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Droit

Travailleur transfrontalier à Genève : PACS / Mariage ou concubinage, comment faire le bon choix ? (Steve Mauffrey, Expert en gestion de patrimoine)

7
Feb
2023

Peut-être l’avez-vous remarqué, la toile est actuellement inondée de propositions de rendez-vous, afin de déterminer la meilleure solution entre l’option pour le statut de quasi résident ou le choix de la rectification classique. L’arbitrage entre l’une ou l’autre des solutions devant conduire à optimiser le montant de l’impôt Suisse dû pour le travailleur transfrontalier.

RECTIFICATION OU STATUT DE QUASI RÉSIDENT, UN CHOIX RÉELLEMENT FONDAMENTAL ?

Bien que je concède que ce sujet soit important à traiter, il me semble qu’un autre sujet mérite une place plus importante, tant les impacts peuvent être considérables. Je veux évoquer ici le thème du mode d’union du couple, lorsqu’au moins un de ses membres travaille dans le canton de Genève. En effet, rien ne sert d’optimiser la situation d’un point de vue fiscal, si l’objectif de protection souvent recherché n’est pas atteint.

Pour commencer, il faut savoir que plusieurs modes d’union existent, apportant chacun leurs avantages et inconvénients.


Le mariage, bien qu’offrant un niveau de protection important, est très souvent redouté du fait des conséquences potentielles sur l’impôt Suisse et/ou français. Cette appréhension n’est d’ailleurs pas toujours justifiée.

Le PACS, peut dans certains cas, constituer une solution acceptable à la condition d’y associer certains aménagements indispensables. Ce mode d’union conduit (Sauf la première année sur option) à réaliser une déclaration de revenu française commune, ce qui peut avoir pour conséquence d’augmenter la fiscalité française. A ce titre, il n’est pas rare de voir des partenaires rompre leur contrat, du fait d’une trop grande augmentation de l’impôt.

Le concubinage, quant à lui, n’offre aucune garantie, si ce n’est celle de devoir réaliser deux déclarations de revenus  séparées (France) , ce qui peut parfois être intéressant fiscalement.

Quoiqu’il en soit, il me semble important de nous pencher sur ce sujet particulièrement intéressant, afin de prendre les meilleures décisions.

En préambule, il me semble important de rappeler les principales différences entre le mariage, le PACS et le concubinage. Ensuite, je rappellerai les principaux barèmes d’impôt genevois.


Si l’on cherche à obtenir un niveau de protection maximal, le mariage prévaut. La loi prévoit d’ailleurs 5 régimes différents, ce qui permet de choisir le régime le mieux adapté. Par ailleurs, différentes clauses peuvent être ajoutées au contrat, parachevant la création d’un mode d’union « sur mesure ». De plus, le conjoint survivant dispose du statut d’héritier et possède des droits dont ne dispose ni le partenaire de PACS, ni le concubin.

Le principal avantage du PACS est que le partenaire survivant n’a pas à supporter de taxation dans le cas notamment de la transmission d’un patrimoine par décès. Pour autant, encore faut-il prévoir cette transmission dans le cadre d’un legs et en vérifier l’applicabilité. En effet, ce dernier ne doit pas venir « empiéter » sur la part revenant aux enfants du défunt, le cas échéant. (Part appelée part réservataire, par opposition à la quotité disponible qui est la part qu’il est possible de léguer librement).

Concernant le concubinage et d’un point de vue civil, il n’y a que des désavantages.


LE MODE D'UNION ET SES IMPACTS SUR LA FISCALITÉ

Ce rappel étant fait, intéressons-nous désormais aux principaux barèmes appliqués par le fisc Genevois. Les barèmes sont consultables à l’adresse suivante : https://www.ge.ch/impot-source/baremes-perception-calculette

* Célibataire sans enfant, barème A0
* Contribuable qui verse une pension alimentaire, barèmes A1 à A5
* Conjoint sans revenu, barèmes B0 à B5
* Conjoint avec revenu, barèmes C0 à C5
* Revenu versé par une assurance, barème G
* Famille monoparentale, barèmes H1 à H5

Le barème à utiliser diffère donc selon la situation du travailleur transfrontalier. Ce dernier  dispose d’ailleurs d’un délai s’étendant jusqu’au 31 mars de l’année N, pour optimiser sa fiscalité au titre des revenus de l’année N-1. (Par exemple jusqu’au 31 mars 2023, pour les revenus 2022)

A ce sujet, deux options s’offrent à lui, une demande de rectification ou une demande de taxation ordinaire ultérieure. Cette dernière alternative peut-être très avantageuse mais elle n’est offerte qu’aux frontaliers pouvant bénéficier du statut de quasi résidant. Dans ce cas, 90 % des revenus du foyer fiscal (frontalier + éventuel conjoint) doivent être imposables en Suisse. Notons qu'un mariage peut parfois faire perdre un statut de quasi-résident, puisqu'il s'agirait de considérer les revenus du frontalier et de son conjoint.

Il est à noter que le PACS français n’est pas reconnu par la suisse. Les principales conséquences sur l’impôt à la source Genevois naissent donc d’un arbitrage entre concubinage et mariage. Il serait toutefois très limitatif de ne considérer que l’aspect fiscal sans penser aux avantages en termes de protection apporté par le mariage, quel que soit le régime retenu.


ET DANS LA PRATIQUE ?

Afin de traduire mes propos, je vous propose de nous intéresser à un cas représentatif d’une situation d’un couple dont l’un des membres travaille à Genève :

Monsieur et Madame X âgés de 59 ans, trois enfants communs âgés de plus de 25 ans, qui ne sont plus à charge d’un point de vue fiscal. Madame est travailleuse transfrontalière canton de Genève, Monsieur travaille en France. L’objectif principal du couple est de se protéger dans le cas d’un décès, notamment au regard de la résidence principale et du maintien du niveau de vie.


CONCUBINAGE, PACS OU MARIAGE ?

CONCUBINAGE ET LEGS DE LA RESIDENCE PRINCIPALE

Que donne cette solution d’un point de vue fiscal en Suisse et en France ? (Barèmes revenus 2022)


Partons du principe que Monsieur décède en premier. Madame conserve sa part, c’est-à-dire la moitié du patrimoine. Monsieur avait prévu un testament prévoyant un legs de la totalité de sa part de la résidence principale, ce qui représente une valeur de 325 000 euros. (650 000 valeur de la résidence principale, Monsieur en détenait 50 %)

Or, seul l’équivalent de la quotité disponible peut être légué (L’équivalent de 125 000 euros) sans « empiéter » sur la part des enfants, ce qui constituerait une atteinte à leur réserve. De plus, Madame X aurait dû s’acquitter de divers frais mais surtout d’une taxation de 60 % au titre des droits de succession.

La solution aurait pu provenir de la souscription d’une assurance décès par Monsieur au profit de Madame, afin que cette dernière puisse régler les 60 %. Je vous laisse toutefois imaginer le montant de la cotisation mensuelle pour un assuré âgé de 59 ans, d’autant que les cotisations augmentent au fil des ans.

 
PACS ET LEGS DE LA RÉSIDENCE PRINCIPALE

Que donne cette solution d’un point de vue fiscal en Suisse et en France ? (Barèmes revenus 2022)


Partons du principe que Monsieur décède en premier. Madame conserve sa part, c’est-à-dire la moitié du patrimoine. Monsieur avait prévu un testament prévoyant un leg de la totalité de sa part de la résidence principale, ce qui représente une valeur de 325 000 euros. (650 000/2)

Le fait d’être pacsé permettrait une exonération de droits de succession entre partenaires et il s’agirait donc d’une bonne nouvelle pour Madame. Pour autant, seul l’équivalent de la quotité disponible pourrait lui être légué (L’équivalent de 125 000 euros) sans « empiéter » sur la part des enfants, ce qui constituerait une atteinte à leur réserve. Les enfants pourraient peut-être accepter l’application du legs, en cas de bonne entente. Il s’agirait alors pour eux de renoncer à leur action en réduction, renonciation qui peut être anticipé et rédigée par acte authentique avant décès. (Renonciation à l'action en réduction pour atteinte à la réserve RAAR)

Dans le cas contraire, Madame devrait trouver une solution afin d’indemniser les enfants à hauteur de 325 000 euros (Montant du legs) – Montant maximum pouvant être reçu via succession sans empiéter sur la réserve (125 000 euros) = 200 000 euros.

Notons que cette solution du PACS + legs impliquerait notamment une augmentation de 1 700 euros environ en termes de fiscalité sur les revenus par rapport à une situation de concubinage. (Selon les barèmes 2022). C’est souvent cette différence de fiscalité annuelle qui conduit les partenaires à rompre leur contrat et à revenir à une situation de concubinage, ce qui constitue une très mauvaise solution d’un point de vue civil selon moi.


MARIAGE SEUL SANS DISPOSITIONS COMPLÉMENTAIRES

Que donne cette solution d’un point de vue fiscal en Suisse et en France ? (Barèmes revenus 2022)


*Explications fiscalité Suisse Madame, dans le cas d’une demande de rectification :

En 2022, l’employeur prélève un impôt selon le barème C0 au taux correspondant au seul revenu du conjoint frontalier.

Revenu 100 000 CHF x 14,91 % = 14 910 CHF

En 2023, prise en compte des revenus réels et cumulés du couple (revenus bruts)

Revenu 100 000 CHF Madame + estimation de 64 000 CHF Monsieur (Prise en compte du salaire brut estimé avec hypothèse ratio de conversion 1 EUR = 1 CHF)
= 164 000 CHF -> 14,54 % (Taux 2022 – Barème CR0)

L’administration fiscale appliquerait ce taux sur les seuls revenus du frontalier = 100 000 CHF x 14,54 %
= 14 540 CHF

L’administration fiscale rembourserait donc 14 910 CHF – 14 540 CHF = 370 CHF


Dans le cas d’un mariage, le conjoint survivant bénéficie d’un droit d’usufruit sur la totalité du patrimoine du défunt en présence d’enfants communs. Les règles sont différentes, dans le cas de la présence d’un ou plusieurs enfant(s) né(s) d’une union précédente.

La protection de Madame vis-à-vis de la résidence principale se trouverait donc améliorée car elle pourrait notamment résider dans le logement jusqu’à son décès. Il ne s’agit pour autant pas d’une solution miracle car elle devrait obtenir l’accord des enfants nus-propriétaires, pour vendre le bien, par exemple. Notons également que la valeur de l’usufruit décroit avec le temps. A ce sujet et dans l’hypothèse d’une entrée en EHPAD ou d’un accident de la vie nécessitant un fort besoin de liquidités, il se pourrait qu’elle ne retire pas suffisamment de la vente pour financer ses vieux jours, surtout si elle devait vivre longtemps, ce qu’on lui souhaiterait évidemment.


COMMENT AMÉLIORER LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT ?

Afin d’améliorer la situation de Madame, deux principales solutions pourraient être mises en œuvre. Bien que l’objet de cet article ne soit pas de développer entièrement ces possibilités, j’ai décidé de vous livrer tout de même quelques explications. Nous allons donc nous intéresser à la donation entre époux (Nommée également donation au dernier vivant), mais également à la clause de préciput.

Clause de préciput :

Principal atout : éviter que le conjoint ne se retrouve en indivision avec les autres héritiers sur certains biens.

Monsieur et Madame X ont décidé d’aller voir leur notaire, afin d’intégrer cette clause dans leur contrat de mariage de manière à permettre au conjoint survivant de prélever la résidence principale avant tout partage.

Lors du décès de Monsieur, Madame pourra prélever la résidence principale, sans rendre de compte aux enfants. La communauté, alors vidée de la résidence principale, sera répartie entre elle-même et ses trois enfants. La bonne nouvelle est que les droits de succession à régler par les enfants seraient nuls (Du fait d’un actif transmis moindre et inférieur aux abattements en vigueur). Notons toutefois que la facture sera plus importante au second décès. Pour autant, si l’objectif prioritaire était de protéger le survivant, alors l’objectif serait atteint.

Donation entre époux :

Principal atout : permet d'améliorer le sort du conjoint survivant et d'augmenter sa part d'héritage

Dans l’hypothèse où aucune donation entre époux ne serait prévue et en présence d’enfants communs, Madame aurait droit à :

* ¼ de la masse successorale en pleine propriété soit 125 000 euros
* Ou 100 % en usufruit (Usufruit valorisé selon l’âge de Madame, 40 % si elle était âgée de 61 à 70 ans au décès de Monsieur) soit 200 000 euros

En présence d’une donation entre époux, deux options supplémentaires seraient possibles :

* La pleine propriété de la quotité disponible, soit ¼ en présence de 3 enfants. Cela en reviendrait à bénéficier du même montant que le ¼ en pleine propriété, selon les droits de base du conjoint. Il n’y a donc pas de bénéfice dans ce cas précis. (S’il n’y avait eu qu’un seul enfant, la quotité disponible aurait été de ½ soit 250 000 euros.)
* ¾ en usufruit et ¼ en pleine propriété : ¼ en pleine propriété soit 125 000 + ¾ en usufruit = 150 000 euros soit 275 000 euros au global. Il s’agit ici clairement de la meilleure option pour Madame.

Je termine en précisant que ces deux avantages matrimoniaux ne peuvent être mis en œuvre qu’entre conjoints et sur des biens dépendant de la communauté. Il convient donc d’être marié. Un régime séparatiste ne peut donc convenir, sauf en la présence d’une société d’acquêts, car il n’y a pas de patrimoine commun. Nous pouvons également ajouter que les concubins et les partenaires de PACS sont exclus de fait.

La possibilité de mettre en œuvre des avantages matrimoniaux constitue donc un argument fort, que devraient prendre en compte Monsieur et Madame X, au titre du choix de leur mode d’union, bien que le mariage implique un surcoût de fiscalité par rapport au concubinage. (Variable selon les cas de figure)
 
Pour conclure, je dirais que le mode d’union du couple dont au moins l’un des membres est travailleur transfrontalier à Genève doit être murement réfléchi. Bien qu’il ne faille pas occulter l’aspect fiscal, je considère que les enjeux civils devraient peser d’avantage dans la décision. A ce titre, je conseillerais fortement un mariage à Monsieur et Madame X, ainsi que de prévoir une donation entre époux et une clause de préciput. Libre au conjoint survivant d’utiliser ou non ces options.

Il vaut mieux anticiper et avoir le choix, que d'être contraint et n'avoir aucun choix faute d'avoir anticipé.

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