Transmission d’entreprise : les enjeux fiscaux et patrimoniaux


La transmission d’une entreprise, qu’elle soit envisagée à titre gratuit ou onéreux, est une étape déterminante tant pour le chef d’entreprise que pour ses ayants droit. Véritable moment de vérité patrimoniale, elle cristallise des enjeux majeurs : pérennité de l’activité, charge fiscale, structuration du patrimoine familial, continuité du pouvoir de gestion, valorisation du travail accompli, et souvent, préservation de la paix familiale. Dans un contexte fiscal et juridique mouvant, bien préparer cette transmission est un exercice aussi technique que stratégique. Cet article propose de décrypter les principaux enjeux fiscaux et patrimoniaux liés à la transmission d’entreprise, à travers un regard opérationnel et synthétique, nourri par mon expérience du terrain au sein du cabinet Coplo.
La transmission d’entreprise : un acte fondateur de stratégie patrimoniale
Transmettre son entreprise ne s’improvise pas. La temporalité est clé. Il ne s’agit pas seulement de choisir un successeur, mais d'orchestrer une transition fluide sur les plans humain, juridique, fiscal et financier. Une préparation 5 à 10 ans en amont est souvent recommandée, notamment pour bénéficier pleinement des dispositifs fiscaux avantageux, structurer les titres dans une holding, lisser la fiscalité ou encore tester la gouvernance future. L’entreprise représente souvent l’essentiel du patrimoine du dirigeant. Sa transmission induit une bascule de valeur vers le patrimoine privé, avec des effets majeurs sur la fiscalité personnelle, la disponibilité financière, la retraite et la stratégie successorale globale. Il ne faut donc jamais isoler la transmission d’entreprise d’une vision patrimoniale d’ensemble.
Les modalités de transmission : vente, donation, donation-partage, démembrement…
La cession peut porter sur les titres sociaux ou sur le fonds de commerce. Elle entraîne, pour le cédant, l’imposition des plus-values au barème de l’impôt sur le revenu après abattement ou via la flat tax (30 %). Des dispositifs existent pour réduire cette imposition :
• Le régime du dirigeant partant à la retraite (abattement fixe de 500 000 €),
• L’abattement renforcé pour durée de détention,
La transmission anticipée par donation peut être fiscalement plus avantageuse que la transmission au décès, notamment grâce aux abattements renouvelables tous les 15 ans (100 000 € par enfant) et aux régimes de faveur comme le pacte Dutreil (réduction de 75 % de la base taxable). La donation peut être :
• En pleine propriété (simple mais impacte la liquidité),
• En nue-propriété (optimisation des droits grâce à l’usufruit conservé par le dirigeant),
• Via une donation-partage, qui fige les valeurs et réduit le risque de conflit successoral.
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Le Pacte Dutreil : pilier de l’optimisation fiscale
Le pacte Dutreil permet de transmettre une entreprise ou des titres sociaux en exonérant 75 % de leur valeur, sous conditions de conservation et de fonction de direction. Ce mécanisme réduit considérablement l’impact fiscal pour les héritiers ou donataires.
Conditions à respecter :
• Un engagement collectif de conservation préalable ou postérieur de 2 ans,
• Un engagement individuel de conservation de 4 ans supplémentaires,
• L’exercice d’une fonction de direction
Il nécessite une veille constante car toute rupture ou erreur formelle peut remettre en cause l’exonération. Le pacte peut être un levier de paix familiale car il permet une répartition équitable et fiscalement optimisée. Il peut aussi sécuriser la reprise par un enfant tout en compensant les autres héritiers. Une clause d’inaliénabilité temporaire, un aménagement de l’usufruit ou une soulte bien calibrée sont autant d’outils à mobiliser.
Cession-Transmission et holding patrimoniale : outil d’anticipation et de souplesse
Pourquoi créer une holding ?
La création d’une holding constitue un outil de transmission à la fois fiscalement optimisé et stratégiquement structurant. Au-delà de la simple enveloppe juridique, elle permet de répondre à plusieurs objectifs patrimoniaux et opérationnels.
Regrouper les titres pour faciliter la transmission globale
La première fonction évidente d’une holding est de centraliser la détention des titres de différentes sociétés ou participations au sein d’une seule entité. Cela présente plusieurs intérêts :
• Le dirigeant peut donner ou céder une seule ligne de titres (la holding), au lieu de multiplier les opérations sur chacune des sociétés détenues.
• Cela simplifie la gouvernance : les enfants ou héritiers deviennent actionnaires d’une entité unique, qui pilote l’ensemble du patrimoine professionnel.
• La valorisation est plus fluide, notamment dans le cadre d’une donation-partage ou d’un pacte Dutreil, en évitant les écarts de valorisation entre structures.
Lire aussi : Dutreil : comment optimiser une transmission d’entreprise au-delà de l’exonération de 75 %
Cette centralisation est particulièrement pertinente en présence de plusieurs enfants ou d’un patrimoine professionnel complexe, notamment lorsque certaines participations sont stratégiques et d’autres purement patrimoniales.
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Bénéficier du régime mère-fille ou de l’intégration fiscale
La holding peut être fiscalement optimisée en relevant du régime mère-fille, qui permet :
• Une exonération à 95 % des dividendes perçus par la holding de la part de ses filiales (après une quote-part de frais et charges de 5 %),
• Une remontée optimisée de trésorerie, notamment en cas de remboursement de dette dans le cadre d’un OBO (Owner Buy Out),
• Une limitation de la double imposition entre sociétés d’un même groupe.
En cas de groupe fiscalement intégré, la holding peut aller plus loin en consolidant les résultats des sociétés qu’elle détient à au moins 95 %, permettant :
• Une compensation des bénéfices et des pertes entre filiales,
• Une meilleure gestion du résultat fiscal global, notamment en cas de transmission différée.
Ces régimes permettent d’optimiser la trésorerie à des fins patrimoniales (distribution, réinvestissement, capitalisation), tout en maîtrisant la pression fiscale à court terme.
Lisser la gouvernance familiale
Une autre vertu essentielle de la holding est sa capacité à structurer une gouvernance familiale stable et à prévenir les conflits successoraux. À travers une holding, le dirigeant peut :
• Mettre en place des statuts sur-mesure, incluant des clauses d’agrément, d’incessibilité, de majorité renforcée ou de limitation des droits de vote,
• Organiser la transmission du pouvoir progressivement, en gardant l’usufruit de ses parts tout en préparant la montée en responsabilité de la génération suivante,
• Créer un pacte d’associés ou un conseil de famille, qui permet de coordonner les décisions importantes, d’anticiper les désaccords et de faire émerger une vision commune.
La holding devient alors le « cockpit » de la famille : un lieu de pilotage, de dialogue et de transition générationnelle. Elle protège aussi l’entreprise d’une dilution du pouvoir ou de la mésentente entre héritiers, qui sont fréquents en l’absence d’organisation.
Lire aussi : SCI familiale : un outil de transmission patrimoniale
Bénéficier du régime d’apport-cession (article 150-0 B ter du CGI)
Enfin, la holding permet d’activer un levier fiscal essentiel dans la perspective d’une cession d’entreprise, tout en anticipant la transmission : le régime de l’apport-cession. Ce régime permet au dirigeant d’apporter ses titres à une holding qu’il contrôle, sans réaliser immédiatement la plus-value, laquelle est placée en report d’imposition (non pas exonérée, mais différée tant que certaines conditions sont respectées). L’intérêt majeur est le suivant :
• Le chef d’entreprise ne paie aucune fiscalité immédiate lors de l’apport,
• Il peut ensuite céder les titres via la holding, qui sera imposée à l’IS mais non soumise aux prélèvements sociaux ou à l’impôt sur le revenu,
• Si la cession intervient dans les trois ans, il est possible de préserver le report d’imposition à condition de réinvestir 60 % du prix dans une activité économique, directement ou via une holding animatrice.
Ce dispositif, bien utilisé, permet de transformer une entreprise opérationnelle en capital productif tout en optimisant la fiscalité. Mais il suppose une intention patrimoniale claire, une documentation précise et un respect strict des délais et conditions pour éviter une remise en cause par l’administration.
Voici 2 exemples de schémas concrets de montage via une holding
Le schéma classique de LBO patrimonial (ou OBO)
Un chef d’entreprise peut céder ses titres à une holding qu’il contrôle (ou co-détient avec ses enfants) :
• Cette holding est financée par emprunt bancaire ou par un apport en numéraire,
• Elle acquiert les titres de l’entreprise opérationnelle,
• Les résultats futurs remontent sous forme de dividendes, permettant de rembourser l’emprunt.
C’est ce qu’on appelle un OBO (Owner Buy Out), qui permet de transformer une détention directe en détention via une holding tout en optimisant la fiscalité de la cession (avec une imposition étalée dans le temps sur les dividendes et l’IS au lieu de l’IR).
Le schéma de l’apport-cession (article 150-0 B ter du CGI)
Dans un autre cas de figure, le dirigeant apporte ses titres à une holding qu’il contrôle, en vue d’une cession ultérieure :
• L’opération permet de bénéficier du report d’imposition de la plus-value,
• Si la holding conserve les titres pendant au moins 3 ans, ce report est maintenu,
• En cas de cession avant 3 ans, il faut réinvestir 60 % du produit de cession dans une activité économique pour conserver le report.
Ce mécanisme, souvent mal maîtrisé, est puissant mais nécessite une anticipation rigoureuse, une justification économique du projet et une analyse des risques d’abus est importante.
Enjeux humains et relationnels : le facteur clé de succès
Transmettre, c’est aussi transmettre des valeurs, une vision, une culture d’entreprise. Le volet humain est souvent négligé, alors qu’il conditionne la réussite : implication des enfants ou du repreneur, acceptation des équipes, vision commune.
Conclusion
Transmettre son entreprise n’est jamais un simple acte juridique ou fiscal. C’est une démarche à forte portée symbolique, humaine et stratégique. C’est, en réalité, le point d’orgue d’une vie d’entrepreneur, le moment où l’on convertit un engagement de long terme en héritage économique et familial.
Les enjeux sont multiples :
• Fiscaux, car une mauvaise anticipation peut entraîner une taxation lourde et parfois destructrice de valeur,
• Patrimoniaux, car la transmission transforme un actif professionnel en patrimoine privé, souvent sans revenus récurrents,
• Juridiques, car la complexité des montages (holding, démembrement, pacte Dutreil…) nécessite rigueur et expertise,
• Humains, enfin, car il s’agit souvent de préserver l’unité familiale, de légitimer un repreneur, d’organiser la coexistence entre plusieurs enfants ou associés, et de tourner une page personnelle majeure.
Dans ce contexte, l’anticipation est la clé. Il ne s’agit pas d’attendre la fin de carrière pour poser les premières briques de la transmission, mais bien d’y penser tôt : dès que l’entreprise devient pérenne, rentable et transmissible.
Le pacte Dutreil, les montages avec holding, la donation-partage, l’apport-cession ou encore la mise en place d’une gouvernance familiale ne sont pas des outils réservés aux grandes fortunes. Ce sont des leviers d’efficacité et de pérennité à la portée de tout entrepreneur accompagné.
Transmettre, c’est donc aussi préparer l’avenir : celui de l’entreprise, de la famille, et du dirigeant lui-même. Et si le véritable succès d’une entreprise se mesurait aussi à sa capacité à traverser les générations ? À chaque chef d’entreprise de s’emparer de cette question, et à chaque conseiller de l’accompagner avec lucidité, exigence et bienveillance.
Par Rodolphe ARLES, Dirigeant de COPLO, cabinet de conseil en fiscalité et stratégie patrimoniale.
Spécialisé dans l’ingénierie de cession-transmission d’entreprise, le cabinet accompagne les dirigeants, familles et actionnaires dans la structuration de leur patrimoine professionnel et privé.
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