de données alors qu’elles faisaient rarement l’objet de contrôles par le passé. Le discours officiel met donc en avant une fiscalité plus juste grâce à des contrôles mieux ciblés et plus nombreux, pour assurer l’égalité devant l’impôt.

Enfin, l’utilisation de l’IA est présentée comme un gain de productivité pour l’administration. Avec des effectifs de contrôle limités, ces outils automatisés permettent de traiter davantage de dossiers sans multiplier les agents. Ils filtrent en amont les déclarations afin que les vérificateurs humains concentrent leur temps sur les cas les plus douteux. D’après la DGFiP, le datamining a ainsi contribué à réaliser près de 45 % des contrôles sur les particuliers en 2024, alors qu’il était inexistant il y a quelques années. Au total, la détection assistée par IA accroît l’efficacité de la lutte contre la fraude, ce qui profite aux finances publiques comme aux contribuables honnêtes.

Quels risques pour le contribuable ? Erreurs et incohérences dans le viseur

Si l’IA est un outil puissant pour le fisc, du point de vue des contribuables elle implique aussi de nouvelles vigilances. D’abord, toute erreur ou omission a plus de chances d’être détectée dans les déclarations. Une case mal renseignée, un montant omis ou une information inexacte peut ressortir immédiatement si elle ne correspond pas aux autres données dont dispose l’administration. Par exemple, déclarer un revenu inférieur à celui transmis par votre employeur ou votre banque entraînera quasi automatiquement un signalement d’anomalie. Même en l’absence d’intention frauduleuse, une simple inattention risque donc de vous placer dans les listes de contrôles potentiels. Or, un redressement fiscal peut être déclenché de la même manière, qu’il s’agisse d’une omission involontaire ou d’une fraude délibérée, avec à la clé une belle marianne dans votre boîte aux lettres sollicitant des justificatifs à fournir et d’éventuelles pénalités.

Ensuite, l’IA traque les incohérences entre vos différentes déclarations et sources de revenus. Le fisc compare tout : revenus d’activité, allocations, pensions, revenus financiers, etc., en s’appuyant sur les informations croisées de nombreux organismes. Si vos déclarations fiscales ne “collent” pas avec les données de l’URSSAF, de votre caisse de retraite ou de vos formulaires bancaires, l’administration le verra. Par exemple, un travailleur indépendant qui déclare un chiffre d’affaires aux URSSAF mais des revenus différents aux impôts, ou un épargnant dont les intérêts signalés par sa banque n’apparaissent pas dans sa déclaration, sera très probablement repéré. De même, un dirigeant de société devra veiller à ce que sa rémunération, ses dividendes ou avantages en nature correspondent bien aux éléments déclarés par l’entreprise. La cohérence globale de votre situation fiscale est scrutée dans les moindres détails.

Un autre point de vigilance concerne l’inadéquation entre la réalité et les données « officielles ». L’IA peut mettre en évidence des décalages entre ce que vous déclarez et ce que la DGFiP constate par ailleurs. Par exemple, un bien immobilier ou une amélioration (piscine, véranda…) non déclaré peut être détecté par comparaison entre les photos aériennes et le cadastre. De même, des signes de train de vie fastueux visibles en sources ouvertes (annonces de location saisonnière, éléments publics sur internet…) contrastant avec de faibles revenus déclarés pourraient éveiller des soupçons. Bien sûr, un algorithme n’a pas le contexte personnel : il se base sur les données brutes. Il peut donc suspecter un cas régulier simplement parce qu’il sort de la norme statistique. Un revenu exceptionnel lors d’une année (prime inhabituelle, vente d’un bien, rachat de RTT…) ou une baisse subite de revenus pour raison légitime peuvent être interprétés comme des anomalies par la machine. Le risque est alors de subir un contrôle pour une situation pourtant justifiée.

En définitive, l’automatisation accroît les risques de contrôle fiscal pour chaque contribuable en cas d’écart, même minime. Là où, autrefois, seule une fraction des dossiers étaient vérifiés, l’IA élargit le filet des contrôles à grande échelle. Chaque déclaration est passée au crible et comparée sous toutes les coutures. Cela ne signifie pas que vous serez systématiquement redressé au moindre écart (les agents gardent la main pour analyser et abandonner les fausses alertes), mais la probabilité d’être contacté par le fisc pour un complément d’information ou un contrôle formel augmente sensiblement. Il est donc crucial d’anticiper ces points sensibles lors de la préparation de votre déclaration de revenus.

Conseils pour bien remplir sa déclaration à l’ère de l’IA

Face à ces évolutions, comment s’assurer de remplir correctement sa déclaration et éviter d’être injustement inquiété ? Voici quelques conseils concrets pour les particuliers comme pour les professionnels :

1. Vérifiez attentivement les informations pré-remplies

Ne vous fiez pas aveuglément aux cases préremplies de votre déclaration. Bien que la plupart des revenus (salaires, retraites, intérêts…) soient déjà reportés, des erreurs ou oublis sont possibles. Comparez les montants indiqués avec vos justificatifs (fiche de paie, relevé bancaire, attestation d’indemnités) et corrigez toute divergence. Par exemple, en cas de changement d’employeur ou d’activité en cours d’année, assurez-vous que tous vos revenus figurent bien sur la déclaration. Signalez ou rectifiez les montants inexacts plutôt que de les laisser tels quels, au risque qu’un contrôle ultérieur ne les identifie.

2. Assurez la cohérence entre toutes vos déclarations

Si vous déclarez des revenus sur différentes plateformes ou à divers organismes, prenez le temps de vérifier l’harmonie des données. Un indépendant devra déclarer le même chiffre d’affaires aux impôts et à l’URSSAF. Un propriétaire bailleur devra déclarer aux impôts les loyers qu’il a éventuellement communiqués à la CAF (pour des aides au logement de ses locataires). De même, les revenus de capitaux mobiliers indiqués par votre banque (intérêts, dividendes…) doivent correspondre à ce que vous déclarez. Cette cohérence inter-organismes est primordiale pour ne pas faire ressortir de discordance aux yeux de l’algorithme fiscal.

3. Consultez votre espace personnel sur impots.gouv.fr

Votre espace en ligne contient votre déclaration préremplie, mais aussi l’historique de vos déclarations, avis d’impôt et éventuellement des messages de l’administration. En vous y connectant, vous pourrez voir les données que le fisc a déjà collectées pour l’année (par exemple les revenus communiqués par des tiers). Cela vous permet de détecter en amont une éventuelle information manquante ou erronée. Profitez-en pour utiliser les outils mis à disposition (simulateur, aide au remplissage) et pour déclarer en ligne si possible – c’est non seulement obligatoire (sauf exception) mais aussi le moyen le plus sûr d’éviter des erreurs grâce aux contrôles automatisés du formulaire. Si vous avez un doute sur une case ou un montant, vous pouvez solliciter via votre espace un renseignement auprès des services fiscaux afin de déclarer correctement plutôt que d’hésiter ou de vous tromper.

4. Expliquez et justifiez vos revenus exceptionnels ou atypiques

Si vous avez perçu un revenu inhabituel durant l’année (prime exceptionnelle, indemnité de départ, gain inhabituel, revenus étrangers, etc.), soyez prêt à le justifier. Dès la déclaration, remplissez bien la case appropriée (souvent il existe des rubriques spécifiques ou des cases commentaires pour préciser la nature d’un revenu). Conservez tous les justificatifs liés à cet événement (attestation employeur pour une prime, acte de vente pour une cession, relevés pour une plus-value…). En cas de variation importante par rapport à l’année précédente, il peut être utile d’ajouter une note explicative en « mention expresse » sur votre déclaration ou de manière annexe, pour éclairer l’administration sur la raison de cette fluctuation. Par exemple, signaler qu’une hausse de revenus provient d’une prime exceptionnelle liée à des résultats, ou qu’une baisse s’explique par un congé parental, peut aider à comprendre la situation. L’IA pourra certes vous cibler, mais ces explications facilitent ensuite le travail de l’agent qui vérifiera votre dossier, et peuvent éviter une demande de justification ultérieure. En somme, ne laissez pas une situation légitime apparaître comme suspecte faute d’explications.

5. Ne pas attendre pour corriger une erreur

Malgré toute votre vigilance, si après coup vous vous rendez compte d’un oubli ou d’une erreur dans votre déclaration, n’attendez pas que le fisc vous contacte. Profitez du droit à l’erreur prévu par la loi : vous pouvez rectifier spontanément une inexactitude sans subir de pénalité si c’est fait de bonne foi et avant tout contrôle. Le service de correction en ligne est ouvert après la déclaration initiale. Régulariser rapidement évite que l’anomalie ne soit détectée par l’IA et interprétée comme une tentative de dissimulation. En signalant vous-même l’erreur, vous montrerez votre bonne foi et cela clôturera probablement le sujet sans conséquences fâcheuses.

En conclusion

L’usage croissant de l’intelligence artificielle par l’administration fiscale française transforme la manière dont les déclarations de revenus sont contrôlées. Pour les contribuables – qu’ils soient particuliers, indépendants ou dirigeants d’entreprise – cela signifie qu’il faut être plus rigoureux que jamais dans la préparation de sa déclaration. L’IA rend la détection des incohérences quasi infaillible et multiplie les contrôles automatisés, mais en suivant des principes simples (vérification, cohérence, transparence), chacun peut s’y adapter sereinement. Une déclaration complète et exacte, en phase avec l’ensemble de vos informations financières, restera le meilleur bouclier contre d’éventuels tracas. En cas de doute, n’hésitez pas à vous faire conseiller ou à contacter votre service des impôts pour éviter toute erreur. Grâce à ces précautions, vous remplirez votre déclaration en toute confiance, tout en contribuant à l’objectif d’une fiscalité plus juste à l’ère du numérique.

Par Christophe Tunica, Axesscible

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